Fac normalisee

Facture normalisée et Impôt sur les sociétés : le « Big Bang » fiscal au bord du crash ! Enquête sur une modernisation à marche forcée qui affole le patronat (Tribune)

En République Démocratique du Congo, le compte à rebours a pris des allures de bombe à retardement. Pris en étau entre l’entrée en vigueur de la facture normalisée ce 1er décembre 2025 et la révolution de l’Impôt sur les Sociétés prévue pour le 1er janvier 2026, le secteur privé congolais tire la sonnette d’alarme.

Entre impréparation technique, pénurie d’équipements et insécurité juridique, la Fédération des Entreprises du Congo (FEC) redoute une paralysie de l’économie formelle. Plongée dans les coulisses d’une réforme nécessaire, mais dont le calendrier menace de faire dérailler la machine économique.

C’est un paradoxe dont la République Démocratique du Congo a le secret. Sur le papier, la stratégie est impeccable : moderniser une administration fiscale vétuste, digitaliser la collecte de la TVA pour combler un « tax gap » abyssal, et aligner le pays sur les standards internationaux via l’introduction de l’Impôt sur les Sociétés (IS) et de l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP). Mais sur le terrain, à quelques semaines du basculement définitif, la réalité est tout autre.

Dans les couloirs de la FEC et dans les directions financières des grandes industries, l’ambiance n’est plus à la concertation, mais à la gestion de crise. Le 1er décembre 2025 marque le début de l’obligation généralisée d’émettre des factures normalisées via des Dispositifs Électroniques Fiscaux (DEF). Or, selon les derniers pointages confidentiels, le taux d’équipement des entreprises frôle le néant.

  1. Le fiasco logistique : 14 entreprises prêtes sur 12.000

Les chiffres présentés lors de la matinée fiscale du 18 novembre 2025 ont fait l’effet d’une douche froide. Sur un vivier d’environ 12 000 assujettis à la TVA en RDC, seules 14 entreprises avaient effectivement retiré et activé leurs Modules de Contrôle de Facturation (MCF) à moins de deux semaines de l’échéance.

« C’est mathématiquement impossible », confie un cadre de la FEC sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter : « L’administration nous demande de courir un marathon alors que nous n’avons même pas reçu nos chaussures. »

Le nœud du problème est logistique et administratif. La Direction Générale des Impôts (DGI), bien que volontariste, a accumulé les retards :

  • Homologation tardive : Les spécifications techniques pour les logiciels de facturation n’ont été publiées qu’en juin 2025, laissant un délai dérisoire aux éditeurs de logiciels pour adapter leurs solutions.
  • Pénurie de DEF : Les fournisseurs agréés peinent à livrer les machines physiques.
  • Goulot d’étranglement : La procédure d’homologation des systèmes propres aux entreprises (SFE) est engorgée, les services de la DGI n’étant pas dimensionnés pour traiter des milliers de demandes simultanées.
  1. Le mur technologique

Quand l’infrastructure ne suit pas Au-delà de la logistique, c’est la réalité infrastructurelle de la RDC qui se heurte à la théorie du « tout numérique ». Le système repose sur le principe du Contrôle Continu des Transactions (CTC).

Concrètement, chaque facture émise doit être signée électroniquement en temps réel par le serveur de la DGI ou via un boîtier connecté.

Pour les PMI et les Industries : Le cauchemar de l’intégration ERP Pour une cimenterie ou une brasserie industrielle, la facture n’est pas un papier griffonné sur un coin de table. Elle est l’aboutissement d’un processus complexe géré par des ERP lourds (SAP, Oracle, Microsoft Dynamics).

  • Rigidité des systèmes : Ces multinationales opèrent souvent sur des instances ERP centralisées (hébergées en Europe ou en Afrique du Sud). Modifier le code pour y intégrer les exigences congolaises (API de la DGI, QR code spécifique) nécessite l’intervention d’intégrateurs internationaux, des mois de développement et des budgets conséquents.
  • Risque de blocage de la production : C’est le point critique soulevé par les industriels. Dans ces systèmes intégrés, l’impossibilité d’émettre une facture (faute de connexion avec la DGI ou de bug du module MCF) bloque automatiquement le bon de livraison. « Si le système plante, les camions ne sortent pas de l’usine. En 24 heures, nos stocks saturent et nous devons arrêter les machines », explique le directeur d’une usine agroalimentaire de la zone de Limete.

Pour les PME : La fracture énergétique Pour le commerçant de quartier ou la PME de services, la DGI propose des solutions gratuites (e-UF) sur mobile ou web. Mais cette solution suppose deux rérequis de luxe en RDC : de l’électricité stable et une connexion internet permanente.

