Le 30 novembre 2013 mourait l’artiste musicien Tabu Ley, dit «Seigneur Rochereau». Le mardi 30 novembre, date anniversaire de sa mort, sa famille biologique et d’autres personnalités sont allées se recueillir sur la tombe de l’illustre disparu. Une manière pour elles d’honorer la mémoire du «roi de la rumba congolaise». Oui, Tabu Ley Rochereau est mort, mais ses œuvres perpétuent encore sa mémoire. Quand Tabu Ley Rochereau chantait en 1966 «Congo Avenir», il ne s’imaginait pas que sa chanson résisterait au temps. Cinquante-cinq ans après, cette chanson reste d’actualité et interpelle au plus haut point la conscience congolaise.
Décédé le 30 novembre 2013, Tabu Ley, alias «le Seigneur Roche-reau», n’était pas que le premier artiste muscien africain à jouer dans la mythique salle de l’Olympia de Paris (en 1970, rappelons-le) ou encore le père du célèbre rappeur Franco-Congolais Youssoupha Mabiki ; était aussi un visionnaire et un auteur-compositeur de génie qui savait exploiter tous les thèmes d’actualité et de vie quotidienne (tout comme son frère de légende Franco Luambo Makia-di) afin de produire à son public des œuvres d’anthologie qui, des années après leurs parutions, demeurent prémonitoires et d’une actualité pathétique.
En 1966, Tabu Ley sortit un tube historique à succès titré «Congo Avenir», contenu dans l’album «Jolie Elie».
A l’époque, son pays, la République Démocratique du Congo, peine de sortir de la chaotique période qui a suivi son accession à l’indépendance en 1960. Cette période difficile a été caractérisée, comme le retiendra l’Histoire, par des guerres civiles, des sécessions, des crises politiques répétitives, des coups d’Etat militaires, etc. D’ailleurs, l’année 1966 est arrivée après qu’un coup d’Etat militaire a installé le général Mobutu comme président de la R.D.C.
C’est dans ce contexte d’incertitudes pour les uns et d’espoir pour les autres que le Seigneur Rochereau Ley décida de sortir l’emblématique chanson «Congo Avenir» afin, entre autres, d’interpeller la classe politique congolaise à la sagesse pour faire sortir le pays de Lumumba de l’impasse.
«Congo nde Mboka !»
Tabu Ley introduit sa chanson par un rappel de ce qu’est le Congo: «Congo ooh, Congo nde mboka !, mboka yango mokengeli nkoyi…». Entendez par là:«Le Congo c’est le pays ! Le pays dont l’emblème est le léopard».
En effet, pour un congolais digne de ce nom, le Congo est le pays ! Pour dire que les congolais n’ont que le Congo comme leur seul pays. Le léopard qui est cité, à juste titre, comme le symbole du Congo, figure aujourd’hui encore en bonne place sur les armoiries de la RDC où il symbolise le pouvoir du Chef [de l’Etat], garant du bon fonctionnement de toutes les institutions de la République et de l’unité du pays. (Par ailleurs, le Congo tire son nom de celui de l’ancien Royaume Kongo qui lui-même signifierait « pays, terre, du léopard ».)
L’examen de conscience
C’est après avoir introduit la chanson que Tabu Ley entre dans le vif du sujet: «Mikolo tosakanaki na mosolo ya mboka Congo ekoki! Tofungoli miso lelo, tomoni bozoba nionso tosali ! Pona kobongisa Congo Avenir, ebongi tosala, ebongi tosala; moto nionso, ata mwana…».
Dans leur profondeur, ces mots du Seigneur Ley veulent dire ceci : «Finie l’époque du chaos, finie la période des troubles destructeurs, finis les mauvais jours où nous avons gaspillé la monnaie de notre pays et détruit, en conséquences, toute l’économie nationale. Aujourd’hui, il est temps pour nous d’ouvrir nos yeux et regarder toutes les conneries idiotes que nous avons eues à commettre et ce qu’elles ont eu comme impact négatif pour notre pays».
Pour Tabu Ley, l’heure et l’ère de l’idiotie étaient donc finies et devraient céder leur place à l’ère de la raison du Congolais afin qu’il construise un meilleur avenir pour son pays, en ne répétant pas les erreurs du passé (qui ne devraient demeurer qu’au stade des leçons de l’histoire). Et qu’est-ce qui devrait caractériser cette nouvelle ère ? La réponse du Seigneur Ley était simple et on ne peut plus claire : le travail !
«Pour bâtir un bon Congo pour l’avenir, il nous sied de travailler, il nous sied de travailler ! Nous tous, jeunes, vieux, voire les enfants, pour le Congo». Ceci est une interpellation à tous ces citoyens qui pensent que leurs pays peuvent se développer sans eux : chaque pays se développe uniquement grâce au travail de ses citoyens ! Ce sont les Congolais, ensemble, qui construiront le Congo ou il ne sera jamais construit.
Honorer et incarner les armoiries
Pour commencer, en cette année 1966, il fallait aux Congolais de décider de transformer toutes ces énergies négatives qu’ils ont dépensées dans la destruction de leur pays en énergies positives à depenser pour la construction du Congo. Tabu Ley parla, dans «Congo Avenir», des armoiries du Congo et ce qu’elles symbolisent: «Congo ya mosolo, pembe ya nzoku; Congo ya bwanya, kasa ya mbila; Congo ya makasi, motu ya nkoyi». Entendez par là : «Congo d’argent (Congo riche), pointe d’ivoire; Congo de la sagesse et de la paix, la palme; Congo fort; tête du léopard».
En citant ses éléments des armoiries suivis de leurs significations, Seigneur Ley démontrait à ses compatriotes l’importance de travailler pour leur pays afin que celui-ci deviennent riche et prospère, eu égard à de nombreuses potentialités dont il regorge. Pour faire du Congo un pays fort et respecté dans le concert des nations, et agir chaque fois avec sagesse et responsabilité pour la préservation de la paix et de la stabilité au Congo. Tout cela ne peut se faire aussi qu’en préservant l’unité du Congo.
Nous bâtirons un pays plus beau qu’avant!
La foi en l’avenir. La chanson chute par ces vers pleins d’espoir du grand artiste : «Congo bokomon’a pamba, lobi bokolula yango! Congo ya bato ya mayele, lobi bakobikisa yo!»
Un adage dit : «Rira bien rira le dernier». Fort confiant en l’avenir, Tabu Ley était certain que son pays ne restera pas éternellement la risée du monde. Le Congo sera un pays dont la réussite fera l’objet de fierté ou de jalousie de tout le monde. C’est ainsi qu’il dit que ce Congo que vous semblez minimiser aujourd’hui sera admiré demain.
Il était aussi certain car, comme il le disait, le Congo regorge de personne intelligentes qui œuvreront pour le guérir de tous ses maux. Et ces personnes censées guérir le Congo de ses maux ne sont autres que les Congolais.
Cinquante-quatre ans après sa sortie, la chanson «Congo Avenir», véritable testament artistique de Tabu Ley à son pays, demeure toujours d’actualité par son profond message et vu tous les faits d’actualité du Congo actuel. La Radio-télévision nationale congolaise (RTNC) la balance avant ses sessions d’informations. Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps pour chaque Congolais d’en saisir le message et de le mettre en application.
Quant à Tabu Ley, l’artiste ne meurt jamais car il est et restera vivant à travers ses œuvres, telle la subliminale chanson «Congo Avenir ».
Akramm Tumsifu (CP)