Sous le feu des conflits à l’Est, la Banque mondiale (BM) dresse un bilan sévère du développement en RDC. Son directeur des opérations, Albert Zeufack, alerte : sans paix et sans une gouvernance irréprochable, les projets sont paralysés et les prêts, aussi avantageux soient-ils, ne pourront être déployés. Un message sans fard adressé aux autorités congolaises.
Lors d’un café de presse tenu ce lundi à Kinshasa, le Directeur des opérations de la Banque mondiale en République Démocratique du Congo, Albert Zeufack, a dressé un tableau préoccupant de l’impact du conflit dans l’Est sur les projets de développement en cours, tout en soulignant les axes prioritaires de la coopération entre l’institution et le gouvernement congolais. De la sécurité aux réformes financières, en passant par les infrastructures et le capital humain, le haut responsable a livré un message clair : L’Est du pays : les projets paralysés par le conflit
Dès l’entame de son intervention, M. Zeufack a adressé ses condoléances aux familles éprouvées dans les zones de guerre, rappelant que l’instabilité sécuritaire a un impact social majeur, mais aussi un effet économique direct, étant donné que « les deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu contribuent significativement au PIB et aux recettes budgétaires du pays ».
Selon lui, la Banque mondiale dispose actuellement de 11 projets actifs dans l’Est, mais la plupart sont à l’arrêt total : des unités de gestion déplacées ou « pillées »; des véhicules de mission volés par le M23 ; des agents de terrain contraints de fuir.
L’interruption de projets clés tels que STAR-EST, PCAGFM, TRANSFORM, et le programme de facilitation du commerce dans les Grands Lacs : « Aujourd’hui, il est impossible d’envoyer des missions sur le terrain. C’est une catastrophe en matière de développement ».
Il appelle les acteurs engagés dans les négociations de paix à « tout faire pour ramener la stabilité dans l’Est », condition indispensable à la reprise des activités.
Malgré les obstacles, la Banque mondiale affirme maintenir sa présence. Dans les deux dernières semaines, le Directeur des opérations dit avoir rencontré les gouverneurs du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, du Maniema et de l’Équateur.
L’une des préoccupations majeures exposées par Albert Zeufack est la faible capacité de gestion financière dans les provinces, un frein structurel à l’efficacité de l’aide. Pour la Banque mondiale, l’amélioration de la gouvernance est une condition indispensable pour intégrer davantage de provinces dans les grands projets.
Les prêts de la Banque mondiale : « Ce ne sont pas de cadeaux »
Albert Zeufack a également tenu à clarifier la nature des financements accordés à la RDC. Les fonds proviennent de l’IDA, c’est-à-dire des prêts concessionnels, et non des dons. Le taux d’intérêt pour ces prêts est de 0,75 % l’an. Leur durée part de 25 à 30 ans et la période de grâce jusqu’à 5 ans.
Il rappelle qu’aucune autre source de financement au monde n’offre de telles conditions. Cependant, ces financements ne sont versés que si les projets avancent. À ce sujet, il cite l’exemple préoccupant du projet Agri, doté de 600 millions USD et qui n’a décaissé que 6 % en trois ans.
Selon Zeufack, la cause principale est l’ingérence politique dans les unités de gestion des projets, un problème qui touche une grande partie du portefeuille congolais.
Dette : une situation encore saine, mais fragile
Le Directeur des opérations a réfuté les affirmations selon lesquelles la dette de la RDC « galoperait ». Selon lui, la RDC affiche un ratio dette/PIB de 22,5 % en 2024, l’un des plus faibles d’Afrique subsaharienne : « Le danger n’est pas le niveau de dette, mais la capacité de la servir ».
Aussi, a-t-il appelé le Gouvernement à éviter d’accumuler des dettes coûteuses, au risque de compromettre sa solvabilité.
Interrogé sur l’absence de progrès socio-économique perceptible, Albert Zeufack reconnaît que la RDC connaît une croissance notable, mais une croissance qui ne crée pas assez d’emplois : «On ne mange pas la croissance. Ce qu’on mange, c’est son salaire. » D’où, sa recommandation : « La croissance doit devenir inclusive et orientée vers le secteur privé ».
Des besoins colossaux : plus de 200 milliards USD en infrastructures
Réagissant aux estimations des besoins de financement de la RDC — près de 200 milliards USD pour l’électricité, les routes, l’industrialisation et les entreprises publiques — Zeufack reconnaît l’ampleur des défis.
Toutefois, il a fait comprendre que la Banque mondiale n’est qu’un levier parmi d’autres, revendiquant un portefeuille de 8 milliards USD en RDC en termes de : investissements en agriculture, routes, santé, éducation, énergie et projets prioritaires comme le Corridor du Burkina – Lubumbashi (Lobito), appelé à devenir un axe majeur de diversification économique.
Il a cité l’exemple de l’Angola où l’appui de la Banque mondiale a permis une transformation économique le long du même corridor, jusqu’à exporter des avocats vers l’Europe.
Pour conclure, Albert Zeufack rejette le narratif selon lequel certains pays seraient les «élèves » du FMI ou de la Banque mondiale : « Les institutions internationales n’ont jamais développé un pays. Elles aident les pays qui veulent se développer à le faire. » Et d’ajouter : «Le développement de la RDC dépend d’abord et avant tout de la stabilité, de la bonne gouvernance et de la capacité du pays à exécuter ses propres projets ».
Tighana MASIALA

