En Afrique, l’engagement des États à améliorer l’approvisionnement en eau de leurs populations débouche de plus en plus sur des coopérations entre pays. C’est notamment le cas de la Namibie et de l’Angola, du Lesotho et de l’Afrique du Sud ou encore de l’Égypte et du Tchad. Outre la combinaison des expertises sur le plan de la formation ou du développement de projets, la coopération entre États doit permettre le partage équitable de la ressource en eau et son utilisation durable, selon l’Organisation des Nations unies (ONU).
En Afrique, la crise de l’eau contrarie tout développement humain et contraint de larges segments de la population à vivre dans la pauvreté, la vulnérabilité et l’insécurité. La région d’Afrique subsaharienne, qui est la plus impactée, notamment par le manque d’eau potable, perd près de 500 enfants chaque année à cause de maladies diarrhéiques, indique l’Organisation des Nations unies (ONU).
Néanmoins de nombreux pays africains ont réussi à se démarquer par leur aptitude à développer des projets d’approvisionnement en eau en vue de promouvoir le développement durable. Cependant, avec le défi de la croissance démographique et du changement climatique, la demande se fait de plus en plus importante et dans certains États les ressources financières et techniques ne suffisent plus pour atteindre, à l’échéance, l’objectif de l’accès universel des populations à l’eau potable d’ici à 2030 tel que fixé dans l’Agenda de l’ONU.
Quelques initiatives majeures…
Le Lesotho et l’Afrique du Sud ont donc fait le pari de la coopération pour renforcer l’approvisionnement en eau de leurs populations. Les deux pays cofinancent ainsi le projet d’eau des hauts plateaux du Lesotho (LHWP). Il s’agit d’un projet binational divisé en plusieurs phases, établies par le traité de 1986 entre les gouvernements du royaume du Lesotho et de l’Afrique du Sud.
Selon les autorités du Lesotho, la première phase du projet a été achevée en 2003 et inaugurée en 2004. Dans sa deuxième phase, le projet LHWP permettra la réalisation de plusieurs infrastructures, notamment le barrage et le réservoir de Polihali en aval du confluent des rivières Orange-Senqu et Khubelu, dans le district de Mokhotlong au Lesotho. Le barrage affichera une capacité totale de stockage de 2.325 millions de m3 et sera soutenu par un barrage à selle. D’ici à 2026, le projet fournira de l’eau destinée à la consommation et à l’agriculture dans la province de Guateng en Afrique du Sud, soit 1.260 milliards de m3 par an. Au Lesotho, le projet bénéficiera directement à plus de 85.000 personnes.
Si la Namibie recycle depuis plus de 50 ans les eaux usées en eau potable pour satisfaire les besoins d’une partie de sa population, la coupe est loin d’être pleine et le pays d’Afrique australe s’est résolu à collaborer avec l’Angola dans le cadre d’un projet hydraulique. Le canal Calueque-Oshakati (d’environ 150 km de long) qui approvisionne le nord de la Namibie et le sud de l’Angola a longtemps souffert de la guerre civile dans le pays lusophone d’Afrique australe, ainsi que des prélèvements illégaux d’eau. À cela s’ajoutent d’importants problèmes de pollution et de sédimentation à l’origine de la dégradation de l’installation.
Ainsi, en février 2021, la Namibia Water Corporation (NamWater), l’entreprise publique responsable de la gestion de l’eau en Namibie a lancé la première phase du projet de rénovation du canal Calueque-Oshakati, qui transporte l’eau du barrage de Calueque, situé sur le fleuve Cunene, dans le sud de l’Angola. Le projet bénéficiera à 800.000 personnes en Namibie et à 100 000 autres en Angola.
Au-delà des projets concernant les infrastructures, des partenariats portant sur la formation naissent dans le domaine de l’eau en Afrique.
