La nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine, publiée par Donald Trump en 2025, marque un tournant majeur : dans la région des Grands Lacs, la priorité n’est plus le terrorisme mais la compétition stratégique avec la Chine et la Russie autour des minerais critiques. Une rupture qui rebat les cartes géopolitiques, expose les limites de trois décennies d’ingérence libérale américaine et remet en lumière les alliances controversées ayant fragilisé la RDC, analyse Freddy Mulumba dans une tribune percutante.
Au mois de novembre 2025, le président Donald Trump a publié la stratégie de sécurité nationale des États-Unis d’Amérique qui définit sa politique étrangère. Pour l’Afrique et la région des Grands lacs, cette politique est orientée par le commerce et l’exploitation des minerais stratégiques et critiques. La lutte contre le terrorisme devient secondaire.
Sous les administrations de Donald Trump et de Joe Biden, la politique étrangère américaine dans la région des grands-Lacs a connu de changement. Pour rappel, l’Administration Clinton avait inauguré en 1992 une politique étrangère américaine dominée par le courant libéral. Pour cette école, la diffusion du libéralisme est censée rendre le monde plus sûr, plus pacifique et plus prospère. C’est dans ce contexte qu’il faut placer la vision de la nouvelle renaissance africaine lancée par l’équipe du président américain William Jefferson Clinton. Celui-ci voyais la renaissance africaine dans une perspective politique destinée à couper le continent des régimes dictatoriaux comme ceux de Mobutu et à mettre en place un nouveau leadership incarné par de personnalités comme les présidents Afeworki en Erythrée, Zenawi en Ethiopie, Museveni en Ouganda, Kagame au Rwanda. (Marina OTTAWAY, Africa’New Leaders, Democracy or state reconstruction ?, Carnegie Endowment for international peace, Washington, 1999).
Et derrière cette renaissance africaine se cachait les ambitions des multinationales occidentales surtout américaine de mettre la mainmise sur les richesses de la RDC. Cette nouvelle politique prônée par les Usa dans les Grands-Lacs n’a pas eu les fruits escomptés. C’est un fiasco comme le reconnait l’ancienne sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines et représentante des Usa aux Nations Unies Susan Rice : « Je pense que nous aurions été plus avisés d’expliquer notre approche en termes d’intérêts nationaux, tout en évitant de faire l’éloge de certains dirigeants et en dénonçant avec plus de force leurs échecs et leurs abus. » (Susan Rice, Tough Love, My Story of the Things Worth Fighting For, Simon § Schuster, New York, 2019).
Devenus gendarmes de la région des grands Lacs, présidents Museveni de l’Ouganda et Paul Kagame du Rwanda ont menés des guerres d’agression et d’occupation contre la RDC avec deux objectifs : piller les richesses avec la complicité des multinationales occidentales et faire imploser la RDC. Et dans le cadre de guerre contre le terrorisme, l’Ouganda abrite la base des opérations contre le terrorisme dans le grands Lacs et le Rwanda fournis des militaires formés par les Etats-Unis comme casques bleus de l’Onu.
Le choix du Rwanda peut s’expliquer par le fait que suite au génocide rwandais de 1994, Paul Kagame avait eu des défenseurs dans les administrations démocrates Clinton et Obama qui se sentaient coupables de ne pas avoir évité cette tragédie. Susan Rice s’exprime en ces termes : « Il est difficile d’exprimer les multiples façons dont le génocide rwandais m’a affecté. C’était un traumatisme personnel, une source de cauchemars et de profonds regrets. Bien que je n’étais pas un décideur de haut niveau, j’ai tout de même participé, au niveau opérationnel, à l’échec massif d’une politique. Je porte cette culpabilité en moi jusqu’à ce jour. Cela m’a rendu peut-être excessivement sympathique au Rwanda, à son peuple et à ses dirigeants.»
Cette culpabilité du génocide rwandais a eu un impact sur tous les rapports des experts des Nations Unies incriminant le Rwanda dans la tragédie congolaise malgré les preuves accablantes. Ici, qu’il faut relever le rôle nocif joué par la Représentante des USA aux Nations Unies madame Susan Rice.
