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Bob Kabamba : « Le fait d’être en négociation avec Kinshasa confère au M23 le statut d’acteur politique congolais »

Le groupe armé, qui contrôle de larges pans de l’Est de la RD Congo, veut devenir un véritable acteur politique du pays. Il pourrait déjà avoir réussi, selon le professeur Bob Kabamba de l’Université de Liège, en Belgique, qui considère que « le fait même d’être en négociation avec Kinshasa confère aux rebelles le statut d’acteur politique congolais ». Entretien.

Quelle que soit l’issue de l’accord de paix de Doha, dont les négociations prennent du retard, l’avenir du groupe politico-militaire M23 interroge. Dans l’Est de la RD Congo, où ces rebelles contrôlent de larges pans du territoire, son retrait reste en suspens. La milice armée prévient depuis le début des négociations qu’elle ne compte pas se lâcher de ces territoires, même en cas d’accord.

Depuis son association à l’Alliance Fleuve Congo (coalition dirigée par Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante), le M23 exige une place dans le paysage politique national congolais. Or, les décisions de Kinshasa dans le processus de sortie du conflit confèrent déjà aux rebelles une voix sur la scène nationale, voire internationale, selon le docteur en sciences politiques à l’Université de Liège, Bob Kabamba.

Le M23 restera-t-il une menace pour Kinshasa, si l’accord de Doha est finalement signé ? 

En annonçant qu’il ne se retirerait pas des territoires conquis, le M23 annonce aussi qu’il restera une épine dans le pied de Kinshasa. Car, même si l’accord de Doha est signé et qu’une feuille de route est mise en place pour les deux parties, il se peut que l’une d’elles – ou les deux – ne respecte pas sa part du marché. Dans ce cas, on verrait certainement une reprise des hostilités sur le terrain. Et gardons en tête que chaque affrontement entre les FARDC (l’armée congolaise, NDLR) et le M23 a mené à une victoire de ces derniers. A l’Est, dans le Nord et le Sud-Kivu, ils ont pris Rwamagana, Rutshuru, Kitanga, Masisi, Sake, Goma, Katana, Bukavu, Kamanyola, Nyangezi, Walungu, etc. Ils avancent même désormais vers l’intérieur du pays.

Le M23 est plus fort que jamais. Cette période de cessez-le-feu global prévue par l’accord de principe signé le 19 juillet lui a permis de renforcer ses troupes. Ils ont beaucoup recruté et formé ces nouvelles recrues. Ils se sont réorganisés, redéployés, et sont mieux équipés depuis leur prise de Goma, qui leur a donné accès à des réserves d’armes.

Le M23 s’est associé avec l’Alliance Fleuve Congo, et a exposé des ambitions politiques nationales. Ont-ils un avenir politique au Congo ? 

En vérité, le M23 se revendique déjà comme un acteur « politico-militaire ». Ce que le M23 demande –  notamment la protection de populations tutsies qui subissent selon eux un pogrom – ne peut être garanti que par Kinshasa. En négociant avec Kinshasa, ils influencent déjà la politique nationale du pays.

Par ailleurs, sur le terrain, le M23 a déjà un rôle politique concret sur la gestion des territoires conquis. Ils ont installé dans ces localités de nouvelles autorités, une nouvelle gouvernance et de nouvelles dynamiques des affaires publiques. C’est sur cette base qu’ils continuent à asseoir leurs revendications et leur légitimité. Après la signature, on pourrait aussi voir négociée la réintégration au sein de l’armée nationale d’anciens militaires de carrière. En RDC, ces rôles ont aussi une dimension politique.

Le groupe armé a désormais sa place à la table des négociations internationales. Qu’est-ce que cela veut dire ? 

Le fait même d’être en négociation avec Kinshasa confère aux rebelles le statut d’acteur politique congolais. Plus encore : les décisions de Kinshasa en ont désormais fait un acteur au retentissement international. Pourquoi ? Le gouvernement Tshisekedi refuse de négocier avec l’opposition officielle de son pays, en la taxant de faible. Mais il accepte de négocier avec le M23, ce qui en fait le seul acteur capable de faire infléchir sa politique.

Le M23 a aujourd’hui une place à la table des négociations au Qatar. En plus de cela, on lie désormais l’accord de Washington – négociés entre deux pays, le Rwanda et la RDC – aux accords de Doha – négociés entre le gouvernement congolais et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda. Il y a quelques mois, jamais on n’aurait placé le M23 à ce niveau dans les négociations. Par cela, l’AFC/M23 devient véritablement un acteur dans le cadre de la recherche d’une solution pour la paix. Et c’est Kinshasa qui alimente ce constat.

Joseph Kabila, l’ancien président en exil, poursuivi par Kinshasa pour insurrection, s’est rendu à Goma fin mai, ville contrôlée par le M23. Doit-on leur prêter des ambitions communes ?

Si Joseph Kabila avait voulu s’allier militairement au M23, ce dernier serait déjà présent dans le Katanga, la région dont est originaire Kabila et où il bénéficie d’un grand appui. Il ne faut pas oublier que c’est aussi Kabila, du temps de sa présidence, qui a construit l’armée des FARDC. Il maîtrise donc l’essentiel de ses rouages. S’il y avait une collaboration militaire, la rébellion serait encore plus étendue.

Selon Joseph Kabila, il s’est rendu à l’Est pour s’enquérir de la situation dans la région, et discuter avec le M23 dans le cadre de la résolution du conflit. Dans ses interviews ces derniers temps, on voit qu’il se présente comme celui qui va rassembler « l’opposition politique non armée » du pays. Il a déjà rencontré Moïse Katumbi, Claudel Lubaya et Frank Diongo (hommes politiques congolais, NDLR), avec qui il a eu des discussions en ce sens. On pourrait donc bientôt voir naître un troisième pôle politique congolais, qui viendrait s’ajouter aux deux autres: une opposition non armée menée par Kabila, le gouvernement, et enfin la dynamique politico-militaire menée par l’AFC/M23.

Ces derniers temps, les réseaux sociaux et la presse congolaise annoncent même une rencontre de l’opposition non armée congolaise ailleurs sur le continent africain, pour essayer de structurer cette dynamique et de se préparer à un grand dialogue national. Ne l’oublions pas : le but de cet accord avec le M23, et de ces dialogues de l’opposition est de créer un climat de transition pour rendre possibles des élections apaisées en 2028.

Propos recueillis par Le Soir (Belgique)

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