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CDF/USD : l’effet Yo-Yo qui étrangle la RDC – Enquête sur les « co-régulateurs occultes » du marché des changes (Par Didier Bokungu Ndjoli)*

Le Franc congolais (CDF) semble vivre un paradoxe insoutenable. Alors que la Banque Centrale du Congo (BCC) affiche un taux officiel en nette amélioration, passant de 2.850 à moins de 2.300 CDF pour 1 USD (Dollar américain), la réalité du marché parallèle, elle, s’emballe, avec un dollar qui s’échange à moins de 2.000 CDF. Cet écart vertigineux, loin de profiter aux ménages, plombe leur pouvoir d’achat dans un pays où les prix restent figés.

Si les interventions monétaires classiques – comme l’injection massive de dollars et la baisse des taux directeurs – se révèlent impuissantes à enrayer cette instabilité, c’est que la racine du mal est ailleurs. Une analyse approfondie révèle l’existence d’un « pont physique » de liquidités hors bilan, détenu par une élite politico-économique, qui manipule à volonté l’offre et la demande entre le marché officiel et le marché parallèle. Ces acteurs, véritables « co-régulateurs occultes », tirent les ficelles d’un dangereux effet Yo-Yo dont ils sont les seuls bénéficiaires.

Face à cette prise d’otage de l’économie nationale, des mesures drastiques s’imposent. De la création d’un Parquet national financier à une amnistie ciblée pour rapatrier l’argent fantôme, en passant par une réforme budgétaire courageuse, cet article propose une feuille de route pour reprendre le contrôle de la monnaie et sauver le pouvoir d’achat des Congolais. Analyse de Didier Bokungu Ndjoli, depuis les Etats-Unis.

Au cours des mois de janvier et de février 2025,  la prise des villes stratégiques de Goma et de Bukavu par les forces RDF/AFC/ M23 ont secoué quelque peu l’économie du pays.

Il y a eu une certaine fébrilité sur le marché des changes en RDC. Toutefois, l’on a noté, par la suite une certaine stabilité du taux de change USD/CDF tout autour de 1 USD pour 2.850 CDF sur plusieurs mois d’affilée.

Tout dernièrement, la BCC a injecté 50 millions USD sur le marché des changes pour stabiliser durablement et influer positivement sur la parité du CDF par rapport au dollar américain.

Dans la foulée, elle a aussi baissé les taux directeurs.

L’on note maintenant un taux de change USD/ CDF qui continue à baisser alors que les autres paramètres, dont les prix sont restés figés. Une situation très gênante pour le Gouvernement car le pouvoir d’achat de la population en pâtit sérieusement.

La BCC a publié tout  récemment un taux USD/ CDF qui oscille autour de 2.300 CDF, alors que sur les marchés parallèles, les spéculations rabattent ce taux à moins de 2.000 CDF.

L’écart entre le taux parallèle et le taux officiel devient de plus en plus grand, et est de nature à saper le moral de la population, finalement, alimenter de plus belle ces spéculations.

Il est à noter en RDC que la masse monétaire en circulation est constituée majoritairement en devises.

Alors pourquoi intervenir sur le marché des changes et comment arriver à enrayer ces Effets YO-YO ?

  1. Lecture classique de cette situation

Ce phénomène observé sur le marché des changes congolais  n’est pas anodin. Les mesures monétaires d’intervention ponctuelles de la BCC créent des décalages temporaires, mais accentuent ensuite les déséquilibres.

L’injection des 50 millions USD ont momentanément renforcé l’offre de dollars, ce qui a entraîné une appréciation du Franc congolais.

La baisse des taux directeurs de la BCC favorise en théorie l’octroi du crédit, donc une hausse de la masse monétaire en circulation en CDF.

Mais dans son  subconscient, la population congolaise a plus confiance au Dollar américain (USD) par rapport au Franc congolais (CDF).

Quand le taux parallèle (1 USD = 2.000 CDF) est plus avantageux que le taux officiel BCC (1 USD = 2.300 CDF), les acteurs préfèrent acheter des devises au taux bas et les revendre au taux élevé, engrangeant, en passant, un profit immédiat élevé.

Mais il y a encore un petit couac. En effet, pourquoi le cours  des changes  USD/ CDF continue à baisser sur le marché parallèle ?

Ici, l’analyse sort de la situation classique.

2. Les conditions particulières de l’économie congolaise

Constat stratégique : En RDC, l’Etat est un agent économique de première importance ayant un effet majeur  direct  sur les agrégats économiques globaux, et ce,  sur tous les plans. Même  sur  un point de vue sociologique, Les personnes les plus riches de la RDC sont les personnalités politiques influentes.

Les hommes d’affaires ayant pignon sur rue sont souvent inféodés à ces dernières et agissent comme mandataires de l’ombre (Cfr. Le modèle économique de financement par les mécanismes de Circular kick-back flow system).

Les circulations concomitantes USD/CDF ont atteint leur point d’équilibre depuis de nombreuses années.  Tant que la structure de l’économie congolaise aura toujours sa physionomie actuelle d’une économie de rente vivant sur l’exportation des matières premières,  sans création de valeur locale, le même équilibre serait observé à ce jour.

