Alors que le conseiller spécial de Donald Trump pour l’Afrique, Massad Boulos, semble s’aligner sur les positions rwandaises et du M23, un document stratégique exclusif, fruit d’échanges avec des analystes et stratèges politiques américains, lève le voile sur les raisons de ce revirement. Le report de la signature du « Deal minier » USA-RDC et l’insistance soudaine sur les «causes profondes » du conflit s’inscrivent dans une manœuvre plus large : imposer à la RDC un agenda où la paix sécuritaire précéderait l’exploitation économique. Ce changement de narratif, déclenché par le discours perçu comme souverainiste du président Tshisekedi aux Nations Unies, place Kinshasa face à un dilemme stratégique. Pour en sortir, Didier Bokungu Ndjoli du think tank Congopower Brainstorm-USA décrypte les six principes intangibles de la logique occidentale et esquisse une feuille de route pour que la RDC transforme cette crise en opportunité de recalibrage souverain. Tribune.
Ce document stratégique est un condensé des séances d’échanges réalisé ce week-end avec certains analystes et stratèges politiques US impliqués dans les résolutions des crises et de leurs conséquences.
Dans sa déclaration face à la presse le 26 courant, le conseiller spécial du Président Trump pour l’Afrique, M. Massad Boulos, semble adopter les positions affichées par le Rwanda et la coalition rebelle AFC/M23 par rapport à la résolution des conflits armés qui endeuillent l’Est de la RDC. Cette posture est perçue comme un revirement à 180 degrés par l’opinion congolaise et les observateurs de la situation congolaise, tenant compte des anciennes déclarations de M. Boulos à ce sujet.
Jusque-là, le Département d’Etat américain et la Maison Blanche n’ont pas communiqué à ce sujet. Toutefois, certains analystes, entre les lignes, donnent des argumentaires plausibles basés sur les logiques diplomatiques, économiques et sécuritaires pour donner une lecture stratégique de cette situation.
Ces dernières logiques expliqueraient aussi le retard pris pour la signature du Deal minier USA/RDC.
Pour eux, les deux questions sont maintenant liées. Les USA voudraient imposer un nouveau séquençage de la résolution des conflits armés en RDC. C’est-à-dire, un ordre du temps où la paix sécuritaire précède l’exploitation économique, ce qui n’était pas prévu au départ. Le tout devrait se faire parallèlement. Dans la pratique, c’est toujours la position défendue par les parties rwandaises (le Rwanda, ses proxies congolais et l’opposition politique en RDC) qui s’estimaient exclus du DEAL MINIER.
Alors pourquoi ce changement américain brutal?
ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR
Selon de nombreux analystes, il est tout à fait plausible que le discours souverainiste et minier du Président Tshisekedi à la tribune des Nations-Unies ait joué comme élément déclencheur du « réajustement américain ». Un discours mal compris par les stratèges de l’ombre des USA.
Le Président Tshisekedi a réaffirmé que la RDC n’enchérira pas ses ressources et qu’elles doivent servir d’abord au développement national. Question de montrer aux opposants du Deal minier, l’objectif noble de sa démarche. Mais hélas, l’écho de ce dernier, mal compris, a fait bouger les lignes aux USA.
En effet, ce type de prise de position publique rend plus difficile pour Washington de présenter le Deal minier comme acquis.
Devant l’Assemblée générale des Nations-Unies, ce discours a touché non seulement les partenaires directs (USA, UE, CHINE) mais aussi les pays du Sud qui regardent la RDC comme symbole d’une lutte pour la souveraineté des ressources.
Face à un Président congolais qui affirme haut et fort ses lignes rouges, l’administration Trump ne peut pas signer trop vite un Deal, risquant d’être perçu comme pillage néo-colonial et soutien unilatéral au Président Tshisekedi. D’où une mise en pause.
Pendant les mois de juillet, d’août et de septembre, les opposants au Président Tshisekedi ont cherché les voies et moyens d’infléchir la position américaine et l’enthousiasme des hommes d’affaires sur le Deal, et ce discours leur a donné une occasion en or pour tirer, enfin, les ficelles.
En changeant le séquençage pour arriver à la paix totale c’est-à-dire sécurité d’abord, économie ensuite, toute la pression repose désormais sur la RDC.
Si elle l’accepte tel que dit par M. Boulos, le Rwanda et le M23 vont renforcer leur poids dans le processus. Le Deal qui sera signé ultérieurement va les intégrer officiellement dans la chaîne de valeur. Si la RDC refuse, elle apparaît comme trop exigeante. Elle se mettra à dos les Républicains comme c’est fût le cas avec des Démocrates depuis 1994.
Elle est donc placée sciemment devant un dilemme, mais pour le résoudre, il faudrait décrypter ce que signifient les « causes profondes » de la crise pour se sortir de ce piège. La RDC devrait prendre des initiatives personnelles proactives.
Le dilemme met le pays dans un état où son pouvoir de négociation est faible. Il pourrait même tout brader pour « sauver sa peau ».
