De retour du Global Gateway Forum 2025, la Présidence de la République a publié une analyse exhaustive du message porté à Bruxelles par le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi. Au-delà de la polémique avec le Rwanda, se dessine une vision stratégique : celle d’une RDC « Pays-solution » qui assume son rôle de pivot continental, tout en documentant avec précision l’agression subie dans l’Est et en maintenant ouvertes les portes du dialogue.
Le message du Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, au Global Gateway Forum 2025 à Bruxelles (Belgique) continue de faire couler beaucoup d’encre. Portant une vision d’une Afrique « souveraine, partenaire et moteur de la transformation mondiale », le Chef de l’État a présenté la RDC comme un « Pays-solution » aux défis énergétiques, climatiques et logistiques du XXIe siècle. Cependant, c’est sa main tendue à Paul Kagame pour une « paix des braves » – et la réponse cinglante de Kigali – qui a polarisé l’attention internationale.
Face aux réactions du gouvernement rwandais, Econews a eu accès à un document de la Présidence de la République qui reprend une analyse exhaustive en neuf points, visant à « éclairer l’opinion nationale et internationale » sur les véritables enjeux soulevés par le Chef de l’Etat.
Une vision géostratégique : la RDC comme pivot continental
Le document commence par replacer la participation du Président Tshisekedi au Forum Global Gateway dans une perspective plus large. Loin de se limiter à la question sécuritaire avec le Rwanda, la délégation congolaise a porté un projet ambitieux : positionner la RDC comme un « pivot géostratégique pour la connectivité du continent ». Ainsi, la RDC se présente comme un « pont entre les océans Atlantique et Indien », un « centre énergétique capable d’alimenter la transition verte mondiale » et un « bassin de stabilité » dont les ressources et la jeunesse peuvent refonder le partenariat Afrique-Europe.
« Son message, entendu et salué par plusieurs dirigeants européens et africains, a rappelé que la RDC ne se définit pas par l’assistance, mais comme un pays-solution au cœur des équilibres du XXIe siècle », souligne le document. Cette affirmation s’appuie sur les atouts multiples du pays : solution énergétique avec le potentiel hydroélectrique du fleuve Congo et les ressources solaires, solution climatique avec la forêt du bassin du Congo, solution minière avec les métaux stratégiques pour la transition énergétique, et solution logistique par sa position centrale en Afrique.
Une diplomatie de bon voisinage constante et documentée
Le document rappelle que la politique étrangère du Président Tshisekedi a été marquée, dès son accession au pouvoir en 2019, par une volonté systématique d’ouverture et de dialogue. « Le Chef de l’État Congolais a entrepris une politique de rapprochement avec tous les pays limitrophes, y compris ceux avec lesquels les relations avaient été marquées par la méfiance historique », peut-on lire.
Kinshasa met en avant un fait souvent passé sous silence dans les analyses internationales : la médiation active du Président Tshisekedi et de son homologue angolais João Lourenço qui a conduit à la signature d’un mémorandum d’entente entre le Rwanda et l’Ouganda en août 2019, mettant fin à une période de fortes tensions entre ces deux pays. « Cette initiative diplomatique, saluée par les gouvernements rwandais et ougandais, témoigne de la volonté constante du Président Tshisekedi d’agir en artisan de paix régionale », affirme le document.
L’agression rwandaise : un « fait établi » face au principe de « légitime défense »
Face aux accusations de Kigali, le document opère une distinction juridique rigoureuse. Il rappelle qu’« en droit international, une déclaration politique exprimant la détermination d’un État à se défendre ne constitue pas en soi une agression ». Seuls des « actes militaires caractérisés » franchissant une frontière internationale peuvent être qualifiés d’agression, selon la Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1974.
Le document souligne que « depuis 2019, aucune opération militaire des Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) n’a visé le territoire de la République du Rwanda ». À l’inverse, la RDC s’appuie sur « les rapports successifs du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC » pour affirmer que « l’agression du territoire de la République Démocratique du Congo par le Rwanda constitue un fait établi ».
Le texte détaille les éléments qui, selon Kinshasa, démontrent que « le Rwanda exerce un contrôle effectif, continu et direct sur un groupe armé opérant en territoire étranger », en violation manifeste des principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et de non-ingérence consacrés par la Charte des Nations Unies et l’Acte constitutif de l’Union africaine.
Le processus de paix : Kinshasa signataire, Kigali dans l’entrave ?
