Autrefois considéré comme la mer intérieure de l’Afrique, le lac Tchad a perdu une partie importante de sa superficie depuis plusieurs années, de 23.000 km2 à 2.000 km2 selon les estimations. Les plus alarmistes estiment qu’il pourrait disparaître si aucune action n’est envisagée. Sauver le lac Tchad est une bonne chose pour les populations environnantes estimées à plusieurs millions de personnes. Mais, il faut aussi éviter de tenter de corriger un problème en créant une tragédie.
La sonnette d’alarme sur le probable tarissement du lac Tchad était déjà donnée depuis 1928 par le général Jean Tilho. L’agriculture irriguée, la construction des barrages, la croissance démographique incontrôlée autour du lac, couplées aux effets du changement climatique, ont amplifié une situation déjà précaire.
En effet, tout projet de transfert d’eau à partir de la rivière Oubangi doit prendre en compte les défis dont fait face cette rivière: la réduction des précipitations entraînant la diminution des débits, des régimes irréguliers, des étiages et des crues de plus en plus faibles, la déforestation, l’ensablement, etc. Les tourbières congolaises qui remplissent des fonctions essentielles pour l’équilibre climatique mondial doivent aussi être prises en compte dans toute activité qui contribue à la réduction d’eau et qui risque de favoriser le rejet d’importantes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Au-delà du projet de transfert de l’eau de l’Oubangi vers le lac Tchad, les solutions alternatives peuvent être : la réalisation des études sur les possibilités d’utiliser les eaux des nappes souterraines (certaines investigations montrent que le sous-sol tchadien renferme des réserves importantes d’eau); le contrôle de l’agriculture irriguée aux environs du lac et ses affluents (cultures très gourmandes en eau comme de cotonnier «en moyenne 5.000 litres pour produire un (1) kg de coton» doivent être minutieusement planifiées dans une région où l’eau est déficitaire; l’instauration de système des quotas et appliquer les textes règlementaires pour une utilisation rationnelle des eaux du lac et ses affluents; le contrôle de la croissance démographique aux environs du lac en vue de réduire la pression anthropique sur l’eau et la biodiversité associée; l’évaluation de l’impact environnemental de tous les projets de construction des barrages hydroélectriques sur les affluents du lac Tchad qui entrainent des pertes importantes en eau; le développement des projets de reboisement/reforestation sur l’ensemble du bassin du lac Tchad en vue de favoriser l’infiltration des eaux de pluies (approvisionner les nappes) et réduire l’évaporation; la sensibilisation de la population sur la gestion rigoureuse de l’eau. Tant que les acteurs majeurs ne se rendront pas compte de la faible disponibilité en eau dans la région, tous les efforts fournis seront vains.
Le transfert d’eau d’un bassin à autre ne peut se faire sans études préalables. L’activisme débordant de certaines entreprises multinationales sous prétexte de sauver le lac Tchad, dissimule à peine une cupidité dangereuse.
Jusqu’à présent, aucune étude sérieuse ne démontre que le transfert de l’eau de l’Ubangi serait la solution durable pour contrer le tarissement du lac Tchad. L’Ubangi étant malade, comme le lac Tchad en ce qui concerne la réduction quantitative d’eau, il est intellectuellement irréaliste, de penser qu’on peut traiter un malade en allant chercher la solution chez un autre malade. Le déséquilibre écologique du Bassin du Congo n’affectera pas seulement la République Démocratique du Congo, mais l’Afrique entière et le monde. Une gestion sentimentale et émotionnelle de ce projet, mettra l’humanité en péril, personne ne sera épargnée, même le lac Tchad ne survivra plus.
Le projet de transfert de l’eau de l’Ubangi vers le lac Tchad doit être accompagné des résultats des études scientifiques sur le maintien de la biodiversité du Bassin du Congo, le risque de réduction du niveau des eaux du fleuve Congo et de ses affluents, la protection des tourbières, l’avenir des barrages hydroélectriques notamment d’Inga, la problématique de la navigation intérieure, le bien-être des populations riveraines, etc.
L’Afrique fait face à l’avancée de deux déserts, le Sahara au Nord et le Kalahari au Sud avec des conséquences socio-économiques et environnementales imprévisibles.
La mobilisation des intelligences, des moyens matériels et humains est indispensable en vue de faire face à ce péril qui menace l’avenir du continent. Les questions concernant les Bassins du lac Tchad et du Congo qui sont aujourd’hui intimement liés par les enjeux, doivent être traitées au niveau de l’Union africaine si les acteurs souhaitent une solution durable.
Professeur Jean de Dieu Minengu
Rédacteur en chef de la «Revue africaine d’environnement et d’agriculture »