Un exemple de partenariat est illustré par celui conclu en septembre 2020 entre les professionnels tchadiens de l’eau et le syndicat des ingénieurs égyptiens. L’accord vise à outiller les experts du Tchad afin qu’ils puissent «faire un meilleur usage des technologies modernes». Il s’agit de technologies utilisées dans certaines usines d’eau potable et les stations d’épuration. Les ingénieurs d’Égypte (750.000) insisteront également sur les techniques de rationalisation de la consommation de l’eau au Tchad. Actuellement, une personne sur deux a accès à l’eau potable dans le pays d’Afrique centrale, soit un taux de 53 % selon la Banque africaine de développement (BAD).
L’Égypte de son côté est très avancée en matière d’innovations pour ce qui concerne l’approvisionnement en eau potable. Sauf qu’aujourd’hui le pays d’Afrique du Nord est frappé de plein fouet par la sécheresse qui assèche le peu de ressources dont il dispose. L’Égypte ne dispose actuellement que de 60 milliards de m3, dont un demi-milliard de m3 d’eau souterraine non renouvelable répartie sur plusieurs parties du désert et 55,5 milliards de m3 proviennent du Nil. Le fleuve traverse plusieurs pays dont l’Éthiopie et le Soudan.
La gestion de l’eau transfrontalière, entre conflit et concession
L’un des cours d’eau qui cristallisent le plus d’attentions en Afrique est le Nil, long de ses 6.178 km. Le fleuve traverse plusieurs pays sur le continent, à savoir l’Ouganda, la RD Congo, le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi, l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie, avant de se jeter dans la mer Méditerranée. Mais c’est véritablement entre les trois derniers États sur cette liste que s’opère le conflit. À l’origine des tensions, le barrage de la Renaissance que construit actuellement la partie éthiopienne.
L’Égypte et le Soudan, situés dans le bassin du Nil, dépendent de ce fleuve pour leur approvisionnement en eau, l’irrigation et la production d’électricité. Les autorités soudanaises et égyptiennes estiment que l’aménagement hydroélectrique récemment construit en territoire éthiopien affecte leur sécurité. Pour atténuer les dégâts, L’Égypte et le Soudan proposent un remplissage du barrage de la Renaissance sur 15 ans. Mais l’Éthiopie est décidée à remplir son barrage en 7 ans seulement. Pour mémoire, l’ouvrage disposera d’un réservoir de 79 milliards de m3, près de deux fois la capacité du réservoir du barrage des Trois-Gorges (45,3 milliards de m3) en Chine, considéré comme le plus grand aménagement hydroélectrique du monde, avec une capacité installée de 22.500 MW. À date, les négociations se poursuivent, alors que le gouvernement éthiopien inaugure la première unité de la centrale hydroélectrique du grand barrage.
Ces tensions autour du Nil donnent un aperçu de la difficulté dans la gestion des eaux transfrontalières sur le continent africain. Mais, tandis qu’entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie les tensions perdurent, d’autres pays ont su trouver des compromis sur l’utilisation de ce cours d’eau transfrontalier. C’est notamment le cas du Rwanda et du Burundi qui développent des projets communs autour du Nil. Le dernier en date est le projet de barrage polyvalent d’Akanyaru. La future retenue d’eau est destinée à l’approvisionnement en eau potable de 614.200 personnes dans les deux pays, et à la fourniture de l’eau pour l’irrigation de 12.474 hectares de terres agricoles. Pour mémoire, l’Akanyaru prend sa source dans les Hauts-Plateaux occidentaux du Rwanda et du Burundi, coule vers l’est puis le nord, le long de la frontière entre ces pays pour rejoindre la rivière Nyabarongo. Cette dernière est considérée comme l’une des sources du Nil.
L’Initiative du bassin du Nil (IBN) appuie la construction du barrage d’Akanyaru. Il s’agit d’un partenariat entre les 10 États riverains du Nil avec pour mission de «développer le fleuve de manière coopérative, de partager des avantages socioéconomiques substantiels et de promouvoir la paix et la sécurité régionales».
Autre exemple d’une alliance africaine qui fonctionne : celle tissée entre le Kenya et l’Ouganda pour réduire les conflits liés aux ressources en eau. Le dernier projet commun a été inauguré par les autorités des deux pays en 2021. Il s’agit du barrage de Kases construit pour promouvoir une paix durable entre les communautés de Pokot et de Turkana au Kenya, et la communauté de Karamojong en Ouganda. L’infrastructure affichera une capacité de stockage de 1,2 million de m3 d’eau.
