Matata Ponyo et ses démêlées judiciaires : «un dossier foncièrement politique»

Revoici Matata Ponyo Mapon, ancien Premier ministre, qui se considère – à juste titre d’ailleurs – comme prisonnier politique dans son propre pays, au mépris de son statut de sénateur ! Traîné devant la Cour constitutionnelle dans deux affaires (Bukanga-Lonzo et zaïrianisation) qui ont finalement fait flop, Matata est d’avis que « loin d’être un dossier judiciaire, il apparaît au grand jour qu’il s’agit plutôt d’un dossier foncièrement politique». Il pousse son raisonnement plus loin : « Sinon, comment peut-on imaginer qu’un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays, puisse être contesté par l’organe judiciaire chargé de son application, à savoir le Parquet général près la Cour ? » Et lorsque les arrêts de la Cour constitutionnelle sont remis en cause, jusqu’à contredire son interprétation de l’article 164 de la Constitution, Matata note qu’on n’est pas loin de la dérive. Il est temps, pense-t-il, que la Cour constitutionnelle rompe le silence. Il s’agit de sauver son honneur. « Nous estimons cependant, que l’État de droit exige qu’en de telles circonstances, la Cour constitutionnelle rompe son silence mythique et édifie davantage les citoyens, car elle est la seule institution compétente en la matière. Les contrevérités distillées par le Président du Sénat sont de nature à semer la confusion au sein de l’opinion tant nationale qu’internationale. Cette attitude qui est constitutive de rébellion à l’égard de l’arrêt de la Cour, porte naturellement atteinte à la dignité des membres de la Cour que le législateur voudrait pourtant intangible à la lecture du serment que prêtent lesdits membres. C’est cela l’État de droit », note Matata.

Voici sa tribune datée du 5 janvier 2021.

Ce que je pense est que jamais les hautes juridictions judiciaires du pays n’ont été mises à dure épreuve comme dans le dossier Matata. En effet, plus le temps passe, plus les motivations profondes du procès se dévoilent; ce qui met à mal l’État de droit dans le pays.

Loin d’être un dossier judiciaire, il apparaît au grand jour qu’il s’agit plutôt d’un dossier foncièrement politique. Sinon, comment peut-on imaginer qu’un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction du pays, puisse être contesté par l’organe judiciaire chargé de son application, à savoir le Parquet général près la Cour ?

Et pourtant la loi organisant le fonctionnement de cette Cour, en son article 94, stipule à son alinéa 2 ce qui suit : «ils (les Arrêts) sont immédiatement exécutoires». Et à son alinéa 3, il rajoute ceci : «Le Procureur général en poursuit l’exécution». Or, ce dernier a refusé d’exécuter l’Arrêt de la Cour au grand étonnement de neuf juges composant cette institution.

Le Procureur général a récupéré le dossier de force directement du greffe de la Cour et l’a retransféré, contre le gré de la Cour, au parquet près la Cour de cassation, en violation de la Constitution et de la loi organisant le fonctionnement de la Cour constitutionnelle. L’objectif étant de trouver à tout prix une juridiction capable de condamner Monsieur Matata. C’est cela l’État de droit !

Ce que je pense est que jamais on n’a vu dans ce pays, une institution ou une personnalité de haut rang récuser publiquement la compétence de la Cour constitutionnelle à interpréter un article de la Constitution. Et pourtant, c’est une compétence constitutionnellement reconnue uniquement à cette importante institution qui regorge d’éminents professeurs, juristes et autres professionnels du secteur.

Curieusement, le président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo, lors de la plénière du Sénat le 9 décembre 2021, a soutenu publiquement que la Cour constitutionnelle a mal interprété l’article 164 de la Constitution.

L’opprobre a été ainsi jeté par le président du Sénat aux neuf juges de la Cour pour leur incapacité à interpréter un article de la Constitution. Mais, selon le sénateur Evariste Boshab, professeur de droit constitutionnel, c’est bien le président du Sénat qui a fait une interprétation erronée de cet article.

Face au silence incompréhensible de la Cour constitutionnelle, la population se pose la question de savoir à qui elle doit croire quant au contenu exact de cet article. Aux neuf juges de la Cour ou au Président du Sénat, constitutionnaliste de circonstance ?

