D’importants investissements seront nécessaires pour soutenir la croissance économique après la pandémie.
En 2016, le Mozambique a connu une crise économique après la découverte de deux importants prêts non déclarés. Les bailleurs de fonds ont gelé leur soutien au pays et le gouvernement s’est trouvé contraint à opérer des coupes claires dans les dépenses publiques.
Plus récemment, lorsqu’ils ont sollicité une restructuration de leur dette au titre du cadre commun du G20 pour les traitements de dette, le Tchad et la Zambie ont rencontré un obstacle de taille : les services de la dette de ces deux pays étaient incapables de fournir un décompte exhaustif actualisé de leurs créances et de leurs créanciers. Ce défaut d’information a retardé la négociation des restructurations. Il a fallu plus de six mois pour que les conseillers financiers réussissent à rassembler toutes les données nécessaires.
Ces situations, qui montrent les risques que font peser les créances non déclarées sur les prêteurs comme sur les emprunteurs, ont suscité des appels pressants à une plus grande transparence de la dette. Pour le moment, ces avertissements sont néanmoins restés sans suite. La dette publique des pays à faible revenu demeure difficile à cerner, soit parce que les statistiques officielles sont lacunaires ou que certaines données sont gardées sécrètes en raison de clauses de confidentialité dans les contrats de prêt.
Les indices d’alerte
Trois éléments devraient en particulier nous alerter et nous inciter à porter une plus grande attention à la situation. D’abord, 40 % des pays à faible revenu n’ont publié aucune donnée sur leur dette souveraine depuis plus de deux ans, sans compter que ceux qui l’ont fait se limitent en général aux créances de l’État central et à des instruments classiques de type prêts et emprunts de titres. Ensuite, on constate d’énormes discordances au niveau des estimations de la dette des pays à faible revenu actuellement disponibles : l’écart entre les montants annoncés sur les sites web des services nationaux de la dette et ceux déclarés par les banques multilatérales de développement atteint parfois jusqu’à 30 % du PIB. Enfin, sur les 15 pays à faible revenu dont la dette est garantie par des ressources naturelles, aucun ne fournit de détails sur les termes de ces contrats.
De tels flottements ne devraient pas être tolérés dans les circonstances actuelles. Plus de la moitié des pays à faible revenu sont déjà en situation de surendettement ou fortement menacés de l’être. La dette des pays à revenu faible et intermédiaire atteint des niveaux sans précédent dans l’histoire récente. Or d’importants investissements seront nécessaires pour soutenir la croissance économique après la pandémie de Covid-19.
Les preuves sont là : une plus grande transparence de la dette aide les gouvernements à prendre de meilleures décisions pour leurs futurs emprunts et réduit les coûts à long terme. Une comptabilité précise et rigoureuse de l’endettement est également positive pour les créanciers : elle les aide à apprécier pleinement la viabilité de la dette d’un pays et à fixer plus précisément le prix des prêts. Cette transparence facilite, accélère et optimise les efforts de restructuration de la dette. En outre, elle donne aux citoyens de meilleurs leviers pour demander des comptes aux gouvernements sur les créances qu’ils contractent.
La transparence de la dette ne se réduit cependant pas à la transparence des données, elle doit aussi porter sur les opérations d’emprunt. Même lorsqu’elles existent, il arrive que les données renvoient à des pratiques d’emprunt opaques, irrégulières ou excessivement coûteuses. Une récente étude de la Banque mondiale met en évidence trois principaux sujets de préoccupation.
La dette intérieure : les arriérés budgétaires ne soient généralement pas pris en compte parce que les pays à faible revenu n’appliquent pas une comptabilité d’exercice. De plus, 41 % seulement de ces pays recourent à des adjudications sur les marchés comme principal canal d’émission de la dette intérieure et ceux qui le font ne divulguent que des informations fragmentaires aux investisseurs.
Les prêts adossés à des ressources naturelles : garantis par des revenus futurs, ces prêts ne sont généralement pas pris en compte dans les statistiques parce qu’ils ne sont pas reconnus par le pays débiteur ou sont conclus hors budget. De plus, ils sont souvent assortis de plus forts taux d’intérêt que d’autres sources de financement comparables non garanties.
La dette extérieure non négociable : peu d’informations sont disponibles sur les opérations et les restructurations des prêts commerciaux. Par ailleurs, certains instruments des banques centrales produisent aussi des «dettes surprise» ou diluent les droits des créanciers, comme on a pu le constater pour des dépôts en devises non enregistrés ou des opérations de mise en pension («repo») surcollatéralisées avec des titres propres.
Les pays en développement ont donc beaucoup à gagner de l’amélioration de la transparence de la dette. Dans cette optique, il leur faut : investir de manière à disposer des capacités et des systèmes nécessaires pour produire des données d’endettement exactes. Il convient notamment de résoudre les problèmes opérationnels qui entravent la publication régulière de rapports exhaustifs sur la dette. Des publications annuelles doivent faire état des statistiques de base sur la dette publique et la dette garantie par l’État pour l’ensemble des administrations publiques, et inclure des informations sur les différents titres de créance. Elles doivent comprendre une définition de la dette publique conforme aux normes internationales; faire en sorte que le cadre juridique incite davantage à la transparence. Le cadre juridique de gestion de la dette doit définir clairement les modalités d’autorisation d’endettement et imposer la publication des informations relatives à la dette publique en en précisant la teneur et la fréquence. Ce cadre doit aussi comprendre la liste des instruments d’emprunt, transactions et sources de financement autorisés et prévoir des audits périodiques de l’encours de la dette; adopter des mécanismes fondés sur le marché pour l’émission de la dette intérieure. Pour encourager les réformes sur ce point, la Banque mondiale a récemment lancé un outil de suivi de la transparence des émissions de titres publics; appliquer un processus rigoureux d’analyse et de contrôle de l’approbation et de la mise en œuvre des prêts adossés à des ressources naturelles. Celui-ci devra comprendre les étapes suivantes : 1. évaluer avec soin l’effet sur la viabilité; 2. vérifier que les conditions proposées tiennent bien compte de la valeur de la garantie; 3. s’assurer que les composantes juridiques et techniques de la structure proposée sont correctement prises en compte; 4. évaluer avec soin l’éventuel impact de l’octroi d’une garantie sur d’autres financements, compte tenu de la stratégie nationale de gestion de la dette.
L’amélioration de la transparence n’incombe toutefois pas uniquement aux gouvernements des pays emprunteurs. Les créanciers peuvent aussi favoriser des pratiques de financement plus transparentes en donnant des informations détaillées sur leur propre portefeuille de prêts. Il leur incombe de limiter le recours aux clauses de confidentialité et de proscrire le secret. Ils se doivent de publier des informations détaillées sur les portefeuilles de prêts, comme le préconisent les directives opérationnelles du G20 pour un financement durable.
Les institutions financières internationales ont aussi un rôle essentiel à jouer en matière de transparence et de viabilité de la dette. Il nous semble, en effet, qu’il faudrait normaliser et consolider les pratiques de recueil des données à l’échelle mondiale. Par le biais d’une palette d’outils, la Banque mondiale promeut les réformes en fournissant des évaluations régulières du respect par les pays des normes internationales dans les domaines statistiques et comptables.
À la suite de la pandémie de Covid-19, nous ne saurions rester les bras croisés face aux problèmes de transparence de la dette dans les pays en développement. C’est maintenant qu’il faut agir.
Marcello Estevão
Fonctionnaire à la Banque mondiale