On savait qu’il finira, tôt ou tard, par parler, au regard du rôle central qu’il a joué aux élections de décembre 2018 en sa qualité de président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).
Depuis la fin de son mandat, et même si son remplacement à la tête de la commission électorale à été long et laborieux, le chef d’orchestre des derniers scrutins s’était fait plutôt discret, se consacrant notamment à ses investissements dans le secteur agricole. Toujours sous sanctions de l’administration américaine, qui l’accuse de corruption et d’entrave au processus démocratique, Corneille Nangaa se montre très critique vis-à-vis du processus électoral en cours et se dit convaincu d’avoir une carte à jouer dans la perspective de la prochaine présidentielle.
Le 25 février 2023, Corneille Nangaa a décidé de se lancer dans la politique active, à la tête d’un parti, Action pour la dignité du Congo et de son peuple : ADCP ». 24 heures avant, il s’était confié au magazine Jeune Afrique pour étaler ses ambitions et rendre compte des conditions de l’alternance. S’il n’a pas trop bavard, Corneille Nangaa a néanmoins les circonstances qui ont entouré l’alternance démocratique qui a vu Félix Tshisekedi Tshisekedi accéder au trône présidentiel. Par des circonlocutions, Corneille Nangaa jette le pavé dans la marre : «Grâce à Dieu, j’étais aux premières loges lors de cette alternance. Un accord politique a été conclu et je demeure convaincu qu’il ne faut pas le jeter dans les poubelles de l’histoire, parce qu’il a sauvé la République d’un possible bain de sang».
Qu’est-ce à dire ? Est-ce que l’ancien président de la Ceni voudrait dire que les résultats des élections de décembre 2018 ont été plus le fait d’un «accord politique » que des urnes ?
Dans l’opinion, les déclarations de Corneille Nangaa ont été retournées dans tous les sens. Désormais, CorneilleNangaa nous réserve surement d’autres surprises. Jusqu’où ira-t-il ? Difficile à prédire. Quoi qu’il en soit, Corneille Nangaa vent d’allonger la liste de challengers à Félix Tshisekedi à la présidentielle du 20 décembre 2023. Interview avec Jeune Afrique.
N’est-il pas étonnant que vous vous lanciez en politique alors que, lors du dernier scrutin présidentiel, vous dirigiez la commission électorale ?
Les élections de 2018 auront été celles qui ont permis la toute première alternance pacifique au sommet de l’État, sans crépitement de balles. Nous avons en RDC un ancien président, qui peut vivre librement dans son pays, et un nouveau, qui lui est en charge de la conduite de l’État.
Il ne sert à rien de dire sans cesse que ces élections ont été controversées. C’est dangereux et cela ne veut rien dire. La controverse est une denrée ordinaire, qui nourrit la polémique autour des résultats de toute compétition électorale. Même aux États-Unis, les résultats des élections font l’objet de controverse.
Est-il juste de dire que vous êtes à la fois proche de Joseph Kabila et de Félix Tshisekedi ?
Oui. Cette proximité procède des rapports institutionnels que j’ai eu le privilège d’entretenir avec l’un et l’autre en ma qualité de président de la commission électorale. Grâce à Dieu, j’étais aux premières loges lors de cette alternance. Un accord politique a été conclu et je demeure convaincu qu’il ne faut pas le jeter dans les poubelles de l’histoire, parce qu’il a sauvé la République d’un possible bain de sang.
Est-ce là qu’est née votre ambition ?
Mon engagement est un choix légitime, qui découle d’un diagnostic posé sur des sujets qui touchent à l’avenir de la République. J’ai vocation à la servir, en quelque domaine que ce soit. Et je m’interdis de sombrer dans une passivité coupable. Joseph Kabila ou Félix Tshisekedi ont-ils, d’une manière ou d’une autre, pesé dans votre décision de vous lancer en politique ? Non. Ma décision n’a été influencée ni par l’un ni par l’autre.
Vous diriez-vous proche de l’opposition ou de la majorité ?
