À deux ans et demi de la fin de son second et dernier mandat, le Président Félix Tshisekedi a les yeux rivés sur la présidentielle de 2028. Hanté par la déroute de son prédécesseur Joseph Kabila, dont le dauphin non préparé, Emmanuel Ramazani Shadary, fut sèchement battu, Tshisekedi semble déjà mettre en place un « Plan B » infaillible. Alors que l’Union Sacrée de la Nation (USN) caresse encore l’idée d’une révision constitutionnelle pour un troisième mandat, le Chef de l’État n’écarte pas l’option d’un dauphin pour porter ses couleurs. Et c’est là qu’un nom émerge avec force : celui de la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka. Ses récentes et incessantes tournées d’itinérance en provinces (Lualaba, Tanganyika, Kongo Central…) ne seraient pas le fruit du hasard, mais un «schéma politique bien tracé ». En se rapprochant du Congo profond et en consolidant son emprise nationale, Judith Suminwa serait en pleine préparation pour assumer le rôle de dauphine et garantir la pérennité du pouvoir de l’USN en 2028. Tshisekedi est-il en train de préparer méticuleusement l’oiseau rare qui succédera à son règne? L’échéance est lancée.
Alors que la République Démocratique du Congo s’apprête à célébrer le septième anniversaire de l’accession de Félix Tshisekedi au pouvoir, les cercles du pouvoir kinois bruissent déjà d’une question cruciale: qui succédera au Président de la République en 2028 ? Contrairement à son prédécesseur Joseph Kabila, qui avait attendu la dernière minute pour désigner un dauphin mal préparé, Félix Tshisekedi orchestre avec méthode et anticipation sa sortie par la grande porte.
La déroute cuisante d’Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat propulsé in extremis par Joseph Kabila en 2018, continue de hanter les mémoires politiques.
«Le Président Tshisekedi a tiré les enseignements de l’échec de son prédécesseur», analyse un conseiller à la Présidence de la République sous couvert d’anonymat. «Désigner un successeur sans préparation, c’est condamner son camp à la défaite. Cette fois, la transition se prépare avec près de trois ans d’avance », souligne-t-il.
Au sein de l’Union Sacrée de la Nation (USN), la majorité présidentielle, deux scénarios coexistent. Le premier, porté par certains barons du régime, envisage toujours une révision constitutionnelle pour modifier l’article 220 qui limite le nombre de mandats. Le second, considéré comme plus réaliste, mise sur la préparation méthodique d’un successeur crédible.
Suminwa : le choix de la maturation progressive
C’est dans ce contexte que le nom de Judith Suminwa Tuluka, première femme à accéder au poste de Premier ministre en RDC, acquiert une résonance particulière. Selon plusieurs sources concordantes au sein de l’appareil d’État, la cheffe du gouvernement serait la favorite dans la course à la succession présidentielle.
«Ses déplacements répétés en province ne doivent pas être lus comme de simples missions gouvernementales », décrypte un cadre de l’USN. « Il s’agit ni plus ni moins d’une tournée de pré-campagne soigneusement chorégraphiée par le palais présidentiel », note-t-il.
L’ingénierie de la notoriété
Le calendrier des déplacements de la Première ministre est éloquent : après le Lualaba et le Tanganyika, c’est au Kongo Central qu’elle a récemment déployé son agenda.
Chaque visite obéit à un schéma identique : rencontres avec les autorités locales, inauguration de projets structurants, échanges avec la société civile et moments de communion avec les populations.
« Suminwa incarne le visage moderne et compétent que Tshisekedi veut donner à sa succession », estime un politologue congolais, rappelant qu’«elle représente à la fois la continuité et le renouveau, tout en étant suffisamment loyale pour garantir les intérêts du président sortant ».
L’approche contraste volontairement avec les méthodes de l’ancien régime. Là où Kabila avait attendu le dernier moment pour imposer Emanuel Shadary, Tshisekedi mise sur le temps long. Là où l’ancien président de la République avait opté pour un soldat loyal mais politiquement inexpérimenté, Félix Tshisekedi parie sur un technocrate capable d’incarner un projet de société.
«La désignation de Suminwa au poste de Premier ministre n’était pas un acte isolé », souligne un proche collaborateur de la Présidence de la République. «C’était la première étape d’un processus de légitimation qui doit s’étaler sur plusieurs années ».
Les défis de la succession
Le chemin reste néanmoins semé d’embûches. En interne, l’USN reste une coalition hétéroclite où les ambitions sont nombreuses. Certains poids lourds de la majorité pourraient contester le choix d’une personnalité perçue comme issue du sérail technocratique plutôt que du monde politique.
«Suminwa devra convaincre qu’elle est capable de maintenir l’unité de la majorité, tout en élargissant sa base électorale », note un diplomate européen en poste à Kinshasa. Et de nuancer : « Son manque d’enracinement politique constitue à la fois sa faiblesse et sa force ».
Au palais de la Nation, l’équipe présidentielle travaille déjà à la construction d’un récit de succession. L’objectif : présenter 2028, non pas comme une rupture, mais comme l’aboutissement naturel du projet initié par Tshisekedi. La Première ministre apparaît comme la candidate idéale pour incarner cette continuité.
«Le Président Tshisekedi veut laisser un héritage durable », confie un membre du cabinet présidentiel. «La meilleure façon d’y parvenir est de s’assurer que sa vision politique lui survive. Suminwa représente cette garantie ».
Les prochains mois décisifs
Les observateurs s’accordent à dire que les douze prochains mois seront cruciaux pour Judith Suminwa. Son bilan à la tête du gouvernement, sa capacité à gérer les dossiers sensibles et son habileté à naviguer dans les eaux troubles de la politique congolaise seront scrutés comme autant d’indicateurs de sa viabilité en tant que candidate potentielle.
« Si elle parvient à imposer son style, tout en maintenant la cohésion de la majorité, elle deviendra difficilement contournable », prédit un ancien ministre.
Alors que la RDC entre dans une phase politique inédite de pré-succession annoncée, un constat s’impose : Félix Tshisekedi, en stratège avisé, a d’ores et déjà lancé la plus importante opération politique de son second mandat : la préparation de sa propre succession. Et dans ce jeu délicat, Judith Suminwa Tuluka apparaît de plus en plus comme la pièce maîtresse d’un échiquier soigneusement préparé.
Hugo T.