Dans un article de Foreign policy du 29 juillet 2020, les risques de Susan Rice de Michael Hirsh, le journaliste pointe du doigt le soutien de président Paul Kagame aux Nations Unies. « Mme Rice a été critiquée par la suite pour sa relation avec le président rwandais Paul Kagame, qui fournissait et finançait une force rebelle congolaise brutale connue sous le nom de Mouvement du 23 mars (M23). Bien que Mme Rice ait critiqué le M23, elle a évité de lier le groupe au Rwanda et à Kagame. En 2012, les critiques ont dit qu’elle avait retardé la publication d’un rapport de l’ONU qui accusait le gouvernement rwandais de protéger le leader du M23, Bosco Ntaganda, qui était recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir commis des atrocités, selon plusieurs rapports de l’ONU et des droits de l’homme. ».
Cependant, l’entrée de Président Donald Trump à la Maison Blanche et la monté en puissance de la Chine et la Russie sur le plan international vont contribuer au changement de paradigme en politique étrangère américaine. La guerre contre le terrorisme est remplacé par la compétition, la concurrence voire même la rivalité entre grandes puissances. La stratégie de sécurité nationale des Usa publiée en 2017 considère la Chine et la Russie comme des puissances rivales. « C’est la concurrence entre les grandes puissances – et non le terrorisme- qui est maintenant le principal objectif de la sécurité nationale américaine », clamait à haute voix l’ancien secrétaire à la défense de l’Administration Trump, le général James Mattis. Ce changement de paradigme va orienter la stratégie africaine des Usa. Bien que la lutte contre le terrorisme reste en vigueur, elle n’est plus une priorité pour les Usa en Afrique. Pour John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité national de Trump, « les pratiques prédatrices de la chine et de la Russie freinent la croissance économique en Afrique, menacent l’indépendance financière des pays africains, inhibent les investissements américains et interfèrent avec les opérations militaires des Etats-Unis. Elles font peser une menace sur nos intérêts de sécurité nationale ».
La nouvelle stratégie africaine de l’Administration Biden publié le 8 août 2022 s’inscrit dans la même direction : « Contrer les activités préjudiciables de la République populaire de la Chine, de la Russie et d’autres acteurs ». Face à la présence économique de la Chine sur le continent africain, la priorité sera accordée plus au développement qu’à la lutte contre le terrorisme. Selon des responsables de l’administration, l’un des principaux objectifs de la nouvelle stratégie est de mettre l’accent sur la diplomatie et le développement et d’y consacrer davantage de fonds, afin de s’éloigner de l’engagement militaire prioritaire dans certaines parties de l’Afrique, en particulier dans la région du Sahel, qui a dominé la politique américaine au cours des deux dernières décennies, lorsque la politique étrangère de Washington était principalement axée sur la lutte contre le terrorisme, souligne Robbie Gramer, journaliste au magazine Foreign Policy. Une chose est sûre, la compétition avec la Chine et la Russie en Afrique est une priorité pour les Etats-Unis et la lutte contre le terrorisme devient secondaire.
Cette orientation de la politique africaine de l’Administration Biden prend une tournure avec la nouvelle stratégie de sécurité nationale de l’Administration Trump de 2025. « Depuis bien trop longtemps, la politique américaine en Afrique s’est concentrée sur la fourniture, puis sur la diffusion, de l’idéologie libérale. Les États-Unis devraient plutôt chercher à nouer des partenariats avec certains pays afin d’atténuer les conflits, de favoriser des relations commerciales mutuellement avantageuses et de passer d’un modèle d’aide étrangère à un modèle d’investissement et de croissance capable d’exploiter les abondantes ressources naturelles et le potentiel économique latent de l’Afrique. » Dans sa compétition technologique et commerciale avec la Chine, l’administration Trump clarifie sa position sur l’Afrique et la Région des grands Lacs. « Un secteur prioritaire pour les investissements américains en Afrique, offrant de bonnes perspectives de retour sur investissement, comprend l’énergie et l’exploitation des minéraux critiques. »
En état de cause, « les États-Unis devraient passer d’une relation axée sur l’aide à l’Afrique à une relation axée sur le commerce et l’investissement, privilégiant les partenariats avec des États compétents et fiables, déterminés à ouvrir leurs marchés aux biens et services américains. »
Freddy Mulumba Kabuayi
Politologue

