Les analystes et observateurs de la scène politique congolaise n’en reviennent toujours pas. Comment l’homme considéré comme l’un des plus doués de sa génération a-t-il pu se laisser berner à ce point ? Comment n’a-t-il pas vu les signaux, pourtant criants, indiquant que son sort était déjà scellé ? Et surtout, pourquoi s’est-il abaissé à une demande de pardon publique qui l’a privé de toute dignité devant la nation ?
L’affaire Kamerhe n’a pas fini d’agiter le landerneau politico-médiatique. La fin de son règne à la tête de la Chambre basse laisse nombre de Congolais éberlués.
UNE PRESIDENCE SOUS SURSIS
Homme intelligent, Vital Kamerhe ne pouvait ignorer qu’il entrait en sursis dès son élection à la présidence du bureau de l’Assemblée nationale, le 19 mai 2024. La seule inconnue restait le moment de son départ.
Les premiers signaux ne trompaient pas. Le Chef de l’État avait pris l’habitude de nommer au gouvernement, pour le compte de l’UNC, des ministres que Kamerhe lui-même n’avait pas désignés. Aimé Boji en est l’illustration, passé du Budget à l’Industrie sans l’aval du président de l’UNC. En langage politique congolais : «Tu tends la main, on t’arrache le bras ». Autrement dit, le Chef de l’État pouvait s’approprier jusqu’à ton parti.
LE SPECTRE DU CHANGEMENT DE CONSTITUTION
À peine élu, le débat sur un changement de Constitution est lancé par Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS. L’argument avancé – la loi fondamentale congolaise serait « une Constitution des étrangers» – a vite trouvé un large écho. De nombreux cadres tshisekedistes, y compris André Mbata, jadis farouche opposant à l’idée de changement de constitution sous le règne de Kabila, ont entonné le refrain.
Le président Tshisekedi lui-même a fini par porter ce projet à Kisangani, en octobre 2024 : «Notre Constitution n’est pas bonne. Elle a été élaborée à l’étranger et par des étrangers ». Puis, à Lubumbashi, il enfonçait le clou en lançant l’anthologique «Qui est celui-là qui va m’interdire, moi, garant de la Nation, de changer la Constitution ? » L’objectif était clair : allonger la durée du mandat et en supprimer la limite.
L’EXEMPLE BEMBA : LEÇON DE DISCIPLINE POLITIQUE
Tout le monde devait se plier à la ligne présidentielle. Jean-Pierre Bemba, alors vice-Premier ministre des Transports, en a fait l’amère expérience. Le 4 décembre 2024, il déclare à Top Congo que seule une révision constitutionnelle est prévue, s’opposant implicitement au changement voulu par le chef de l’État. Le lendemain, rectification immédiate par son parti : le MLC apporte son « soutien total » au projet présidentiel de changement de constitution. Bemba dut ravaler son honneur.
KAMERHE, LE DERNIER IRREDUCTIBLE
Un seul homme osa maintenir une voix discordante : Vital Kamerhe. Reçu par le Président Tshisekedi le 9 décembre 2024, il refuse de se prononcer avant les conclusions d’une commission promise. Trop indépendant, trop audacieux, il se distingue dans une Union sacrée désormais homogène et disciplinée.
Sa position sur le M23 n’a rien arrangé : dès 2022, il plaidait pour un dialogue avec les rebelles, à qui il demandait de déposer les armes afin de permettre d’examiner leurs revendications. Ce qui irritait le sérail présidentiel, sinon le président lui-même.
LA PETITION QUI SCELLE SON SORT
Le 30 janvier 2025, la prise de Goma par les rebelles de l’AFC/M23 suspend momentanément le débat constitutionnel. Mais la fragilité de Kamerhe demeure. Lorsque Crispin Mbindule, ancien de l’UNC rallié à l’UDPS, lance sa pétition, les signatures affluent à grande vitesse. Le seuil de 200 signatures franchi, l’issue ne faisait plus de doute.
Au lieu de préparer sa sortie, Kamerhe tente un ultime recours : solliciter Félix Tshisekedi. Le 14 septembre, selon Jeune Afrique, le président l’assure qu’il mettra fin à la pétition, par l’entremise de son Haut représentant, Tony Kanku Shiku. Kamerhe sort rassuré, soulagé.
La boulangerie politique
Mais à peine avait-il quitté le Palais que le Président se rétracte. Toujours selon Jeune Afrique, il ordonne à Tony Kanku Shiku et au ministre Guy Loando d’accélérer l’opération de collecte de signatures. Kamerhe venait, littéralement, d’être roulé dans la farine comme un apprenti.
Dès lors, sa chute paraît inévitable. La seule question qui subsiste : prendra-t-il acte de la fin de son épopée à la tête de l’Assemblée nationale ou persistera-t-il dans une bataille désespérée et sans issue ?
MULOPWE Wa Ku DEMBA (CP)