Le «revirement » de M. Massad Boulos et le report de la signature du Deal minier ne doivent pas être vus comme une défaite, mais comme une fenêtre de recalibrage stratégique pour la RDC.
Cette dernière a l’opportunité de lier sécurité et souveraineté économique dans une approche cohérente, tout en gardant ouverte la carte de la diversification internationale, sans froisser les USA.
La RDC ne peut pas noyer sa sécurité dans une logique régionale.

«LES CAUSES PROFONDES DE LA CRISE »
Monsieur Massad Boulos a parlé également des «causes profondes » de la crise et des exigences de transformation institutionnelle et de bonne gouvernance.
Ce qui est troublant, tous les opposants au Président Tshisekedi et partisans du Rwanda, parlent tout le temps des crises profondes de la crise. Mais personne n’est capable de nommer et d’identifier celles-ci. Depuis 1960, tous les conflits sanglants qu’a connus la RDC a pour base les «causes profondes » mais publiquement, personne ne vous les citera nommément car elles sont plutôt ailleurs.
Les congolais devraient savoir que les grandes puissances privilégient l’accès aux ressources stratégiques des pays institutionnellement faibles au détriment du bien-être des populations locales. Cette impression n’est pas seulement émotionnelle, elle découle d’indices concrets dans la dynamique actuelle.
Les pays faibles avec de grandes ressources sont considérés d’abord comme un réservoir stratégique des matières premières. Les négociations et leurs fonctionnalités sont asymétriques. Elles font souvent primer les clauses de sécurisation de sites miniers et d’accès aux concessions par rapport aux investissements sociaux de base (santé, éducation, infrastructures locales).
L’appui diplomatique ou militaire accordé cible la sécurisation des corridors miniers plus que la protection des populations.
De ce qui précède, pour comprendre les «causes profondes », phrase utilisée comme prétexte, il faudrait plutôt intérioriser les six principes de la logique occidentale.
LES SIX PRINCIPES DE LA LOGIQUE OCCIDENTALE
Depuis l’indépendance de la RDC le 30 juin 1960, le pays peine à transformer ses immenses richesses naturelles en prospérité nationale. Une grande partie de cette difficulté vient de la logique de l’Occident, qui fonde ses relations avec les pays riches en ressources sur des principes précis, centrés sur la défense de ses intérêts économiques. La compréhension de cette logique est essentielle pour éviter que la RDC ne soit un champ de bataille permanent, et pour mieux défendre sa souveraineté.
Tout manquement à ces six principes est assimilé à un acte d’hostilité.
Les pays voisins dictatoriaux et belliqueux de la RDC ont bien longtemps assimilé ces principes. C’est pour cette raison qu’ils sont utilisés comme proxies pour déstabiliser cette dernière.
Premier principe : Le business est piloté par le secteur privé. Dans la culture occidentale, ce sont les grandes compagnies privées (minières, énergétiques, financières) qui mènent les opérations. Le rôle des États est de protéger leurs intérêts, donc la mission principale de leur intervention est la sécurisation d’un cadre favorable à leurs entreprises.
Conséquence : les ambassades, les accords bilatéraux et même les interventions militaires servent en réalité à sécuriser l’environnement de ces entreprises.
Leçon pour la RDC : Il faudrait comprendre que dialoguer seulement avec les gouvernements occidentaux ne suffit pas; il faut gérer directement les relations avec les multinationales (conditions contractuelles, contentieux, lobbies). C’est comme cela que le Rwanda procède.
Deuxième principe : les businessmen s’intéressent aux terres et aux richesses, pas aux populations. Explication : la valeur recherchée par l’investisseur est dans le cobalt, le cuivre, le coltan, pas dans la santé ou l’éducation des congolais. L’humanitaire est juste un discours, le business est l’action.
Conséquence : les bénéfices sociaux ne viendront pas d’investisseurs. C’est l’Etat congolais qui devra les assurer par une bonne distribution de ressources et imposer des clauses de redistribution (fonds sociaux, infrastructures obligatoires). C’est de cela que M. Boulos parle comme clauses social, Environnement et bonne Gouvernance.
Leçon pour la RDC : ne pas attendre une « responsabilité spontanée » des investisseurs étrangers. Il faudrait Imposer par la loi et par contrats des obligations sociales traçables. Faute de contrats clairs et traçables, les investisseurs ne viendront jamais.
Troisième principe : Les réformes institutionnelles sont des instruments pro-business. Explication: les Occidentaux poussent le pays à se reformer via la Banque Mondiale, le FMI, la Commission Européenne) en mettant en avant la bonne gouvernance. Mais l’objectif caché est de créer un cadre juridique stable, transparent et favorable aux investisseurs.
Conséquence : si une réforme facilite le business (Cadastre minier digital, réduction de la corruption qui bloque les contrats), elle sera soutenue. Sinon, elle sera ignorée.
Leçon pour la RDC : profiter de ces réformes en les orientant non seulement pour « plaire aux bailleurs », mais aussi pour renforcer la souveraineté, la transformation du pays et sa modernisation.
