L’armateur italo-suisse MSC a proposé à Bolloré de lui racheter ses activités de logistique en Afrique pour 5,7 milliards d’euros, a annoncé lundi l’entreprise française.
Fin de partie pour Vincent Bolloré en Afrique ? Les rumeurs entourant la cession des activités logistiques du milliardaire sur le continent africain allaient bon train ces derniers mois. Le groupe tricolore l’a officialisé ce lundi: l’armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) a proposé 5,7 milliards d’euros au capitaine d’industrie pour le rachat de sa filiale Bolloré Africa Logistics, présente dans 47 pays du continent.
«Le groupe Bolloré annonce avoir reçu une offre du groupe MSC, acteur majeur du transport et de la logistique par conteneurs, pour l’acquisition de 100% de Bolloré Africa Logistics, regroupant l’ensemble des activités de transport et logistique du groupe Bolloré en Afrique, sur la base d’une valeur d’entreprise, nette des intérêts minoritaires, de 5,7 milliards d’euros », écrit l’entreprise dans un communiqué.
Selon la même source, «le groupe Bolloré a consenti une exclusivité au groupe MSC jusqu’au 31 mars 2022 afin que ce dernier puisse, à l’issue d’une phase d’audit complémentaire et de négociations contractuelles, lui remettre, le cas échéant, une promesse d’achat ». Activité historique du groupe diversifié, la branche Bolloré Africa Logistics possède des infrastructures dans plus de 20 pays sur le continent africain, notamment un réseau de 16 concessions portuaires, des entrepôts et des hubs routiers et ferroviaires.
Reste une question. Pourquoi l’industriel souhaite-t-il se séparer de ses activités en Afrique ? «Bolloré n’est pas vendeur de ses activités en Afrique», assurait il y a quelques jours une source au sein du groupe, citée par le Télégramme. Reste que la marche des affaires de Bolloré en Afrique n’est pas un long fleuve tranquille… Et écorne sérieusement l’image de la firme et de son patron qui aime à cultiver le récit d’une entreprise familiale, symbole du capitalisme à la française.
Plus rentable que la logistique internationale de Bolloré, la branche de logistique africaine reste plus petite en chiffre d’affaires, avec 2,1 milliards d’euros réalisés en 2020, sur un total de 24,1 milliards pour le groupe. Elle emploie plus de 20.000 personnes, selon Bolloré. «Le groupe conservera, dans tous les cas, une présence importante en Afrique, notamment à travers Canal+, premier opérateur de télévision payante en Afrique francophone et actionnaire important de MultiChoice, le leader de la télévision payante en Afrique anglophone. Il y poursuivra également ses développements dans de nombreux secteurs comme la communication, le divertissement, les télécoms, l’édition», a indiqué l’entreprise lundi.
Accusé par la justice française d’avoir apporté son aide à des campagnes électorales en échange de l’attribution de concessions portuaires au Togo et en Guinée, le groupe a accepté en début d’année une convention comprenant une amende de 12 millions d’euros et une surveillance par l’Agence française anticorruption. La juge avait cependant refusé d’homologuer la reconnaissance préalable de culpabilité acceptée par Vincent Bolloré (qui a laissé en 2019 les manettes du groupe à son fils Cyrille) et deux autres responsables. Leur dossier a été renvoyé à l’instruction.
L’ombre de l’Elysée
Le calendrier devrait également jouer un rôle dans la cession de la filiale africaine du groupe. Le 17 février 2022, date du bicentenaire de la création du groupe familial, le patron a prévu de quitter ses fonctions. La vente à l’armateur MSC interviendra-t-elle avant?
«La réalisation de la cession serait soumise à l’obtention d’autorisations réglementaires et des autorités de la concurrence compétentes ainsi qu’à l’accord de certaines des contreparties de Bolloré Africa Logistics», précise l’entreprise dans son communiqué. Or, l’étude de ce dossier par l’Autorité de la concurrence, dont l’économiste Benoît Cœuré vient de prendre la tête, pourrait être ralentie du fait de l’identité de l’acquéreur potentiel, MSC. Ce dernier, propriété de l’Italien Gianluigi Aponte, entretient des liens de proximité familiaux avec l’un des personnages les plus importants du sommet de l’Etat français, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler. Les deux hommes sont cousins.
Le numéro 2 de l’Elysée, fidèle d’Emmanuel Macron, fait l’objet d’une enquête judiciaire à propos d’un aller-retour entre public et privé. Il est notamment soupçonné d’être intervenu dans le dossier des chantiers d’Atlantique (STX) à Saint-Nazaire, sur lequel MSC s’était positionné pour monter au capital, comme l’avait révélé Mediapart. Kohler a également travaillé auprès du groupe MSC, malgré ses liens familiaux et le refus à l’époque de la commission de déontologie, chargée de surveiller les allers-retours entre le public et le privé. De quoi alimenter les soupçons de conflits d’intérêts, sur lesquels la justice a travaillé.
Bien avant les médias, la logistique et l’Afrique ont fait la fortune de l’industriel Vincent Bolloré, qui a pris en 1986 le contrôle de la SCAC (Société commerciale d’affrètement et de combustible) au moment de sa privatisation. Le groupe français s’est ensuite développé sur le continent, s’appuyant sur ses relations avec les dirigeants politiques et incarnant pour certains l’image de la Françafrique néocoloniale.
La cession d’une des branches d’un fleuron tricolore tel que Bolloré Africa Logistics à l’armateur italien, déjà dans les radars de la justice, apparaît donc comme politiquement sensible, à quatre mois de la présidentielle.
Econews