Alors que la résistance s’organise pour contrer le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, aux élections du 20 décembre 2023, on assiste désormais à la constitution de différents blocs politiques. Si Matata Ponyo Mapon, candidat déclaré à la prochaine présidentielle pour le compte de Leadership et Gouvernance pour le développement (LGD), s’est allié à Martin Fayulu et au Dr Denis Mukwege, Moïse Katumbi ne s’empresse pas à rejoindre ce bloc des personnalités. Avec ses ambitions présidentielles, nettement affichées, Katumbi craint une concurrence directe avec Matata qui pourrait lui être fatale au moment du sprint électoral de décembre 2023. Katumbi travaille donc pour la constitution d’un autre bloc qui pourrait, sans surprise, le rapprocher de FCC de Joseph Kabila avec qui il a réussi à aplanir les divergences depuis le forum de réconciliation inter-katangaise de Lubumbashi. Les blocs anti-Tshisekedi, il y en aura à foison. Adolphe Muzito, leader de Nouvel Elan, qui dit avoir appris des ratés du conclave de Genève, travaille pour une coalition autour d’un projet. Il pense, à son tour, fédérer des formations politiques autour des idées, un projet commun à soumettre à la sanction populaire en décembre 2023.
Comme en 2018, l’histoire politique de la République Démocratique du Congo est en train de suivre la même trajectoire ou presque.
On se rappelle qu’avant les élections de décembre 2018, les principaux leaders de l’opposition à Joseph Kabila s’était retranchés à Genève, en Suisse,pour se choisir un candidat commun à opposer à celui du Front commun pour le Congo (FCC). Ce jour-là, Genève était au cœur de la politique congolaise, avec autour d’une table Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Félix Tshisekedi, Adolphe Muzito, Martin Fayulu, Vital Kamerhe et Freddy Matungulu. Au terme d’un vote à bulletin secret, le sort était tombé sur Martin Fayulu comme porte-drapeau de l’opposition à la présidentielle de décembre 2018.
Mais, 24 heures après le compromis, tout a basculé, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ayant pris la décision de se désolidariser du compromis de Genève. Sous la pression de Limete, « Base de l’UDPS», Félix Tshisekedi se porta lui aussi candidat président de la République, avec comme principal allié Vital Kamerhe, chairman de l’Union pour la nation congolaise.
Le 9 janvier 2019, Félix Tshisekedi était proclamé Président de la République, reléguant au second plan Martin Fayulu, candidat commun de l’opposition. On criera par la suite à un «hold up » électoral, mais, en dernier ressort, la Cour constitutionnelle confirma l’élection de Félix Tshisekedi et accepta sa prestation de serment dans une cérémonie organisée en présence du président sortant, Joseph Kabila.
Ainsi se termina l’épilogue de Genève, dans une confusion totale.
Les leçons d’une dérive
Que s’était-il passé ? Pourquoi le compromis de Genève n’avait pas résisté au temps ?
La réponse est bien simple. A Genève, ce sont des personnalités politiques qui s’étaient alliées sans impliquer forcément leur parti politique respectif. Qui pis est, les leaders, qui s’étaient associés à Genève, n’avaient qu’un seul objectif : contrer le candidat de Kabila sans se mettre préalablement d’accord sur un projet commun de société.
A Genève, on a donc mis la charrue devant le bœuf. Les personnalités en négociations ont engagé leur responsabilité sans avis préalable de leur parti politique respectif. La suite, on le sait, a été fatale, condamnant l’opposition à se présenter en ordre dispersé aux élections du 30 décembre 2018. Certes, Félix Tshisekedi, candidat de l’UDPS, a triomphé au bout de la course. Mais, «à vaincre sans péril, dit-on, on triomphe sa gloire ».
Cinq ans après Genève, le même décor est en train d’être planté en vue de la présidentielle de décembre 2023. On a vite fait table rase du passé, sans cependant tirer de leçon de ce qui a été à la base de l’échec des pourparlers de Genève.
Dans les cercles politiques les plus huppés de la ville, on est d’avis que Genève ne pouvait pas résister à l’usure du temps parce que les personnalités s’étaient substituées aux partis politiques. Genève n’était qu’une coalition des personnalités et non des idées ou des projets. Et la désintégration d’un compromis bâti autour de rien n’a pas tardé. C’est la grave erreur qu’il ne faudrait pas commettre en 2023.
Or, dans les faits, on sent déjà l’opposition tomber dans les mêmes travers de novembre 2018. Les alliances se forment plus autour des personnalités que des idées.
La toute dernière en date est cette déclaration commune, signée par le trio Matata Ponyo Mapon, Martin Fayulu et Dr Denis Mukwege. Si Katumbi n’a pas adhéré à cette dynamique, le leader d’Ensemble pour la République nourrit aussi l’ambition de fédérer autant de personnalités possibles autour de sa candidature à la présidentielle du 20 décembre 2023.
Apprendre de l’échec de Genève
Le schéma de Genève bis est en marche. Ferait-il flop comme en 2018 ? On craint fort.
C’est cette crainte qui a poussé Adolphe Muzito, leader de Nouvel Elan, à se lancer autour des idées ou des projets que des personnalités. Présent à Genève en 2018, il sait de quoi il parle. Il connaît les pièges à éviter pour que Genève ne se répète en 2023. C’est donc une alerte qu’il envoie à toute l’opposition avant le congrès de son parti, Nouvel Elan, prévu en mars 2023 dans son fief naturel de Grand naturel.
Adolphe Muzito, qui a longuement expérimenté la trahison au sein de l’opposition, se pointe désormais en leader d’une forme repensée d’une alliance contre Félix Tshisekedi. Plus question, pense-t-il, de mettre en avant les personnalités pour contrer Tshisekedi. Ce sont les idées ou les projets qui doivent triompher.
«S’unir autour des personnalités est un schéma voué à l’échec. Genève est passé par là sans atteindre les objectifs qu’on s’était fixés », a-t-il indiqué, dans un récent entretien avec la presse.
En termes d’idées ou des projets, Adolphe Muzito s’était déjà investi trop tôt dans cette direction en alignant une série de tribunes et en animant des échanges populaires dans son QG de Mpasa, dans la périphérie Est de la ville de Kinshasa.
De l’avis de Muzito, la meilleure façon de faire bloc à Félix Tshisekedi est de présenter une offre politique qui soit la plus crédible possible. L’union des personnalités ne suffit pas, le peuple a besoin d’un projet politique qui prend en compte son bien-être et le développement, préconise-t-il.
«A Genève, on a commis cette erreur de mettre en avant les personnalités, on s’est trompé de cible. Et la suite a été catastrophique. C’est le schéma qu’il faut éviter en 2023 », prône le leader de Nouvel Elan, porteur du projet d’une alliance autour des idées.
Pourvu que sa voix soit entendue – avant qu’il ne soit encore trop tard, comme en 2018.
Econews