Sénat et Assemblée nationale, vent debout contre la taxe RAM

Les deux chambres du Parlement (Sénat et Assemblée nationale) n’ont retrouvé aucune trace de la taxe RAM autant dans le projet de loi de finances 2022 que dans le projet de reddition des comptes du budget 2020. Révoltés, sénateurs et députés ont exigé la suppression «sans délai» de cette taxe. Le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, qui a consacré son mandat sur le principe de « Le peuple d’abord », restera-t-il sourd à l’appel du Parlement ? Suspense !

Cela a frappé de nombreux Congolais et des observateurs : lors de son discours sur l’état de la Nation, lundi, le président Félix Tshisekedi n’a rien dit – pas un seul mot – sur le scandale qui agite pourtant le Congo depuis plusieurs mois : la taxe RAM sur les téléphones portables, dont la commission EcoFin de l’Assemblée nationale n’a retrouvé aucune trace dans les budgets de l’Etat. Mais qui bénéficie à la famille du chef de l’Etat.

C’est depuis la fin 2020 que les possesseurs de téléphones portables doivent payer de 0,17 à 1,17 dollar/mois sur leur appareil, somme prélevée automatiquement sur les recharges d’unités téléphoniques. La somme varie selon que le téléphone est de la génération 2G, 3G ou 4G; elle s’ajoute à une taxe sur le roaming prélevée de la même manière, de 1 à 7 USD/an. Elle enrage les Congolais, en particulier les peu fortunés, parce que ceux-ci achètent peu d’unités à la fois et que, lorsqu’ils rechargent pour un dollar, la somme disparaît automatiquement au profit de la taxe RAM, la taxe sur le Registre des appareils mobiles, instituée par le ministre des Télécoms, Augustin Kibassa Maliba (UDPS-Kibassa).

Selon ce dernier, elle sert à lutter contre le vol des téléphones et contre les contrefaçons d’appareils. Le 29 septembre 2021, le ministre Kibassa a assuré à l’Assemblée nationale que sa taxe avait «permis de collecter 25 millions de dollars au profit du Trésor public » et de retrouver «500» téléphones volés.

Loin de calmer l’inquiétude des parlementaires, les explications du ministre les ont attisées car l’ODEP (Observatoire de la Dépense publique, une ONG respectée), elle, a indiqué que la taxe avait rapporté 266 millions de dollars US en tout. Cette somme est répartie à 40% pour le Trésor public, 30% pour le prestataire du service 5C Energy, 25% à l’ARPTC (Autorité de régulation des postes et télécoms) et 5% pour les entreprises téléphoniques. Or, selon l’ODEP, il n’y a aucune trace des 40% revenant à l’Etat dans le budget 2021, ni dans le projet de budget 2022. Et aucune trace de la taxe RAM dans les actes générateurs de l’ARPTC, comme il se devrait.

Le Parlement tonne

Cette accusation a été reprise samedi dernier par la commission EcoFin de l’Assemblée nationale, qui n’a trouvé aucune trace des fonds générés par la taxe RAM, ni dans le budget général, ni dans les budgets annexes, ni dans les comptes spéciaux: aucune trace de cet argent ni dans le rapport de reddition des comptes de 2020, ni dans la loi de finances rectificative de 2021, ni dans le projet de budget 2022.

Le prélèvement inventé par le ministre Kibassa Maliba est donc « illégal » et doit être annulé « sans délai ». Ce rapport a été adopté par l’Assemblée nationale, donc forcément avec l’accord de députés officiellement pro-Tshisekedi. Certains députés – comme Claudel Lubaya – exigent le remboursement des sommes perçues et des poursuites judiciaires contre « les auteurs de cette escroquerie».

C’est maintenant le Sénat qui examine le projet de budget 2022, pour lequel sa commission EcoFin fait les mêmes recommandations que celles de l’Assemblée au sujet de la taxe RAM.

