Dans une décision qui fait polémique, le Sénat a entamé jeudi la procédure de levée des immunités de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila, en contournant la Constitution qui exige normalement la convocation de deux chambres du Parlement en congrès. Cette initiative unilatérale de la chambre haute du Parlement, perçue comme une manœuvre politique, a provoqué une vive indignation dans l’opinion publique et relance le débat sur la traque de ceux qui s’opposent au régime en place à Kinshasa.
Une décision controversée du Sénat a provoqué une vive polémique jeudi, après que la chambre haute du Parlement a examiné la levée des immunités du sénateur à vie Joseph Kabila, en violation apparente des dispositions légales en vigueur. Alors que la Constitution prévoit la convocation des deux chambres en congrès pour une telle procédure, le Sénat a choisi d’inscrire unilatéralement le dossier à l’ordre du jour de sa plénière, suscitant une vague d’indignation dans l’opinion publique et parmi les observateurs politiques.
Selon la Constitution, la levée de l’immunité d’un ancien Président de la République nécessite la réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat en congrès, à la majorité des deux tiers. Pourtant, le bureau du Sénat, dirigé par son président Sama Lukonde Kyenge, un transfuge du FCC, a décidé de passer outre cette exigence, ouvrant la voie à un vote en séance plénière.
Pour de nombreux juristes et acteurs de la Société civile, cette manœuvre constitue une entorse flagrante à la loi. « Cette décision est juridiquement irrecevable. On ne peut pas modifier une procédure constitutionnelle par un simple vote d’une seule chambre », a dénoncé un expert en droit constitutionnel.
Une décision perçue comme politique
Dans les milieux politiques, cette initiative est largement interprétée comme une manœuvre destinée à affaiblir Joseph Kabila, dont les relations avec le pouvoir actuel restent tendues. Depuis son accession au statut de sénateur à vie en 2019, l’ancien chef de l’État a maintenu une influence certaine, notamment au sein de son parti, le Front commun pour le Congo (FCC).
« Cette précipitation à vouloir lever son immunité, sans respecter les règles, montre que l’objectif est moins judiciaire que politique », a analysé un député de l’opposition sous couvert d’anonymat.
Certains y voient une tentative de l’exécutif d’écarter définitivement Kabila de l’échiquier politique, dans un contexte où plusieurs de ses proches font l’objet de poursuites judiciaires.
Sur les réseaux sociaux et dans les rues de Kinshasa, la décision du Sénat a déclenché une vive réaction. De nombreux citoyens dénoncent une instrumentalisation de la justice et un affaiblissement des institutions. « Si on commence à violer la Constitution pour s’en prendre à un opposant, demain ce sera n’importe qui », s’est indigné un activiste des droits de l’Homme.
Du côté des partisans de Kabila, l’émotion est tout aussi forte. « C’est une manœuvre dictée par la peur. On veut museler toute voix dissonante », a lancé un militant du FCC.
Cadre du FCC, toujours fidèle à Joseph Kabila, Félix Momat n’a pas caché son dépit : « Une procédure d’une irrégularité manifeste est actuellement engagée au Sénat, tendant à lever, de manière illégale et politiquement motivée, les immunités du Président honoraire Joseph Kabila. Déguisée sous les oripeaux du droit, cette initiative viole frontalement l’article 104 de la Constitution ainsi que les articles 3 et 8 de la loi n°18/021 du 26 juillet 2018 portant statut des anciens présidents de la République élus. En fragilisant la cohésion et l’unité nationale, et en piétinant les principes fondamentaux de l’État de droit, cette manœuvre porte gravement atteinte non seulement à l’intégrité des institutions, mais aussi à l’avenir même de la République en tant que nation. C’est en demeurant fidèle à la Constitution et aux lois de la République que l’on honore le pacte républicain, scellé à Sun City dans la douleur, au prix d’énergies antagonistes sublimées par le compromis, et consacré par la volonté d’un peuple épris de paix ».
Repris dans le compte X du journaliste Steve Wembi, le président du Conseil d’administration de l’ODEP, une organisation de la Société civile, se dit tout aussi indigné de la maladresse dont fait preuve la Chambre haute du Parlement : « Du point de vue de l’État de droit, nous assistons à une violation de la loi sur les anciens présidents. Cette loi stipule que seule une majorité au sein du congrès réuni peut statuer sur cette levée. Le sénat à lui seul ne constitue pas le congrès. Il est impératif de convoquer le congrès pour prendre une décision éclairée sur cette question ».
Tout dernier directeur de cabinet de Joseph Kabila, avant son départ du pouvoir, Néhémie Mwilanya a également réagi, sur son compte X, à ce qui se passe au Sénat, faisant les liens avec tous les efforts diplomatiques déployés pour ramener la paix dans l’Est : « Que nos partenaires américains, européens, Qataris et régionaux ne s’épuisent pas en vain. Lever illégalement les immunités du PR JKK est la preuve que le Pouvoir à Kinshasa n’œuvre ni pour la paix ni pour la démocratie au Congo. Le Sénat et le peuple congolais sont interpellés ».
Hugo Tamusa

