Le franc congolais affiche une santé retrouvée face au dollar, mais cette performance cache une réalité alarmante : sur le terrain, les prix des denrées de base restent inaccessibles pour la majorité des Congolais. Dans cette tribune, Jonas Tshiombela, économiste-Juriste, alerte sur ce décalage dangereux qui profite aux spéculateurs et menace la cohésion sociale.
Il en appelle à une intervention urgente de l’État pour transformer cette stabilité monétaire en justice économique, avant que la fracture sociale ne mène à l’implosion. Décryptage.
Depuis plusieurs semaines, la République Démocratique du Congo assiste à une évolution macroéconomique inédite : le franc congolais s’est fortement apprécié face au dollar américain, symbole du «roi dollar» longtemps dominateur sur le marché. En théorie, cette appréciation devrait redonner du souffle aux ménages congolais.
En pratique, les prix des biens de première nécessité demeurent inchangés, voire augmentent.
Riz, huile végétale, farine, sucre, savon ou carburant : les étalages restent hors de portée du citoyen ordinaire. Ce décalage entre la stabilité monétaire et le coût réel de la vie interroge. Il trahit une faillite du mécanisme de régulation économique et expose la population à un risque réel : l’explosion sociale.
UNE APPRECIATION MONETAIRE SANS EFFETS SUR LE PANIER DE LA MENAGERE
La récente performance du franc congolais, saluée par la Banque centrale et le gouvernement, devrait logiquement induire une baisse des prix, notamment pour les produits importés. En effet, lorsque la monnaie nationale se renforce, il faut moins de francs pour acheter un dollar, et donc moins de francs pour importer un sac de riz, un litre d’huile ou une tonne de ciment. Or, sur les marchés de Kinshasa, de Lubumbashi, de Kisangani ou de Goma, les prix ne bougent pas.
Le franc s’est apprécié, mais les commerçants n’ont pas répercuté cette amélioration sur les prix de vente. Pourquoi ?
Parce qu’un réseau de spéculateurs et d’intermédiaires s’accapare les bénéfices de cette stabilité monétaire au détriment des consommateurs. C’est une forme de prédation économique que l’État ne peut plus ignorer.
Les spéculateurs : une menace silencieuse pour la cohésion sociale L’économie congolaise souffre d’un mal chronique : la spéculation sauvage. Chaque fois que la situation macroéconomique s’améliore, une chaîne de commerçants, d’importateurs et d’opérateurs financiers profite de l’absence de contrôle pour maintenir artificiellement les prix élevés. Résultat :
- L’État perd la confiance des citoyens.
- Le pouvoir d’achat s’érode.
- Les ménages sombrent dans la précarité.
- La paix sociale devient fragile.
Cette situation est d’autant plus dangereuse que la population congolaise est à bout. Avec un taux de pauvreté dépassant les 70 %, la moindre injustice économique peut allumer la mèche de la contestation. Une monnaie forte sans bien-être social n’est qu’une illusion de prospérité.
Le Gouvernement face à ses responsabilités : encadrer, contrôler et protéger Le temps des discours est révolu. L’heure est à l’action économique concertée. Le Gouvernement doit urgemment prendre des mesures d’encadrement des prix pour éviter que cette situation ne dégénère. Parmi les pistes concrètes : renforcer la surveillance économique à travers le ministère de l’Économie, les inspecteurs des prix de ministère de l’économie; publier régulièrement les barèmes de référence pour les produits debase (riz, huile, sucre, carburant, etc.); sanctionner les pratiques spéculatives qui exploitent la faiblesse du contrôle de l’État; mettre en place un mécanisme automatique d’ajustement des prix selon le taux de change réel; renforcer le dialogue avec les opérateurs économiques afin d’assurer une redistribution équitable des effets positifs de la stabilisation monétaire.
Il est temps que l’État assume pleinement son rôle de régulateur et de protecteur du pouvoir d’achat.
POUR UNE ECONOMIE AU SERVICE DE L’HOMME, PAS DES INTERETS PRIVES
La RDC ne peut pas se permettre de transformer la stabilité du franc congolais en une opportunité de profits illicites pour quelques-uns. La politique monétaire doit se traduire en politique sociale. Chaque famille congolaise doit sentir que la valeur de sa monnaie se reflète dans le prix de son pain quotidien.
C’est là le test de crédibilité du Gouvernement : protéger les faibles contre les excès des puissants; transformer la stabilité monétaire en justice économique; préserver la paix sociale à travers la régulation.
PREVENIR L’IMPLOSION SOCIALE PAR LA JUSTICE ECONOMIQUE
L’heure est grave mais pas désespérée. Si le Gouvernement agit maintenant avec rigueur, transparence et courage la RDC peut convertir la stabilité de sa monnaie en levier de relance du pouvoir d’achat. Mais si rien n’est fait, les frustrations accumulées risquent de se transformer en colère populaire, incontrôlable et légitime. Le peuple ne réclame pas des théories monétaires : il veut vivre dignement, manger à sa faim et voir la valeur de son franc dans son panier de marché.
C’est à ce prix que la stabilité économique se transformera en véritable paix sociale.
JONAS TSHIOMBELA COORDONNATEUR DE LA NOUVELLE SOCIÉTÉ CIVILE DU CONGO (NSCC)