  • En cas de coupure d’internet (fréquentes) ou de délestage, le commerçant se retrouve face à un choix impossible : arrêter de vendre (et perdre son chiffre d’affaires) ou vendre « au papier » (et s’exposer à des amendes pour fraude fiscale).
  1. La « Collision » de 2026 : Le piège fiscal se referme

Si la facture normalisée inquiète, c’est surtout à cause de sa synchronisation avec la réforme majeure du Code des Impôts qui entre en vigueur un mois plus tard, le 1er janvier 2026. La convergence des

Lois n° 23/052 et 23/053 crée un mécanisme redoutable.

Le lien fatal : Facture normalisée = Déductibilité. Avec le passage à l’Impôt sur les Sociétés (IS), la RDC durcit les règles de déductibilité des charges.

Désormais, pour qu’une dépense soit déductible du bénéfice imposable, elle devra être justifiée par une pièce probante incontestable. Dans le nouveau paradigme de la DGI, seule la facture normalisée confère ce statut probant pour la TVA et les charges.

Le scénario catastrophe : Imaginez une PME formelle en 2026. Elle achète ses matières premières, paie son loyer, son électricité. Mais si ses fournisseurs (faute de machines ou par mauvaise volonté) ne lui délivrent pas de facture normalisée :

  1. Elle ne pourra pas récupérer la TVA sur ses achats (16% de perte sèche).
  2. Plus grave : L’administration fiscale pourra rejeter ces dépenses lors du calcul de l’IS.
  3. Résultat : Son bénéfice imposable sera artificiellement gonflé. Elle paiera 30% d’impôt sur un bénéfice fictif qui ne prend pas en compte ses coûts réels. C’est une taxation sur le chiffre d’affaires déguisée, potentiellement confiscatoire.
  4. La peur de la sanction et l’asymétrie concurrentielle

La FEC dénonce un climat de « terreur fiscale ». L’article 59 quater de l’Ordonnance-loi TVA et les nouvelles procédures prévoient des sanctions lourdes :

  • Amendes forfaitaires pour non-utilisation des DEF.
  • Rejet de comptabilité : Si le Fichier des Écritures Comptables (FEC – le fichier numérique) généré par le système présente des discontinuités (dues par exemple à des pannes techniques), l’administration peut rejeter toute la comptabilité et procéder à une taxation d’office, souvent assortie de pénalités de 100%.

La prime à l’informel. Cette pression réglementaire ne pèse que sur le secteur formel, déjà minoritaire. Les opérateurs économiques craignent une distorsion de concurrence massive.

  • L’entreprise citoyenne devra supporter les coûts des machines, de la connexion, de la mise à jour des logiciels, et facturer 16% de TVA.
  • Son concurrent informel, invisible aux radars de la DGI, vendra 20% à 30% moins cher.
  • « On est en train de construire une autoroute fiscale pour ceux qui sont déjà en règle, tout en laissant la brousse à ceux qui fraudent », résume amèrement un représentant des PME.
  1. Les recommandations pour éviter le crash

Face à ce diagnostic alarmant, les experts et le patronat s’accordent sur l’urgence de mesures correctives pour éviter une désorganisation du tissu économique début 2026.

  1. Un moratoire technique (et non juridique) : Il est illusoire de penser que tout le monde sera prêt le 1er décembre. L’État doit officialiser une période de tolérance (6 à 12 mois), une « marche à blanc » où le système fonctionne, où les entreprises s’équipent, mais où les sanctions ne tombent pas, sauf n cas de fraude avérée.
  2. Sécuriser la déductibilité pour l’exercice 2026 : Le Ministère des Finances doit clarifier par arrêté que, durant la phase de déploiement, les factures classiques (papier ou PDF simples) émises par des fournisseurs identifiés resteront admises en déduction de l’IS et récupérables pour la TVA. Sans cette garantie, l’insécurité juridique gèlera les transactions B2B.
  3. Solutions « offline » robustes : La DGI doit valider techniquement et juridiquement des procédures dégradées permettant de facturer et de vendre même en cas de coupure internet ou d’électricité, avec une synchronisation différée des données, sans que cela ne soit considéré comme une anomalie comptable.
  4. Accompagnement financier réel : Le remboursement de 50% du coût des équipements sous forme de crédit d’impôt est un bon début, mais il pose un problème de trésorerie immédiate pour les TPE.

Une subvention directe ou une distribution massive d’équipements serait plus efficace pour enrôler les petits contribuables.

  1. Conclusion

La modernisation fiscale de la RDC est une impérieuse nécessité. Personne, ni à la FEC ni parmi les bailleurs de fonds, ne conteste l’objectif d’élargir l’assiette fiscale. Mais en voulant superposer deux réformes structurelles majeures (Facture normalisée et Réforme IS/IRPP) dans un calendrier aussi serré et sans les prérequis techniques, l’administration prend le risque de casser le thermomètre plutôt que de soigner le patient. Si le Gouvernement ne desserre pas l’étau du calendrier ou des sanctions, le 1er janvier 2026 pourrait marquer, non pas le début d’une ère de transparence, mais celui d’une paralysie contentieuse sans précédent.

Jerry Bossa (CP)

Expert en fiscalité

Tél : +243977977181

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