Lors du 25ème conseil des ministres, le 23 octobre 2021, alors que des députés dénonçaient déjà l’«escroquerie» d’Augustin Kibassa Maliba, le gouvernement avait tout juste accepté d’envisager une suppression de la taxe RAM pour les détenteurs de téléphones 2G, les moins performants, appartenant donc aux plus pauvres. La colère a donc redoublé et les deux chambres du parlement sont aujourd’hui vent debout contre la taxe RAM.

Mais le président Félix Tshisekedi n’a pas jugé nécessaire d’aborder la question dans son discours – bruyamment hué par les parlementaires – sur l’état de la nation, lundi dernier, préférant s’étendre sur ce qu’il estime être des réussites de sa Présidence.

La colère est d’autant plus grande, que le ministre Kibassa n’est autre que… le beau-frère du chef de l’Etat. Sa sœur, Isabelle Kibassa Maliba, est l’épouse de Jean-Claude, le grand frère de Félix Tshisekedi. Députée PS provinciale du Brabant wallon, en Belgique – pays dont elle a la nationalité – elle a donné sa démission il y a peu et se consacre à diriger le bureau Best Consulting.

Or, selon Espoir Ngalukiye, expert de La Lucha – organisation civique bien connue – qui l’a déclaré devant l’Assemblée congolaise début octobre, c’est Best Consulting qui se cache derrière la société 5C Energy, créée en novembre 2019, qui a signé un contrat avec l’ARPTC et empoche 30% des recettes de la taxe RAM comme prestataire du service.

Entre les 30% de 266 millions de dollars US qui iraient à une société liée à sa belle-sœur, les 40% pour l’Etat dont on ne trouve pas trace, et les 25% pour l’ARPTC dont le ministère des Postes et Telecoms assure que le Président est le seul ordonnateur des dépenses, cela fait beaucoup d’argent. Nombre de Congolais soupçonnent aujourd’hui que ces sommes alimentent une caisse noire de Félix Tshisekedi destinée à financer le débauchage de parlementaires pour qu’ils votent en sa faveur et les futures élections de 2023. Dans cette perspective, ils voient mal où est «l’alternance au pouvoir» qui était le seul point positif dans l’arrivée à la Présidence de Tshisekedi fils, à l’issue des élections frauduleuses de décembre 2018.

Le CLC appelle à une marche le 22 décembre

Les laïcs catholiques, réunis au sein du Comité laïc de coordination (CLC), ont appelé les Congolais à se mobiliser, en appui aux Mouvements citoyens, pour une grande marche visant à exiger la cessation immédiate du prélèvement illégal du RAM et la dépolitisation de la CENI. Le gouverneur de la ville de Kinshasa a été informé de la tenue de cette manifestation.

«Se fondant sur les dispositions de l’article 26 de la Constitution de la République démocratique du Congo, le Comité laïc de coordination vous informe, à cet effet, qu’il organise une marche pacifique, le mercredi 22 décembre 2021. Cette marche a pour objectif d’exiger la cessation immédiate des prélèvements illégaux du RAM ainsi que la dépolitisation de la CENI», a écrit le CLC au gouverneur de la ville de Kinshasa, Gentiny Ngobila.

Pour éviter des dérapages, les organisateurs de la marche demandent au gouverneur de Kinshasa d’instruire les forces de l’ordre d’encadrer et de sécuriser la manifestation qui s’inscrit, du reste, dans le cadre de l’exercice normal des droits et libertés fondamentales garanties par la Constitution de la République.

Pour éviter tout débordement, le CLC a tenu à préciser ses itinéraires, en précisant les points de rencontre, dont : Lemba-Terminus, Rond-point Sakombi, marché Selembao, marché Pascal et l’itinéraire choisi est : Kianza-Université-avenue de la Libération-avenue Kasa-vubu. C’est par le stade Tata Raphaël que convergera toute la marche.

Econews avec La Libre Belgique Afrique