Puisque cela devait arriver tôt ou tard, la vérité triomphe finalement des forces obscures ayant créé et entretenu à dessein la confusion autour de l’affaire dite «Carte Visa».
Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, gouverneur de la Banque Centrale du Congo, l’a restituée par sa lettre portant les références «Gouv. N°00704» du 11 juin 2021.
En réponse au ministre des Finances au sujet de «l’Emission et utilisation des cartes bancaires en faveur de certains membres du Gouvernement et hauts fonctionnaires de la République pour raison de service», il a demandé à la tutelle technique «de trouver en annexe le tableau reprenant la liste de tous les bénéficiaires des cartes émises, sur instruction du ministre des Finances…». Le gouverneur poursuit : «vous y trouverez également les éléments relatifs aux décaissements opérés à partir de ces cartes ainsi que la qualité des bénéficiaires au moment du débours». Ceci au deuxième paragraphe.
Au troisième paragraphe de sa lettre, Déogratias Mutombo note à l’attention du ministre des Finances : «Aussi, faudra-t-il souligner, pour votre édification, que ces cartes ne sont pas directement liées au Compte Général du Trésor. Cela ne saurait être le cas. En effet, suivant le schéma classique établi à cet effet, lesdites cartes sont émises par le correspondant local et adossées au compte Résident Monnaie Etrangère de la BCC dans les livres de la banque émettrice. C’est à la réception des avis de débit, suite à leur utilisation, que la BCC répercute au compte général du Trésor, le montant ad hoc et ce, à due concurrence».
Contrairement à la liste muette sur l’essentiel publiée le 14 juin 2021 par l’IGF, celle de Rawbank endossée par la Banque Centrale du Congo donne des informations détaillées sur les «Bénéficiaire», «Fonctions», «Numéro des cartes», «Date d’émission», «Date d’annulation», «Statut » et «Montant des recharges».
On sait maintenant qui a acquis la carte, quelle est sa fonction, quel est le numéro de cette carte, quelles en sont les dates d’émission et d’annulation, quel en est l’état à ce jour et quel est le montant crédité.
Pour confirmer la régularité de la pratique, apparaît en deuxième position le ministre des Affaires étrangères Christophe Lutundula, bénéficiaire de la carte émise le 5 mai 2021, soit une dizaine de jours seulement après l’investiture du gouvernement Sama Lukonde constitué exclusivement d’acteurs de l’Union sacrée de la nation.
La liste de RAWBANK se justifie dans cette logique
Pour saisir l’utilité de la carte bancaire, une petite leçon de diplomatie est nécessaire, n’en déplaise à ceux qui vont se moucher puisque se sentant morveux.
Pr Joseph Lukoki Ma-voka retient parmi les types de diplomatie en cours dans le monde la «diplomatie du dollar», cette monnaie étant utilisée «…largement dans la diplomatie américaine pour assurer les investissements profitables aux capitaux américains», écrit-il.
On peut toutefois élargir cette définition en considérant le dollar comme monnaie de référence dans les transactions nationales et internationales, peu importe pour celles-ci d’être formelles ou informelles, officielles ou officieuses, ouvertes ou couvertes, discrètes ou indiscrètes. Même des transactions liées au payement des rançons pour libérer des otages s’opèrent en dollars américains.
Washington n’a alors pas tort d’utiliser sa monnaie comme moyen de coercition sur des individus, sinon des institutions, voire des Etats. Dans son souci légitime de garantir l’utilisation de leur monnaie constituant, du reste, le socle de leur propre sécurité à tous les plans et à tous les niveaux, les Etats-Unis en surveillent la circulation en fiduciaires ou en électronique. Dont la carte bancaire.
L’affectation de ces cartes à la catégorie des personnes identifiées dans la liste de Rawbank se justifie dans cette logique.
La RDC ne fait pas exception
La question est plutôt de savoir l’usage fait des fonds affectés à ces personnalités, fonds pouvant être publics ou secrets.
