Trois mois après les célébrations, le constat du président Tshisekedi transforme une prétendue victoire diplomatique en un constat d’échec qui valide rétrospectivement toutes les critiques.
De l’euphorie triomphale à la prudence inquiète : un glissement révélateur
Le 27 juin 2025, la diplomatie congolaise se pare des atours de la victoire. L’Accord de Washington est présenté comme un coup de maître historique, une paix obtenue en un jour par la seule force de la négociation. Puis, le silence. Trois mois plus tard, dans l’arène des Nations Unies et devant son peuple à Kinshasa, le discours du président Félix Tshisekedi a opéré une mue significative : il ne parle plus que d’une paix «fragile », exigeant un «engagement constant» et des «garanties de mise en œuvre ». Ce glissement lexical, de l’euphorie à l’inquiétude, est bien plus qu’un ajustement de communication : c’est un aveu. Le chef de l’État reconnaît implicitement que la promesse initiale était surdimensionnée, voire irréaliste. Le triomphe s’est évaporé, laissant place au constat d’une fragilité que les sceptiques avaient annoncée.
L’insistance présidentielle comme confirmation des manquements
Dès l’origine, nos analyses dénonçaient les failles abyssales de cet accord : son inconstitutionnalité flagrante, le braderie de la souveraineté et de la sécurité nationale, l’impunité offerte aux criminels, et le paradoxe d’une signature avec le Rwanda, présenté comme simple «garant» alors qu’il est l’agresseur désigné par les résolutions onusiennes. Nous y voyions un «rideau de fumée », un texte irréaliste incapable d’apporter la paix tant espérée. La seule garantie avancée par le gouvernement tenait en un credo naïf : «Quand l’Amérique parle, la cause est finie». Un credo d’autant plus fragile que l’Amérique affairiste de Trump n’est plus celle qui, mythifiée ou non, incarnait un certain ordre international.
Aujourd’hui, le Président Tshisekedi, dans un retournement saisissant, en appelle à l’ONU – dont il a pourtant méprisé les résolutions favorables à la RDC – pour « veiller à l’application stricte » de l’accord. Il rappelle que certains engagements, comme le retrait des troupes étrangères et la fin du soutien au M23, sont « non négociables ». Mais cette insistance n’est pas une démonstration de force; c’est une confession. Si le président doit rappeler l’évidence, c’est que ces engagements fondamentaux n’ont tout simplement pas été respectés. Son propre plaidoyer devient la preuve ultime de notre thèse : l’accord n’était pas un instrument opérationnel de paix, mais une déclaration d’intention vouée à rester lettre morte.
La justice, parent pauvre d’un accord sans âme
Notre critique fondamentale portait sur le sacrifice de la justice pour les victimes, réduite à une variable d’ajustement diplomatique. Aujourd’hui, le président évoque soudain la nécessité d’un «volet judiciaire » pour éviter l’impunité. Cet ajout tardif, arraché par l’âpre réalité du terrain, confirme que la justice n’était pas la pierre angulaire de l’édifice, mais une simple concession faite a posteriori, un placage cosmétique sur un texte qui n’en voulait pas. Une paix sans justice n’est qu’une trêve temporaire. En reconnaissant cette omission, le pouvoir en révèle la nature profondément cynique.
La souveraineté proclamée, la souveraineté conditionnelle
Le président continue d’affirmer que l’accord respecte la souveraineté de la RDC. Pourtant, dans le même souffle, il réclame l’appui constant de l’ONU et de la communauté internationale pour en assurer l’exécution. Cette dépendance assumée dévoile la vérité derrière les proclamations : la souveraineté congolaise n’est pas pleine et entière, mais conditionnelle et sous tutelle. C’est l’exacte définition d’une souveraineté de façade, un concept que nous dénoncions en qualifiant l’accord de « rideau de fumée ». Les mots du président actent cette réalité : la RDC n’a pas les moyens d’imposer sa paix; elle doit en déléguer la garantie à d’autres.
Conclusion : l’histoire accélérée d’un mirage
En définitive, sans peut-être en avoir pleinement conscience, le Président Tshisekedi a validé, point par point, l’argumentaire des sceptiques. Son propre diagnostic est un aveu accablant : les troupes étrangères sont toujours là; le M23 n’est pas neutralisé ; les engagements clés sont restés lettre morte; la paix n’est qu’un vœu pieux, conditionné à la bonne volonté d’autrui.
Tshisekedi n’a pas contredit nos critiques; il les a entérinées par son propre constat d’échec. Derrière le langage diplomatique se profile amèrement la réalité que nous avions décrite: celle d’un «tas de papiers voué à l’emballage de cacahuètes », célébré dans l’urgence médiatique avant d’être relégué au rang des illusions perdues.
L’histoire, écrivions-nous, jugera s’il s’agissait d’un tournant ou d’un mirage. Il semble qu’elle ait déjà répondu. Le mirage s’est dissipé, et il n’en reste que l’épitaphe, prononcée par celui-là même qui croyait en avoir fait un monument.
Me Guy-Patrick Kiba Typo
Avocat et politologue, expert en droits humains, en droit constitutionnel et en gouvernance démocratique.