Qu’est-ce que cela signifie dans ce pays ? En RDC, les alliances politiques ne sont pas dictées par l’idéologie, mais par la poursuite d’intérêts opportunistes. D’ailleurs, ceux qui, hier, chantaient les louanges de Joseph Kabila sont les mêmes qui, aujourd’hui, font l’apologie de son successeur.
Pour ma part, je ne suis ni du côté de l’Union sacrée [majorité] ni de celui du FCC [Front commun pour le Congo, de Joseph Kabila] : je suis en train de créer une alternative. Fort du diagnostic que j’ai posé, je lance un nouveau parti, baptisé « Action pour la dignité du Congo et de son peuple : l’ADCP ». Et j’expliquerai aux Congolais, dès le 25 février, quelle sera sa proposition politique.
La loi ne vous empêche-t-elle pas, en tant qu’ancien patron de la Ceni, de vous présenter à une élection présidentielle ?
Tout Congolais a le droit de concourir à tous les scrutins, et ce conformément à la loi. Moi, Corneille Nangaa, je suis assurément Congolais et je serais curieux de savoir quel texte dispose clairement de ce que peuvent ou ne peuvent pas faire les anciens présidents de la Ceni.
Pour revenir à la dernière élection présidentielle, une partie de l’opinion vous demande quand même encore des comptes quant aux irrégularités qui ont été signalées à l’époque…
Comme vous le dites, ça n’est qu’une partie de l’opinion. La majorité des Congolais sont désormais tournés vers les élections à venir et ils ont raison. Compte tenu de mon expérience, je peux vous dire que les élections sont toujours sources de conflit, parce qu’elles sont organisées autour de compétiteurs passionnés. Mais le cadre légal est là pour empêcher tout dérapage, de la Constitution aux textes réglementaires.
Tout le process est extrêmement encadré, jusqu’à l’annonce des résultats et à la gestion des contentieux. Si irrégularités ou tricheries il y a, ce sont les tribunaux qui doivent se prononcer. Mais il n’appartient ni à la Ceni ni aux médias d’épiloguer. Les résultats des élections de 2018 ont été confirmés par la Cour constitutionnelle en ce qui concerne les scrutins présidentiel et législatif, et par les différentes cours d’appel en ce qui concerne les législatives provinciales.
Comment faire pour que le processus de 2023 soit meilleur que celui de 2018 ?
Nous sommes à dix mois de la date supposée des élections. Le calendrier électoral a été publié et il est en cours d’exécution. Que les élections de 2023 soient meilleures que celles de 2018, c’est notre souhait à tous. Cependant, ne sous-estimons pas les contraintes politiques, techniques, logistiques et surtout sécuritaires : ce sont autant de défis à relever. Tout cela, ajouté à la méfiance entre les acteurs et à celle dont ceux-ci manifestent à l’égard de la Ceni n’incite toutefois pas à l’optimisme.
Ne sommes-nous pas sur la bonne voie ?
Bien sûr que non. Il va nous falloir consentir de gros efforts pour relever les défis que je viens d’énoncer. Comment, par exemple, s’assurer de l’exhaustivité de l’enrôlement des électeurs dans des zones non sécurisées et avec un nombre important des déplacés ? Je pense bien sûr au Nord-Kivu et à l’Ituri. Comment remédier à cette défiance que j’évoquais ? Comment avancer, quand certains affirment ne pas se reconnaître dans la composition actuelle de la Ceni et ne pas se fier à la Cour constitutionnelle ?
Votre candidature est-elle définitive ou êtes-vous ouvert à l’idée de nouer des alliances ?
Comme je vous l’ai dit, la question de validation d’une candidature obéit à un protocole précis. Une candidature à la présidentielle en RDC n’est définitive que lorsqu’elle est confirmée par la Cour constitutionnelle. Pour le reste, il est vrai que nombreux sont ceux qui me poussent à briguer la magistrature suprême. Mais vous savez aussi que des alliances sont indispensables pour gagner les élections en RDC.
Comment qualifieriez-vous les relations que vous entretenez aujourd’hui avec Joseph Kabila ?
Elles sont bonnes. Nous partageons une même passion pour le travail de la terre.
Avec Jeune Afrique