On doit absolument partir de la base selon laquelle dans tous les Etats organisés, existent aux côtés des fonds publics (dont la gestion est rendue publique) des fonds secrets (dont la gestion ne l’est jamais). Ces derniers sont disponibilisés pour des missions secrètes.
Selon Pr Joseph Lukoki, «la diplomatie ne se réduit jamais à la négociation, comme on a trop souvent tendance à le croire, même si elle doit normalement y conduire. Pour paraphraser une formule célèbre, ou pouvait dire que la diplomatie est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Ceux qui, y participant du jeu diplomatique, poursuivent un but qui est d’assurer la sauvegarde des intérêts nationaux comme dans une guerre».
A la lumière de cette démonstration, il est entendu que la force de la vraie diplomatie réside dans la discrétion, le secret.
Dans tous les pays du monde, des acteurs institutionnels disposent des fonds secrets avec lesquels s’effectuent généralement des opérations diplomatiques délicates.
Aux Etats-Unis ou en France, où des fonds secrets pour la Maison Blanche ou l’Elysée se comptent en centaines des millions de dollars si pas d’euros, aucune institution politique (parlement) ou technique (équivalent de l’Igf ou de la Cour des comptes) ne se hasarde à en exiger l’utilisation pour un rapport public. Les fonds affectés à des négociations secrètes (cas avec les Talibans ou le Hezbollah) n’apparaissent jamais dans la chaîne de la dépense.
La RDC ne fait pas exception. En remontant par exemple au processus enclenché par la guerre du 2 aout 1998 pour déboucher en 1999 sur l’Accord de Lusaka, c’est par des fonds secrets que des initiatives comme le Dialogue inter-congolais avait débouché sur la Transition 1+4, celui de Kampala avait permis la neutralisation du M23, les pourparlers de Venise, Ibiza, Amsterdam et Paris ont abouti au Dialogue de la Cité de l’Union africaine et aux Négociations Centre interdiocésain.
C’est en plus par ces fonds que des personnalités congolaises et étrangères ont été sollicitées pour convaincre les protagonistes de la nécessité du rapprochement en vue de la solution négociée à toute crise politique, diplomatique, sécuritaire, économique, sociale…
La stabilité obtenue de la diplomatie secrète (allant de pair avec la diplomatie du dollar) a créé des conditions favorables à la tenue des élections dont les dernières ont permis à l’UDPS de jouir de l’alternance démocratique.
Un agenda caché en se servant de l’IGF
A ce jour, on peut le dire sans se gêner : le régime actuel est le grand et principal bénéficiaire du travail diplomatique abattu entre pratiquement 1998 et 2018.
On ne devrait pas aujourd’hui déconstruire ce qui a été construit deux décennies durant de façon laborieuse, certains députés, ministres, ambassadeurs itinérants, hauts représentants, chargés de mission et secrétaires particuliers ayant été contraints parfois des mois entiers à sauter d’un avion à un autre, d’un train à un autre, d’une automobile à une autre, pour négocier du retour du Congo à la table des décideurs !
On ne devrait pas amener les uns et les autres à signaler dans un rapport circonstancié le bracelet-montre, le champagne ou le repas offert à une personnalité donnée pour faciliter des négociations favorables à la RDCongo, et cela en amenant le pays à ouvrir via l’Igf la boîte de Pandore avec tout risque connu de ramener tout l’Etat, et avec lui le peuple, dans l’isolement.
Aucun des compatriotes ayant participé au retour du Congo dans le concert des nations ne validerait l’entreprise de démolition en cours de l’Etat quand on a conscience du fait qu’au au finish, plus personne, au pays ou à l’étranger, n’accepterait une mission de bons offices.
A moins, comme le soupçonnent certains, d’avoir un agenda caché en faisant porter à l’IGF la responsabilité d’un scandale des cartes bancaires qui n’en est pourtant pas un !
Le gouverneur de la BCC vient de le démontrer…
(*) Tribune publiée en juin 2021
Barnabé Kikaya Bin Karubi
Ancien Ministre, Ancien Ambassadeur, Ancien Député, Professeur à l’Unikin.