Au-delà des injections ponctuelles de devises ou de la dollarisation générale, la racine structurelle du phénomène YO-YO en RDC est double. Elle résulte des déficits chroniques du Budget de l’Etat financés par émission monétaire ou consommation de devises et surtout, fait que l’on ne dit pas tout haut, de l’existence de masses importantes ( encaisses importantes)  de devises et des CDF, détenues par des personnalités politiques et des  privés ayant un encrage fort dans l’économie congolaise. Ces masses monétaires sont hors bilan des banques.

Et Pourtant, si elles arrivent à agir de façon déterminante sur le système bancaire, c’est parce qu’il existe un lien physique de causalité. En effet, de par de nombreuses sources crédibles, elles  sont logées dans des coffres privés, loués parfois par ces mêmes banques commerciales.

Les flux massifs en USD et CDF circulant hors bilans bancaires constituent un « pont physique » permettant aux détenteurs de ces masses d’argent de manipuler la liquidité entre le Marché officiel (alimenté artificiellement) et le marché parallèle (asséché ou inondé selon les stratégies privées).

Mécanisme observé : Actuellement, cette situation s’observe par l’assèchement du marché parallèle en CDF ; Injection sélective des USD sur le marché officiel avec comme conséquence une offre abondante en devises au taux officiel.

Résultat immédiat : Appréciation artificielle du CDF par le renforcement temporaire de la crédibilité du taux officiel.

Dans les mêmes conditions, si les mêmes détenteurs retirent leurs USD de l’officiel et les réorientent vers le parallèle, ils provoqueraient une dépréciation brutale du CDF.

Conséquences : ici, les autorités devraient faire montre de pragmatisme et de l’amour patriotique.

En effet, dans les conditions décrites plus haut, les actions isolées de la Banque Centrale du Congo (BCC) deviennent inopérantes. La BCC perd donc le contrôle institutionnel.

Les volatilités des taux étant entretenues par des forces centrifuges, chaque cycle d’assèchement et de réinjection accentue l’Effet YO-YO.

Ce pouvoir spéculatif est détenu, malheureusement, par une minorité de personnes qui deviennent de facto  des « co-régulateurs occultes » du marché des changes.

Si cette instabilité est prolongée, elle entraînerait un risque systémique sur les fronts sociaux. En effet, à part la guerre d’agression, le Gouvernement ferait aussi face aux remous sociaux des populations, en quête de leur pouvoir d’achat perdu.

Ce faisant, il faudrait enrayer cette situation par des mesures drastiques le plus tôt possible.

3. Mesures drastiques pour « mitiger » les vagues de spéculation sur le marché des changes

chiffres bcc

Etant donné que les spreads (qui désignent la différence entre le prix d’achat (offre) et le prix de vente ( demande) sont devenus très grands sur le marché des changes (de l’ordre de plus de 20 points), ils  deviennent en fait un coût de transaction matérialisé en perte de pouvoir d’achat  pour les populations car les prix affichés sur les marchés des biens et services sont ceux d’équilibre avec le taux de change de 1 USD pour 2.850 CDF.

Du côté des spéculateurs, ils font plutôt de très bonnes affaires et souhaiteraient même que cette situation perdure.

La neutralisation de cette situation pernicieuse exige des mesures monétaires, budgétaires et même politiques drastiques, car elle est mal intentionnée.

En effet, la stabilisation durable du Franc congolais (CDF) exige de neutraliser ce « pont hors-bilan des banques ». Tant que ces masses de devises et des CDF resteront  hors  contrôle, aucune politique monétaire ne pourra garantir la stabilité.

Le Gouvernement de la RDC a les moyens de  « mitiger » ce système pernicieux en mettant fin à  la Loi  de  l’omerta (Loi du silence).

D’où la nécessité de renforcer la lutte contre la corruption des élites (action qui accroît les encaisses monétaires occultes) par la mise en place d’un Parquet national financier, en renforcement des capacités de la CENAREF.

Il faudrait contraindre également les banques commerciales à arrêter avec ces pratiques nuisibles à l’intégrité du système bancaire,  en opérant des contrôles in situ avec des autorités judiciaires.

Accorder une amnistie aux grands détenteurs d’encaisses hors banques  de  régulariser leur situation sans sanctions ni poursuites, dans un délai de 30 jours.

Sur le plan budgétaire, l’Etat devrait faire en sorte que toutes les dépenses liées aux salaires et à la consommation locale des institutions politiques ne soient faites exclusivement qu’en Francs congolais.

Etant donné que les congolais et résidents du pays sont détenteurs des comptes en devises (RME) et des comptes CDF, le contrôle bancaire  devrait être renforcé pour éviter une substitution automatique des monnaies (USD-CDF) dans le chef des détenteurs des comptes uniques.

En effet, cette situation  favorise la dollarisation pour des personnalités ayant des salaires très élevés, payés en CDF.

Enfin, il est de notoriété publique que les déficits budgétaires de l’Etat Congolais  financés par les avances monétaires de la BCC ou par la destruction des réserves de change sont la cause essentielle d’instabilité monétaire et de l’inflation. Il sied donc de mener une politique budgétaire réaliste.

Au minima, que les déficits budgétaires financent plutôt la création des valeurs nouvelles au lieu de la consommation courante.

Fait à Raleigh (North Carolina, USA), le 14 octobre 2025.

(*) Le titre a été modifié par la rédaction.

Didier BOKUNGU NDJOLI

Consultant stratégique indépendant. Économiste-monétariste.