L’appui des organisations et partenaires internationaux et régionaux
Si les installations construites au niveau des cours d’eau transfrontaliers permettent de mettre fin aux tensions entre États africains, elles sont loin de toujours résister aux épisodes de sécheresses qui ne cessent de s’aggraver. Et la ressource déjà insuffisante est également menacée par la pollution.
La gestion durable des cours d’eau transfrontaliers étant devenue urgente, plusieurs pays africains ont, en plus des engagements interpays, décidé de faire confiance aux organisations internationales pour les soutenir dans l’amélioration de la gestion de leurs ressources en eau. Au moins cinq pays africains ont ratifié entre 2018 et 2021 la Convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontaliers et des lacs internationaux, de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU). Il s’agit du Tchad et du Sénégal en 2018, du Ghana (en 2020), ainsi que de la Guinée Bissau et du Togo en 2021. Au Cameroun et en Ouganda, les démarches devraient aboutir prochainement.
Encore appelée Convention d’Helsinki sur l’eau, l’instrument adopté en 1992 à Helsinki en Finlande est fondé sur un corpus juridique de droits et définit les obligations des pays situés en amont et en aval des cours d’eau. En adhérant à cette convention, chaque État s’engage ainsi à prévenir, à maîtriser et à réduire tout impact transfrontière sur l’environnement, la santé et la sécurité humaine, ainsi que la situation socioéconomique. L’ONU demande aussi aux parties prenantes de conclure des accords transfrontaliers et de créer des organes communs aux fins de coopération en matière de gestion et de protection de leurs eaux transfrontalières.
Outre des initiatives plus globales comme la Convention d’Helsinki sur l’eau ou encore l’Initiative du Bassin du Nil (IBN), d’autres programmes régionaux en faveur de la gestion durable des ressources en eau transfrontalières existent, notamment le programme quinquennal pour la gestion des ressources en eau transfrontalières d’Afrique australe. L’initiative soutenue par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) vise à aider les pays membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) à travailler ensemble pour faire face aux défis écologiques actuels, notamment le changement climatique qui se manifeste dans cette région notamment par le stress hydrique. L’enjeu le plus prégnant reste l’accès à l’eau potable dans une sous-région où plusieurs pays doivent partager un même bassin fluvial.
Le bassin du fleuve Limpopo profite à plus de 18 millions de personnes, principalement au Botswana, au Zimbabwe, au Mozambique et en Afrique du Sud. L’autre bassin fluvial important dans la sous-région d’Afrique australe est l’Okavango, qui fournit de l’eau pour la consommation domestique et l’irrigation à plus d’un million de personnes en Angola, au Botswana et en Namibie. Dans le cadre du programme quinquennal pour la gestion des ressources en eau transfrontalières d’Afrique australe, lancé décembre 2019, l’Usaid et la SADC travaillent avec les organisations sous-régionales qui interviennent dans le secteur sensible de l’eau. C’est le cas de la Zone de conservation transfrontalière du Kavango-Zambèze (KAZA-TFCA), la fameuse zone des cinq frontières (Namibie, Botswana, Zimbabwe, Zambie et Angola) comprenant la majeure partie du bassin supérieur du fleuve Zambèze ainsi que le bassin et le delta de l’Okavango.
Des initiatives, entre autres, qui sont vues aujourd’hui comme des solutions efficaces aux problèmes de gestion des ressources en eau en Afrique, bien que les résultats tardent parfois à être visibles. Certains pays hors Afrique s’invitent également dans la danse de la coopération avec le financement de programmes, notamment le programme d’Appui à la gestion des ressources en eau pour la réduction de la pauvreté et le renforcement de la résilience mis en œuvre par le Maroc et l’Allemagne, depuis janvier 2021. Au royaume chérifien, la Hongrie propose également des formations continues pour une meilleure gestion des ressources hydriques.
Par Inès Magoum (Afrik21)