Le document dresse également une chronologie précise et documentée des pourparlers de paix, visant explicitement à contrer le récit porté par le Rwanda. Il révèle notamment que le Président Paul Kagame a « refusé de participer à la cérémonie finale du Processus de Luanda le 15 décembre 2024 », alors qu’un accord était prêt à être signé et que les délégations techniques des deux pays avaient trouvé un terrain d’entente à 98%.
« La RDC a, dès lors, poursuivi son engagement pour la paix malgré ce revers », souligne le document, énumérant méticuleusement les étapes suivantes : la rencontre de Doha sous médiation qatarienne en mars 2025, la signature de l’Accord de Washington le 27 juin 2025 instituant un mécanisme conjoint de suivi et de désescalade, et la Déclaration de principes de Doha le 19 juillet 2025 venant consolider les engagements de Washington.
« Le Gouvernement congolais souligne qu’il reste impatient de voir ces engagements se traduire en actes concrets, car chaque jour de retard équivaut à des vies congolaises perdues, des femmes violées et des villages détruits », assène le document. Cette « impatience » est présentée non comme une faiblesse diplomatique, mais comme la légitime expression de « la souffrance d’un peuple meurtri qui attend que la paix cesse d’être différée ».
Un bilan humain tragique et un appel à la conscience historique
Répondant aux tentatives rwandaises de minimisation du bilan humain du conflit, la RDC brandit le chiffre de « plus de 5,4 millions de personnes » tuées, selon l’étude de l’International Rescue Committee (IRC) publiée dans The Lancet en 2007, un chiffre « reconnu par les Nations Unies ». A cet effet, le document précise que « 18 ans plus tard, le conflit continue à faire des victimes, évaluées à plus de 10 millions pour l’ensemble de la tragédie ».
« Qualifier ces données de ‘fabriquées’ est une insulte à la mémoire des victimes et une tentative de négationnisme politique inacceptable », rétorque Kinshasa avec une fermeté inhabituelle. Le document réaffirme que « la paix ne peut être bâtie sur le déni des souffrances vécues, mais sur la reconnaissance des faits, la justice et la réparation pour les victimes ».
Le sacrifice des soldats de la SADC honoré
Le document salue également le sacrifice des soldats de la Mission de la SADC (SAMIDRC) « tombés au champ d’honneur », rappelant que leur déploiement s’est fait « à la demande du Gouvernement congolais » et « dans le strict respect du principe de défense collective africaine ». Les forces sud-africaines, tanzaniennes et malawites « ont payé un lourd tribut dans leur mission de protection des populations civiles, et leur courage honore l’Afrique tout entière ».
Les insinuations rwandaises sur une prétendue « défaite » de la SADC sont qualifiées de « cynisme » face au sacrifice consentis par ces soldats pour la stabilisation de la région.
La main tendue : un acte de force stratégique, non de faiblesse
La décision du Président Tshisekedi de suspendre temporairement son plaidoyer pour des sanctions internationales contre le Rwanda est longuement expliquée. Elle est présentée non comme une « faiblesse » ou un « renoncement », mais comme un « choix stratégique délibéré en faveur de la paix ». Ce geste, « salué par de nombreux partenaires internationaux », témoigne d’une volonté de laisser toute sa chance au dialogue politique.
« La République Démocratique du Congo continue de privilégier le dialogue tout en demeurant ferme sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays », précise le document, rappelant que « son engagement pour la paix n’exclut pas sa volonté de défendre fermement ses intérêts et sa sécurité nationale ».
La recherche d’une paix fondée sur la vérité et la justice
En conclusion, le plaidoyer de Bruxelles est décrit comme un « acte de courage politique » qui démontre que « la RDC n’est pas belligérante ». La RDC se dit « fidèle » aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, particulièrement la Résolution 2773 du 21 février 2025, et aux processus combinés de Washington et de Doha.
Le document se termine par une réaffirmation solennelle de la « volonté inébranlable d’une paix durable fondée sur la dignité, la vérité, la souveraineté et la justice ». Cette publication détaillée marque une nouvelle étape dans la bataille communicationnelle et diplomatique qui oppose les deux capitales, alors que les populations civiles de l’Est de la RDC continuent de payer le prix du sang dans l’indifférence relative de la communauté internationale.
À travers ce document, Kinshasa reprend l’initiative narrative, combinant fermeté sur les principes et ouverture au dialogue, tout en documentant de manière systématique ses accusations contre le Rwanda. Une stratégie qui vise autant l’opinion internationale que le public congolais.
Econews

