La récente et spectaculaire appréciation du Franc congolais face au dollar est présentée par les autorités comme une victoire. Sur le terrain, c’est un casse-tête pour les Congolais. Alors que la monnaie nationale se renforce, le pouvoir d’achat, lui, s’effondre. Les prix des produits de base et ne suivent pas la baisse du taux de change, contraignant les ménages à débourser plus pour un même panier. Pire, les entreprises détenant des dollars voient leurs recettes fondre, menaçant les salaires et l’emploi. Une situation paradoxale où la force affichée de la monnaie se traduit par un appauvrissement général.
Le Franc Congolais (FC) s’est récemment illustré par une remontée spectaculaire face au Dollar américain (USD), une performance que la Banque Centrale du Congo (BCC) et le Gouvernement célèbrent comme un succès de leur politique monétaire et budgétaire. Cependant, sur le terrain, cette prétendue embellie monétaire est accueillie avec amertume et désillusion.
Loin de renforcer l’économie nationale, cette appréciation subite du FC se révèle être un trompe-l’œil aux conséquences dramatiques, laminant le pouvoir d’achat des ménages et fragilisant la trésorerie des entreprises. Pour une large frange de la population, la Banque Centrale, dont la mission est d’assurer la stabilité, a créé une situation de précarité perçue comme une véritable « escroquerie ».
La double peine du consommateur : taux fort, prix intangibles
Le cœur du dilemme réside dans le décalage flagrant entre le taux de change officiel et la réalité des prix sur les marchés. Un père de famille, témoignant de son calvaire, résume la situation : « Ce que la Banque Centrale du Congo gagne en taux de change, nous le perdons en pouvoir d’achat. »
Il y a quelques semaines, lorsque le dollar s’échangeait à 2.800 FC, 20 USD équivalaient à 56.000 FC, un montant suffisant pour couvrir l’essentiel de sa ration quotidienne. Avec l’intervention de la BCC, le taux a chuté à environ 2.100 FC/USD, ramenant la valeur de ses 20 dollars à 42.000 FC. Le problème ? Les prix des produits de première nécessité, souvent indexés en dollars, n’ont suivi aucune trajectoire baissière. Bien au contraire. Il est désormais contraint d’ajouter une somme significative – au moins 14.000 FC dans son cas – pour combler l’écart.
«Je suis obligé d’ajouter au moins 16.000 FC pour corriger le gap, si non la famille meurt de faim parce que, sur le marché, les prix n’ont pas bougé. Bien au contraire », se plaint-il
Ce mécanisme d’appauvrissement est systématiquement rapporté par tous les acteurs économiques. Le secteur des services est tout aussi touché. Un taximan, désabusé, explique qu’avec un taux de change élevé (2.800 FC/USD), il lui suffisait d’un petit complément pour acheter 20 litres d’essence. Aujourd’hui, malgré le nouveau taux à 2.100 FC/USD, il se retrouve à devoir débourser 6.000 FC de plus pour la même quantité de carburant. L’appréciation de la monnaie lui coûte, concrètement, plus cher : « Qui a finalement perdu ? N’est-ce pas moi ! Avec ce taux de change en chute, la BCC nous a escroqué. Ce n’est pas sérieux ».
Le piège des transactions et la mise en cause des fondamentaux monétaires
L’arbitraire de la situation s’illustre de manière criante dans le commerce. Un autre citoyen raconte sur les réseaux sociaux l’achat d’un livre scolaire à 54.000 FC. Alors qu’il y a peu, il pouvait payer avec 20 USD acceptés à 2.700 FC, la même librairie a récemment refusé le dollar. Contraint d’échanger ses 20 USD au taux décoté de 2.000 FC chez les cambistes, il n’a obtenu que 40.000 FC. Il a donc dû ajouter 14.000 FC en espèces. Ce qui était initialement payé avec 20 USD seulement, nécessite désormais 20 USD plus un complément en Francs Congolais, prouvant l’inefficacité et la nature dommageable de cette «stabilité» sur le pouvoir d’achat quotidien.
D’où, sa conclusion : « Ça c’est sur un seul produit. Rapportons à tous les produits que nous achetons pendant la journée, et nous verrons combien on nous appauvrit ».
Cette politique est pointée du doigt pour avoir créé une «appréciation factice de la monnaie », alors que la mission première de la Banque Centrale est d’assurer la stabilité des prix, c’est-à-dire la maîtrise de l’inflation.
L’étranglement des entreprises et la menace sur l’emploi
L’impact le plus structurant se fait sentir sur les entreprises, notamment les PME qui gèrent leurs flux de trésorerie en dollars, la monnaie de référence pour les transactions. L’article prend l’exemple éloquent d’une petite entreprise qui retirait 1.000 USD par mois pour payer cinq employés, chacun recevant 570.000 FC.
Lorsque le taux était à 2.850 FC/USD, les 1.000 USD généraient 2.850.000 FC, suffisant pour les salaires. Avec le nouveau taux à 2.100 FC/USD, la même somme en dollars ne rapporte plus que 2.100.000 FC. Il manque 750.000 FC pour payer les salaires convenus. L’entreprise est prise à la gorge : augmenter ses charges pour combler le déficit, réduisant son bénéfice voire générant une perte; réduire son personnel, créant du chômage et menaçant sa productivité globale.
L’entreprise est prise en ténaille, note un analyste économique : «Alors, soit elle va augmenter ce montant, et alourdir ainsi ses charges d’exploitation en baissant du coût son bénéfice, au risque même de faire une perte, soit elle va envisager de réduire son personnel, et créer du chômage. Au demeurant, diminuer son personnel peut aussi réduire sa productivité. Que ceux qui applaudissent, me disent ce que cette entreprise doit faire. J’attends les réponses ».
Ce dilemme met en lumière l’impasse économique causée par l’intervention monétaire: la «victoire» du taux de change de la BCC se traduit, pour l’économie réelle, par une augmentation forcée des coûts d’exploitation ou une coupe dans les effectifs. L’honneur monétaire revendiqué par le Gouvernement se fait ainsi au prix fort : celui de l’appauvrissement généralisé et de la menace sur l’emploi. Il reste à voir si les autorités répondront aux critiques acerbes des acteurs économiques, qui exigent une politique monétaire en phase avec la réalité du marché et le maintien du pouvoir d’achat.
Hugo Tamusa