Quatrième principe : Transparence et bonne gouvernance sont utilisées comme moyens, pas comme fins. Explication: la transparence est encouragée parce qu’elle réduit les risques financiers et rassure les investisseurs. Mais si cette transparence révèle des scandales qui nuisent au business, elle sera vite relativisée.
Conséquence : la lutte anti -corruption est soutenue quand elle fluidifie les affaires, pas forcément pour renforcer la justice sociale.
Leçon pour la RDC : transformer la transparence en outil de souveraineté, pas seulement en exigence extérieure : publier les contrats, montrer les recettes et investir de manière visible dans les besoins sociaux légitiment l’Etat vis-à-vis de ses administrés.
Cinquième principe : La démocratie est secondaire face au business. Explication: les démocraties fragiles et apparentes sont tolérées si elles garantissent un bon climat pro-business. Les pays voisins de la RDC belliqueux et aux régimes autoritaires (Rwanda, Ouganda) sont appuyés malgré leurs manquements démocratiques car ils garantissent « ordre et sécurité pour le business ».
Conséquence : les Occidentaux prêchent la démocratie dans leurs discours mais ferment les yeux si un régime peu démocratique sécurise leurs intérêts.
Leçon pour la RDC : ne pas se faire d’illusions. L’Occident ne soutiendra jamais la démocratie congolaise pour elle-même. C’est donc au peuple congolais de la défendre comme valeur nationale, pas comme cadeau extérieur.
Sixième principe : Sécurité, Justice et Administration sont des outils pour créer un climat pro-business. Explication: Le soutien militaire est souvent conditionné à la protection des corridors miniers, pas à la sécurité des populations.
Conséquence : Les endroits où les gisements miniers stratégiques sont menacés, les Occidentaux mettent la pression pour stabiliser; ailleurs, les massacres des populations peuvent être ignorés.
Leçon pour la RDC : En profitant du renforcement des capacités sécuritaires pour les zones minières, le pays peut tirer parti pour étendre ces capacités dans tout le pays. Le Rwanda et l’Ouganda ont profité d’aides sécuritaires sélectives comme proxies pour renforcer leurs armées aux fins de pousser leurs agendas cachés personnels en RDC.
Ce faisant, cette dernière peut également profiter de cette composante pour se renforcer militairement. Intégrer la logique sécuritaire sélective à une politique de développement national intégré (Routes, Justice, Police locale, Administration), afin que le pays tout entier bénéficie des efforts, pas seulement les zones minières.
SYNTHÈSE STRATÉGIQUE
Le revirement du narratif de Monsieur Massad Boulos est une opportunité stratégique à saisir par la RDC pour mieux sauter. La compréhension et l’intériorisation des six principes de la logique occidentale permet de résoudre la problématique des « causes profondes des crises récurrentes en RDC ».
Le Rwanda, l’Ouganda et plusieurs pays africains ont accepté de jouer le jeu pro-business occidental : stabilité apparente, contrôle autoritaire, accords rapides avec les investisseurs pour être mieux appuyés par les puissances occidentales.
L’Angola a utilisé les mêmes stratégies pour mettre fin à la rébellion UNITA de Jonas Savimbi. Comme résultat, malgré leur déficit démocratique, ils sont présentés comme des « partenaires fiables ».
Leçons pour la RDC : Réalisme stratégique (comprendre que l’Occident raisonne d’abord en termes d’intérêts économiques, pas de morale) ; Souveraineté contractuelle (pas attendre le Deal minier pour commencer à entreprendre des réformes. Mettre noir sur blanc, dans la loi et dans les contrats, des clauses de contenu local, de redistribution sociale et de transparence publique) ; Diplomatie économique proactive (aller vers les grands fonds d’investissement avec des propositions claires (Projets pilotes, hubs de transformation), plutôt que subir leurs conditions); Etat fort et crédible (réduire la corruption, renforcer L’administration du pays et donner de la visibilité aux populations sur l’utilisation des revenus); faire du copier-coller (s’inspirer des autres en adoptant le réalisme pro-business, mais en équilibrant par une identité qui présente la RDC comme un modèle alternatif).
Comprendre cette logique n’est pas une soumission. C’est accepter de la maîtriser et de l’inverser en faveur de la RDC. Par rapport aux propos de Monsieur Massad Boulos, il est conseiller au Gouvernement congolais d’adopter un silence diplomatique stratégique mais agir par des actes palpables positifs pour se faire respecter. Une surenchère rhétorique serait contre-productive pour la RDC.
Fait à Raleigh (North Carolina, USA), le 29 septembre 2025.
(*) Le titre a été modifié par la rédaction
Didier BOKUNGU NDJOLI
Directeur exécutif de CONGOPOWER BRAINSTORM-USA, NPC (Think tank, Consultance stratégique, Intelligence & Guerre Économique, Analyses stratégiques politiques et économiques, Expertise Transports Aériens et Mise en place des PPP dans les infrastructures de transport).

