Ils sillonnent le pays, arpentent les aéroports, coupent les rubans et apparaissent sur les écrans de télévisions locales. Nos ministres, leurs excellences, sont rarement à leurs bureaux de Kinshasa. Ils sont «sur le terrain », nous dit-on. Une frénésie d’itinérance qui, à y regarder de plus près, dessine une carte du Congo profondément troublante, une carte où la solidarité nationale est dictée par le rendement et non par le besoin.
Leur terrain n’est pas celui de la misère anonyme, des routes défoncées du Kwango ou des hôpitaux fantômes du Sud-Ubangi. Non, leur agenda est un document stratégique qui obéit à une logique implacable. Tous les chemins, ou presque, mènent au Haut-Katanga, au Lualaba, et,dans une certaine mesure, en Ituri. Ces provinces ne sont pas des destinations; ce sont des destinations financières. Elles sont le coeur économique battant, les régions où « coulent le lait et le miel » des mines et des opportunités d’affaires.
Une chute, fût-elle symbolique, au Lualaba est rarement sans lendemain pour les portefeuilles et les réseaux.
Pour donner le change, pour brouiller les pistes d’un cynisme trop flagrant, l’itinéraire est parfois élargi. Le Kongo Central, porte vers l’océan et les partenaires internationaux, ou la Tshopo et ses forêts, viennent compléter un tableau soigneusement composé.
Mais cherchez bien, vous ne les verrez jamais, ou si rarement, dans les provinces démunies, celles qui crient leur détresse dans un silence médiatique. Le Maï-Ndombe, le Sankuru, le Nord-Ubangi… ces noms semblent bannis de leurs carnets de voyage.
Cette priorisation est une trahison du principe même de la fonction ministérielle.
Un ministre n’est pas le gestionnaire d’un patrimoine provincial, mais le serviteur de la nation tout entière. Son rôle est de corriger les déséquilibres, pas de les accentuer en réservant sa présence et, par extension, l’attention de l’État aux seuls territoires jugés rentables.
Cette itinérance sélective crée une République à deux vitesses : d’un côté, les provinces «utiles », méritant la visite et, supposément, l’investissement; de l’autre, les provinces «oubliées », condamnées à une forme d’abandon institutionnel.
Dans ce Congo qui se veut démocratique, le Gouvernement affiche une vérité crue : il ne voyage pas pour servir, mais pour être servi. Il ne se déplace pas pour écouter les laissés-pour-compte, mais pour renforcer son emprise sur les centres de pouvoir et de richesse. Chaque voyage en province devient alors un symbole de cette fracture qui mine le pays. Ce n’est pas une marque d’unité, mais le spectacle d’un État qui choisit soigneusement ses enfants chéris.
Le peuple congolais mérite mieux qu’un Gouvernement de touristes haut de gamme, parcourant un circuit bien rodé. Il mérite des ministres dont l’itinérance ne soit pas un calcul, mais une mission, dont la présence dans une province soit dictée par l’urgence des besoins et non par la couleur de ses minerais.
La véritable décentralisation ne commence pas par des discours à Lubumbashi ou à Kolwezi, mais par une présence attentive et solidaire dans chaque recoin du territoire national, surtout là où la détresse est la plus grande. Jusque-là, cette «itinérance » ne sera que le nom poli d’une désertion organisée.
FK