Il est vrai qu’il se dégage de l’article 10 de la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle que le Juge constitutionnel prête serment de « …garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation à titre privé sur les questions relevant de la compétence de la Cour constitutionnelle et de n’entreprendre aucune activité mettant en cause l’indépendance, l’impartialité et la dignité de la Cour ».

Nous estimons cependant, que l’État de droit exige qu’en de telles circonstances, la Cour constitutionnelle rompe son silence mythique et édifie davantage les citoyens, car elle est la seule institution compétente en la matière. Les contrevérités distillées par le Président du Sénat sont de nature à semer la confusion au sein de l’opinion tant nationale qu’internationale.

Cette attitude qui est constitutive de rébellion à l’égard de l’arrêt de la Cour, porte naturellement atteinte à la dignité des membres de la Cour que le législateur voudrait pourtant intangible à la lecture du serment que prêtent lesdits membres. C’est cela l’État de droit.

Ce que je pense est que l’on ne peut pas rechercher un État de droit et au même moment tolérer la méconnaissance publique des décisions de la Cour constitutionnelle par un citoyen, soit-il, chef d’une haute institution, pourtant tenu à l’obligation de réserve.

Ce mauvais précédent constitue un risque de dérapage très élevé pour le pays, car, les décisions de la Haute Cour deviennent contestables en fonction de la position que l’on occupe !

Bien plus, le prix à payer pour les générations futures est énorme parce que désormais, l’incertitude plane sur le caractère obligatoire des arrêts de la Cour. Comment le Président du Sénat peut-il soustraire d’office le Sénat de la zone d’exécution des actes posés par la Cour ?                         En effet, ce dernier, lors de la plénière suscitée du 9 décembre, a déclaré publiquement que le Sénat n’était pas concerné par l’Arrêt RP 0001 de la Cour constitutionnelle sur le procès Matata. Tout simplement, parce que la décision rendue était en faveur de ce dernier.

Les décisions de la Haute cour sont-elles acceptables et exécutoires en fonction du jugement que l’on souhaite recevoir d’elle ? Or, la Constitution, en son article 168, stipule que «les arrêts de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux particuliers ».

Le silence constaté de toute part, surtout de la Cour constitutionnelle et de la Présidence de la République face à cette rébellion du Président du Sénat, est très inquiétant et remet en cause les perspectives d’un véritable État de droit. Une réaction appropriée s’impose pour rétablir la crédibilité entachée de cette institution quant aux décisions qu’elle a prises et qu’elle est appelée à prendre.

Ne faut-il pas l’oublier, la Cour constitutionnelle est le juge naturel du Président de la République et du Premier ministre en fonction, et qu’à ce titre les décisions les concernant ne devraient souffrir d’aucune incertitude.

Par ailleurs, n’oublions pas que la même Cour est compétente en matière électorale, pour les élections législatives nationales et celles présidentielles; que partant, c’est elle qui en proclame les résultats définitifs. Ne creuse-t-on par la tombe à la démocratie et à l’Etat de droit avec de telles attitudes ?

Ce que je pense est que la Constitution est la loi suprême du pays. C’est l’expression de la volonté du peuple tout entier. A ce titre, elle est au-dessus de tout le monde.

Elle doit donc être observée et appliquée par tous dans sa totalité et non en partie, à tout moment et non quand on veut. Si certaines autorités, à cause de leur position institutionnelle, peuvent se dire publiquement non concernées par la Constitution lorsqu’elles n’y trouvent pas d’intérêt et ne recourir à celle-ci que quand ça les intéresse, ce n’est plus la Constitution.

Ça devient un livre ordinaire comme tous les autres qui ne valent que le prix de l’encre et du nombre des pages qui s’y trouvent. A terme, la Constitution perd sa crédibilité et sa puissance publique, comme on l’a vu par le passé au cours de la Deuxième République.

Ça devient un instrument au service des plus forts qui ne représentent qu’une frange marginale de la population. Un outil en défaveur des plus faibles qui constituent la majorité du peuple. Il importe par conséquent de veiller à son application sans faille, ce qui consoliderait la fondation de la justice dans le pays.

La justice élève les nations, dit-on. Elle constitue le socle des vieilles démocraties et des économies émergentes. Elle conditionne en réalité l’État de droit dont la RDC a besoin pour prétendre s’inscrire sur la trajectoire de l’émergence et du développement.

Augustin Matata Ponyo Mapon

Sénateur