Membre du Balai citoyen, Ollo Mathias Kambou est accusé d’outrage au chef de l’Etat, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.
Au Burkina Faso, son visage est devenu le symbole de la grogne contre la junte militaire au pouvoir depuis janvier. Après l’interpellation, début septembre, du militant Ollo Mathias Kambou, le hashtag #FreeKamao («libérez Kamao», son surnom) fleurit sur les réseaux sociaux. Vendredi 23 septembre, le procureur a requis contre lui six mois de prison, dont trois mois ferme, pour «outrage » au chef de la junte, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, suite à plusieurs publications critiques sur Facebook. C’est la deuxième fois seulement que le délit d’offense au président fait l’objet d’un procès dans l’histoire du pays – le premier cas concernait le polémiste franco-béninois Kémi Séba, jugé coupable d’outrage au président Roch Marc Christian Kaboré en 2019.
Le 5 septembre, Ollo Mathias Kambou, membre du Balai citoyen – un mouvement fer de lance de l’insurrection de 2014 –, a été interpellé par des gendarmes en civil à la sortie des locaux de la chaîne Omega TV, où il venait de participer à une émission de débats. Le militant de 35 ans y avait qualifié d’« échec total» le bilan au pouvoir de M. Damiba. La veille, sur les réseaux sociaux, il avait déjà épinglé le discours tout juste prononcé par le chef de l’Etat, qui se félicitait d’une «relative accalmie » dans certaines localités. «Il a raté une occasion en or de fermer sa bouche d’indigne, d’antipatriote, de traître », s’était-il emporté.
Ce doctorant en science de la population était dans le viseur du pouvoir depuis quelque temps, selon nos informations. «Ses publications dérangeaient, on l’avait mis en garde par personne interposée en lui disant de se calmer», assure une source proche du militant. Guy-Hervé Kam, son avocat, dénonce aujourd’hui un procès «contre la liberté d’expression».
Au tribunal de grande instance de Ouagadougou, les débats, parfois houleux, ont mis en cause le coup de force de l’armée contre la démocratie, huit ans après la chute du régime de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par la rue. « On s’est battu pour nos libertés et aujourd’hui on veut condamner quelqu’un qui donne son opinion ? », a fustigé Prosper Farama, à la défense, qui dénonce également des « irrégularités » lors de l’interpellation et la garde à vue de M. Kambou. «On peut critiquer, mais avec la forme !», s’est agacé le parquet, invoquant des «propos méprisants ». Le jugement est attendu le 30 septembre.
«C’est le prix à payer»
Plusieurs organisations de la société civile s’alarment dans un communiqué d’« une volonté de musellement des voix discordantes à celles du MPSR», le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, le nom de la junte. Alors qu’elle s’était engagée à «reconquérir» le territoire, celle-ci échoue à endiguer la propagation djihadiste, suscitant de nombreuses critiques au sein de la population. Plusieurs manifestations ont eu lieu ces dernières semaines dans le nord face à l’aggravation de l’insécurité. Une gronde dont certains craignent qu’elle provoque en retour un durcissement des putschistes.
En juin, l’adoption d’une loi d’habilitation à l’Assemblée législative de transition, permettant au gouvernement de prendre des mesures par ordonnances dans le cadre de la « défense nationale », avait suscité l’inquiétude des juristes. «Un texte fourre-tout qui pourrait entraîner des dérives liberticides», pointe Asseghna Somda, chargé de programme au Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). Pour lutter contre les groupes terroristes, M. Damiba a ainsi ordonné la création de « zones d’intérêt militaire» dans le nord et l’est, forçant les habitants à quitter les lieux, sans quoi ils seront considérés comme «hostiles».
Les autorités mettent également en garde contre la diffusion de fausses informations ou de publications pouvant porter atteinte au « moral des troupes». «C’est le prix à payer pour sortir notre pays de l’ornière», a assuré M. Damiba, qui, dans son discours du 4 septembre, est allé jusqu’à accuser certains organes de presse d’être de «dangereux outils de subversion». Le putschiste avait donné le ton dès le mois d’avril en convoquant les responsables des médias au palais présidentiel. «Allez dire à ceux qui me critiquent sans me connaître que le train est lancé, qu’il va arriver à destination et qu’il est temps de monter pour ne pas avoir de regret ! », avait-il recadré.
Depuis, le travail des journalistes se complique. Pressions, agressions, émissions censurées, invités privés de débats télévisés… Plus d’une dizaine de cas d’atteintes à la liberté de la presse ont été documentés par l’Association des journalistes du Burkina (AJB) au cours des huit derniers mois. «Les journalistes sont devenus des boucs émissaires. De plus en plus s’autocensurent par crainte de représailles », observe Guézouma Sanogo, le président de l’AJB.
Actes d’intimidation
Alors que les tensions montent entre pro et anti-junte, les actes d’intimidation se multiplient aussi contre certains opposants. Le 4 août, un député et ses partisans ont perturbé la cérémonie de lancement du Front patriotique, un regroupement d’une trentaine d’organisations de la société civile et de partis politiques qui appelle à l’éviction de la junte militaire au profit d’une transition «légitime et souveraine». Et le 22 août, Serge Bayala, un ancien leader de l’insurrection réputé pour ses positions tranchées, a vu sa voiture brûlée devant son domicile. Le gouvernement a condamné «avec fermeté» une «manifestation de violence d’un autre âge» et promis une enquête pour retrouver les auteurs de l’incendie.
«Des groupes privés font la loi et se sont substitués à l’Etat en cherchant à réprimer ceux qui critiquent le pouvoir», accuse Germain Bitiou Nama, le coordonnateur du Front patriotique. Au lendemain de l’arrestation de M. Kambou, une mobilisation organisée devant la Brigade centrale de lutte contre la cybercriminalité a viré à l’affrontement entre des militants du Balai citoyen et ceux du mouvement Sauvons le Burkina, allié à la junte, faisant un blessé, sous le regard impuissant des forces de sécurité. La scène illustre bien le climat de rancœurs et de discorde qui règne au sein d’une société civile profondément divisée.
«Les autorités devraient jouer leur rôle de régulateur et veiller à la neutralité du processus de transition pour tenter de rassembler et éviter le risque de confrontations», insiste Asse-ghna Somda. «Le putsch a tout d’une restauration du régime Compaoré et d’une revanche sur les anciens insurgés», critique de son côté Serge Bayala, qui rapporte être l’objet de multiples messages de haine et de menaces sur les réseaux sociaux.
Avec Le Monde/Afrique