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Spoliation foncière : un fléau organisé en réseau, au cœur même de l’État (Enquête exclusive d’Econews)

En République Démocratique du Congo, la spoliation foncière n’est plus une dérive isolée ni l’œuvre de quelques individus sans scrupule. C’est un système structuré, organisé, protégé, et parfois même encouragé dans les hautes sphères du pouvoir. Des maisons de l’Etat et des parcelles privées changent illégalement de mains sous le couvert de documents officiels. Derrière ces manœuvres, des réseaux tentaculaires mêlant magistrats, avocats, agents publics, militaires et cadres politiques : une véritable mafia foncière institutionnalisée. Témoignage d’un ex-membre de ces gangs qui s’est confié à Econews sous le sceau de l’anonymat.

Alerté par la gravité du phénomène, le ministre d’État en charge de la Justice, Guillaume Ngefa, a récemment instruit les parquets civil et militaire d’ouvrir des enquêtes pour «démanteler les réseaux FOLIO», tristement célèbres pour leur spécialisation dans la falsification de titres immobiliers.

Selon lui, la spoliation foncière constitue désormais «une menace directe contre l’autorité de l’État et la sécurité juridique des citoyens ».

Mais derrière les déclarations officielles, Econews a voulu comprendre comment ce système fonctionne réellement. Notre équipe a rencontré un témoin clé : Maître Sacré – un nom d’emprunt –  ancien membre repenti d’un réseau de spoliation basé dans la commune de Limete, dans la ville de Kinshasa, cœur de ces réseaux maffieux.

Témoignage exclusif : à l’intérieur d’un réseau de spoliation

«J’étais dans un réseau bien organisé. Nous avions des avocats, des magistrats, des agents des Affaires foncières, des officiers de police et même des militaires. Chacun avait un rôle précis », confie Maître Sacré, la voix posée mais encore empreinte de crainte.

Selon son récit, tout commence par l’identification d’un bien « spoliable » : maisons de l’État laissées à l’abandon, terrains non entretenus, parcelles aux titres contestés ou sans suivi administratif. Ces propriétés deviennent des proies idéales.

Une fois le bien ciblé, le réseau s’active. Des agents des Affaires foncières fouillent les archives, modifient les dossiers originaux, déplacent certaines pièces et en insèrent de nouvelles, entièrement fabriquées dans des bureaux occultes. Les avocats affiliés montent ensuite un dossier juridique complet, pendant que des greffiers complices introduisent les faux documents dans les registres officiels. Enfin, des juges délivrent des jugements d’exécution falsifiés pour donner une apparence légale à la manœuvre.

«Tout semblait en ordre. Les cachets, les signatures, les actes : tout était vrai… sauf le fond », révèle Maître Sacré.

Une « légalité » construite de toutes pièces

Dans ces bureaux occultes, la production de faux documents s’effectue avec une précision quasi industrielle.

«Nous fabriquions tout : certificats d’enregistrement, plans cadastraux, actes de vente, procès-verbaux de bornage, reçus de paiement, permis de construire… tout », poursuit notre témoin.

Grâce à la complicité de certains cadres de l’administration foncière, ces faux documents finissent par être insérés dans les archives officielles. Une fois intégrés au système, ils deviennent presque impossibles à contester.

Résultat : une spoliation légalisée, parfaitement camouflée dans les procédures administratives et judiciaires.

Un système protégé par des «intouchables »

Le plus effrayant dans ce réseau, selon Maître Sacré, c’est la protection politique et judiciaire dont il bénéficie : « Des magistrats, des avocats, des officiers, mais aussi des conseillers proches du pouvoir sont impliqués. Personne ne veut parler, parce que tout le monde a peur. Ces réseaux sont couverts d’en haut. »

C’est cette impunité qui alimente le système. Des ordres de déguerpissement sont exécutés sans vérification, au nom de jugements truqués. Des familles entières se retrouvent à la rue, chassées de leurs maisons « au nom de la loi », pendant que les biens spoliés sont revendus à des prix exorbitants.

Le cri d’alarme du ministère de la Justice

Le ministre d’Etat en charge de la Justice et Garde des sceaux, Guillaume Ngefa, promet une réponse énergique. Son ministère entend « restaurer la confiance dans la Justice et protéger le patrimoine public ». Mais sur le terrain, beaucoup doutent de l’efficacité de ces promesses.

«Comment espérer une réforme quand ceux qui doivent la mener font partie du système ? » ironise un avocat du barreau de Kinshasa contacté par Econews.

Les parquets civils et militaires ont reçu l’ordre d’agir, mais la mission s’annonce titanesque. Le réseau est profond, ancien, et solidement enraciné dans l’appareil d’État.

Pour Maître Sacré, la seule issue passe par une refondation complète du système foncier : «Tant que les archives resteront manipu-lables, rien ne changera. Il faut une base de données numérique et sécurisée, et un contrôle indépendant des décisions de justice concernant les biens immobiliers. »

En attendant, les spoliations continuent. Chaque jour, des maisons changent de propriétaires, des familles perdent leurs biens, des titres de propriété s’évaporent. Dans les couloirs des tribunaux comme dans les bureaux des Affaires foncières, l’argent et les connexions valent plus que la loi.

Une urgence nationale étouffée par le silence

Les révélations de Maître Sacré mettent à nu un mal profond : la capture de l’État par ses propres agents. Ce fléau, qui touche à la fois le patrimoine public et privé, menace les fondements mêmes de la société congolaise.

Tant que la spoliation restera protégée par des intérêts puissants, le droit de propriété restera une illusion en RDC.

Econews poursuivra ses investigations dans les semaines à venir, en interrogeant magistrats, avocats et responsables administratifs sur ce système opaque. Car derrière chaque maison volée, c’est souvent une vie détruite et un État affaibli.

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Econews