Alors que le Fonds monétaire international (FMI) anticipe une croissance de 4,1% pour l’Afrique subsaharienne d’ici la fin de l’année, cette prévision masque toutefois des dynamiques macroéconomiques hétérogènes à travers le continent. Selon Amadou Sy, directeur des recherches au département Afrique du FMI, ces perspectives économiques présentent des défis, mais révèlent aussi des opportunités. Entretien.
La Tribune Afrique – Les perspectives économiques d’octobre 2025 notent que les pays d’Afrique subsaharienne s’appuient de plus en plus sur la dette intérieure, faute d’accès au financement extérieur. Comment réduire cette dépendance sans priver les gouvernements des fonds dont ils ont besoin ? Quelles sont les pistes concrètes que le FMI propose, adaptées à la réalité financière actuelle de la région ?
Amadou Sy : Nous observons en effet, que beaucoup de pays africains font plus recours aux marchés domestiques parce que les marchés internationaux sont fermés ou très chers. Souvent, les marchés domestiques sont dominés par les banques commerciales, qui se retrouvent à avoir dans leur portefeuille une proportion croissante de titres souverains. Ceci peut créer des risques et un effet d’éviction sur l’investissement privé, car les rendements des titres publics sont intéressants et les banques pourraient être moins enclines à prêter au secteur privé. Un conseil est d’avoir une stratégie de développement des marchés domestiques, comme le font la Tanzanie, l’Ouganda, Maurice, le Rwanda ou le Nigéria, au lieu d’utiliser ce marché comme prêteur de dernier recours. Une piste recommandée dans le rapport est de renforcer la transparence et la gestion de la dette publique. L’autre est de développer les marchés obligataires locaux en élargissant la base des investisseurs. Pour le premier point, les pays peuvent publier des données exhaustives sur la dette, améliorer la gestion des finances publiques et adopter des stratégies de gestion de la dette à moyen terme, afin de rassurer les investisseurs et réduire les coûts d’emprunt.
Concernant l’élargissement de la base d’investisseurs, on pense aux fonds de pension. Tout en gardant à l’esprit leur objectif de sécurité pour les retraités, nous avons remarqué que beaucoup de fonds de pension investissaient une grande part de leur portefeuille dans l’immobilier. Dans d’autres pays, comme le Botswana ou l’Afrique du Sud, les fonds de pension sont plus sophistiqués et investissent dans un portefeuille plus diversifié. Il faut donc suivre ces deux pistes, tout en gardant la recommandation d’une stratégie de développement des marchés domestiques, pour ne pas les utiliser uniquement par défaut, faute de pouvoir émettre des eurobonds.
Le rapport relève que le paiement des intérêts absorbe une part croissante des budgets. Comment les pays peuvent-ils préserver les dépenses vitales (santé, éducation) et les investissements productifs (énergie, routes), tout en continuant de rembourser leurs créanciers internationaux, souvent rigides sur les délais ?
Il faut remarquer qu’au sujet du niveau de la dette pour la région, elle s’est stabilisée et la trajectoire est à la baisse. Le service de la dette, lui, reste très élevé et crée un effet d’éviction sur les dépenses sociales et les investissements importants. Il faut continuer à améliorer l’efficacité des dépenses publiques, car beaucoup de pays se sont endettés pour investir dans l’infrastructure. Il faut prioriser les dépenses sociales et d’investissement productif, renforcer les dispositifs de protection sociale et réduire les dépenses non essentielles. Avec la baisse de l’aide publique au développement et des marchés internationaux qui restent chers, le poids de l’ajustement repose sur le budget.
Il faudra mobiliser davantage de recettes intérieures par des réformes fiscales et une meilleure administration. Même sans augmenter les impôts, on peut mieux administrer l’assiette fiscale. Il faut aussi augmenter les marges de manœuvre budgétaire, par exemple en explorant plus de recettes au niveau de l’immobilier. Il faut aussi réduire les dépenses fiscales ; on voit que dans la région, elles coûtent beaucoup plus cher et sont souvent mal ciblées ou inefficaces. Enfin, il faut renforcer la transparence et la gouvernance pour garantir que les ressources sont utilisées à bon escient et préserver la confiance des citoyens.
Concernant les pays ayant entrepris de renégocier leur dette (Zambie, Éthiopie, Ghana, Tchad), les négociations sont souvent lentes et laissent ces pays dans une situation de risque, sans accès facile à la liquidité extérieure. Entre les dettes cachées découvertes et ces négociations qui n’avancent pas, le FMI a-t-il des pistes de solutions alternatives pour arriver à régler ces situations (dettes renégociées ou annulées) sans impacter négativement les notations des agences ?
On a vu une évolution positive au niveau international avec le cadre commun du G20. La restructuration de la dette est plus rapide avec le temps. On a vu le Tchad, le Ghana, la Zambie ; il reste l’Éthiopie, où c’est en cours. Pour les autres, il y a eu des progrès rapides, surtout avec le Ghana. Le rôle du FMI était de faciliter le dialogue entre les parties prenantes et de soutenir la mise en place de cadres de restructuration plus rapides. Nous continuons à insister sur l’importance d’accroître la transparence de la dette, de publier des statistiques complètes et actualisées, y compris sur les entreprises publiques et les garanties. Le FMI offre de l’assistance technique, dont la plupart va à l’Afrique, pour travailler avec les ministères des finances et les agences de statistique. Il y a aussi des réflexions sur des mécanismes alternatifs, comme les conversions de dette en programme de développement, mais c’est un problème d’accroître l’échelle (scaling up). Il y a eu des progrès, comme le montre une note du Sovereign Debt Restructuring Mechanism. Le FMI a aussi publié un playbook sur la restructuration de la dette pour guider les pays sur les choix et les arbitrages.
