La volonté de Félix Tshisekedi de modification ou de changement de Constitution a provoqué l’ire de l’opposition congolaise qui accuse le chef de l’Etat de vouloir briguer un troisième mandat. Un projet qui permet à une opposition morcelée de se retrouver dans un front uni après sa défaite aux dernières élections.
Une occasion inespérée. Le débat qui enflamme la République Démocratique du Congo (RDC) autour du projet de modification de la Constitution est une chance inattendue pour l’opposition congolaise de sortir de sa léthargie après la victoire écrasante de Félix Tshisekedi à la présidentielle. Ultra-minoritaires, et donc inaudibles, à l’Assemblée nationale et au Sénat, les opposants au chef de l’Etat se font de nouveau entendre dans une cause commune : défendre une Constitution menacée. D’autant que le sujet est loin de faire l’unanimité. Beaucoup de Congolais s’interrogent, en effet, sur ce qui a bien pu piquer Félix Tshisekedi de s’attaquer, dès le début de son second mandat, à un sujet aussi sensible et clivant. Lors de ses derniers déplacements en province, à Kisangani, puis à Lubumbashi, le président congolais a enfoncé le clou : «Personne ne changera mon avis sur cette question».
LE SPECTRE DU TROISIEME MANDAT
Pour l’opposition, la révision de la loi fondamentale n’est qu’un seul objectif : permettre à Félix Tshisekedi de rester au pouvoir après son deuxième et dernier mandat. A Lubumbashi, le chef de l’Etat a tenté de déminer le terrain concernant sa possible volonté de modifier la durée et le nombre des mandats. «Ce que j’ai dit à Kisangani n’avait absolument aucun lien avec un troisième mandat. C’est l’opposition qui parle de troisième mandat !»
Faut-il, pour autant, croire le président congolais ? Ce qui fait tiquer l’opposition, c’est qu’au final, c’est une commission chargée de modifier la loi fondamentale qui en décidera, ainsi que les Congolais, via un possible référendum. Et là, toutes les options semblent sur la table pour prolonger la durée de vie de Félix Tshisekedi dans le fauteuil présidentiel.
UN ARGUMENT«FALLACIEUX»
Pour justifier son choix de se lancer dans la bataille constitutionnelle, Félix Tshisekedi a indiqué «vouloir rédiger une nouvelle Constitution adaptée aux réalités de la RDC, et qui ne va plus handicaper le fonctionnement du pays». Puis, il a dénoncé un article, le 217, qui, selon lui, «consacre la vente de notre souveraineté à des États africains?» Dans l’opposition, on considère cet argument largement fallacieux. «L’article 217 n’expose pas le Congo à céder des territoires à des États voisins» s’indigne Delly Sesanga.
L’article stipule, en effet, que «la RDC peut conclure des traités ou des accords d’association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l’unité africaine». Rien à voir avec l’abandon de territoires. Cette disposition est d’ailleurs présente dans d’autres pays africains comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal. Surtout, tonne l’opposant Martin Fayulu, qu’il n’y a aucun article de la Constitution qui «empêche de récupérer Bunagana et les 120 localités occupées par les rebelles du M23».
UNE QUESTION DE PRIORITE
L’opposition s’accorde sur deux critiques principales à toute modification de la Constitution. Premièrement : ce n’est pas la priorité alors que le pays est en guerre et que les conditions de vie des Congolais peinent à s’améliorer. Deuxièmement : la Constitution actuelle n’empêche pas Félix Tshisekedi de combattre le M23 et les groupes armés à l’Est, de lutter contre la corruption et de changer la vie quotidienne de la population. Le camp présidentiel crie au «procès d’intention».
Le chef de l’Etat lui-même a cru bon rectifier le tir devant les parlementaires du Haut-Katanga, en affirmant qu’il n’avait jamais dit que «le changement ou la révision de la Constitution allait aider à résoudre les problèmes de la population».
NOUVEAU FRONT ANTI-TSHISEKEDI
Après des élections meurtrières pour l’opposition congolaise, qui se réduit aujourd’hui à peau de chagrin, Félix Tshisekedi vient de lui offrir sur un plateau une bonne occasion d’afficher un front uni contre le projet présidentiel. Et pour une fois, les opposants semblent sur la même longueur d’ondes. Moïse Katumbi dénonce une «manipulation» du président congolais pour «s’éterniser au pouvoir». «Félix Tshisekedi joue avec le feu », accuse Martin Fayulu, qui promet «de lui barrer la route avec le peuple congolais». Delly Sesanga fustige un projet «mensonger» et «menaçant». Quant au prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, il dénonce «un déni de démocratie».
Un front contre le changement de Constitution qui compte aussi l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo, ou le PPRD de l’ex-président Joseph Kabila, qui avait pourtant reculé en 2016 à tripatouiller la loi fondamentale face à la forte pression populaire et internationale. Cet attelage, bien qu’hétéroclite, n’est pas négligeable auprès de la population congolaise, toujours dans l’attente des réalisations des promesses présidentielles. Cela permettra-t-il de recoller les morceaux d’une opposition plus morcelée que jamais ? Sans doute pas. Mais le combat commun contre une révision de la Constitution est une question de survie pour tous les opposants. La mère des batailles pour qui voudrait briguer la magistrature suprême.
L’UNION SACREE SILENCIEUSE
Si Félix Tshisekedi devra vraisemblablement affronter une oppostion vive et sur-motivée à son projet constitutionnel, il devra également se frotter à ses alliés de l’Union sacrée. Car dans la majorité présidentielle, on ne se bouscule pas pour afficher son soutien à la modification de la Constitution. Pour l’instant, seule l’UDPS, le parti présidentiel et Christophe Mboso, le second vice-président de l’Assemblée nationale, ont ouvertement soutenu le projet. Vital Kamerhe, Jean-Pierre Bemba ou Sama Lukonde, qui ont des ambitions présidentielles à peine voilées, sont restés bien silencieux sur la question. Le soutien de Christophe Mboso à la révision constitutionnelle est d’ailleurs analysé comme un avertissement à Vital Kamerhe, qui pourrait vouloir bloquer le passage du texte devant les députés.
Le plus gros risque politique pour Félix Tshisekedi dans son aventure constitutionnelle se trouve sans doute dans son propre camp, composé d’alliés pléthoriques et potentiellement versatiles. Pourtant, il lui faudra aussi garder un œil sur la rue congolaise. L’opposition et les mouvements citoyens comme la Lucha, ou la société civile ont prévu des manifestations dans tout le pays pour défendre la Constitution. Le sujet d’un changement de Constitution a toujours été inflammable en Afrique. Félix Tshisekedi a d’ailleurs prévenu que «ceux qui vont manipuler la population seront exposés à des poursuites de la justice». Une dérive «dictatoriale» selon Delly Sesanga, qui rappelle les heures sombres des années Kabila.
Christophe Rigaud (Afrikarabia)