Dans certains pays comme la RDC ou le Ghana, les réformes accompagnées par le FMI ont amélioré le taux de change. Le problème est que cette amélioration s’accompagne d’une baisse de la contrepartie en monnaie locale. Or, l’essentiel des charges étant libellé en monnaie locale, cela crée une disruption : les entreprises et l’État sont obligés d’emprunter davantage localement, mettant les banques sous pression. Le FMI suit-il ce phénomène et quelles sont ses recommandations pour améliorer le taux de change sans créer une crise de liquidité interne en monnaie locale ?
Nous avons des équipes dans chaque pays qui regardent de très près la microstructure des marchés de change. Les pays africains ont un problème car les sources de devises sont très limitées, les économies étant peu diversifiées. Dans beaucoup de pays, les sources de devises sont le secteur minier ou pétrolier, ce qui crée un marché des devises peu liquide ou peu fluide. Je me souviens au Botswana, il y avait les «Diamond Days» : le jour où la compagnie étatique vendait les diamants, les dollars arrivaient sur le marché, créant des pics. Il faut voir à moyen terme comment diversifier les sources de devises pour le pays, en diversifiant l’économie et les exportations. Il faut aussi regarder comment le marché des devises fonctionne. Souvent, ce sont quelques banques, quelques compagnies qui apportent les dollars et quelques gros acheteurs. Il faut plus de compétition.
Il faut rentrer dans la microstructure du marché pour faire en sorte qu’il marche bien. Il faut utiliser les réserves internationales avec prudence pour stabiliser le marché, tout en évitant une érosion excessive. Quand on a une volatilité temporaire très grande, la banque centrale peut intervenir, mais avec prudence, car les réserves sont difficiles à accumuler et disparaissent vite. Il faut aussi voir au niveau du secteur bancaire pour qu’il y ait une compétition. Chaque pays est différent, mais c’est souvent plus compliqué dans les pays où il y a très peu de sources de devises concentrées (Angola, RDC). On va continuer la réflexion. Le système PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System) peut aider à réduire les tensions sur les marchés de change. Il faut voir toute la plomberie financière qui doit accompagner les échanges.
Vous avez mentionné la nécessité de mobiliser davantage de recettes fiscales. Comment faire, alors que la moindre réforme fiscale entraîne des tensions sociales, comme on l’a vu au Kenya ou à Madagascar ?
Nous insistons beaucoup sur la nécessité de renforcer la transparence et la participation citoyenne. On recommande de publier les rapports sur les dépenses fiscales, de consulter largement les parties prenantes et de communiquer sur l’utilisation des recettes dans le cadre d’un contrat social. On fournit de l’assistance technique pour renforcer les institutions d’audit suprême (Cour des comptes, Chambre des comptes). Dans ce rapport, nous avons consulté nos rapports d’assistance technique pour voir concrètement comment moderniser l’administration fiscale et rationaliser les dépenses fiscales. On a vu des cas en Afrique où le passage au numérique a eu de bons résultats. On parle aussi de l’intégration des systèmes fiscaux et douaniers et de la gestion de la conformité fondée sur les risques. D’un autre côté, il faut réduire les exonérations et les déductions inefficaces. La dépense fiscale est très élevée. Il y aura des résistances, car certains en bénéficient. C’est l’économie politique : il faudra consulter, discuter, expliquer.
Le FMI recommande enfin la mise en place d’une aide au développement ciblée vers les pays qui en ont le plus besoin et propose des mécanismes comme les conversions de dettes ou les financements mixtes. À qui le FMI s’adresse-t-il ? On sait que de grands donateurs en Europe et en Amérique du Nord ont réduit cette aide, tandis que d’autres (Norvège, Suède, Corée, Chine) l’ont augmentée. Quelle est la position du FMI sur cette réduction de l’aide ?
Au département Afrique, nous travaillons avec les pays africains et nous voyons cela [la baisse de l’aide] comme un choc extérieur, au même titre qu’une hausse des tarifs douaniers. Comment peut-on rendre nos pays plus résilients, moins vulnérables à ces chocs et comment s’y adapter ? À notre niveau, c’est cela. On va encourager les pays [donateurs] à cibler l’aide vers les pays les plus vulnérables. Il y a une tendance à la baisse de l’aide publique au développement qui touche surtout ces pays. Ce n’est pas juste une question d’argent, il y a aussi le mécanisme de delivery (livraison, ndlr) dont on perd le savoir-faire.
Prenez le cas d’un gouvernement qui a l’argent pour se substituer à l’aide, mais qui ne maîtrise pas le mécanisme [d’ONG ou partenaire] pour distribuer des vaccins dans les villages reculés. Si ces acteurs partent, le gouvernement a-t-il la capacité de se substituer rapidement ? Ce n’est pas seulement l’argent, il y a le mécanisme de mise en place. Pour nous, il s’agit de savoir comment on évalue ces risques, comment on les mesure et comment on les gère.
Avec La Tribune Afrique

