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Face au projet de changement de la Constitution en RDC, Gaspard-Hubert Lonsi Koko : « Attention à ne pas s’adonner à un coup d’État constitutionnel ! » 

La rumeur court et s’amplifie dans le microcosme politique congolais : le gouvernement entend remettre au goût du jour le projet de changement de la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC) du 18 février 2006, au motif qu’elle présente des « failles ». L’opposition s’insurge contre cette initiative et dénonce la volonté du chef de l’État de briguer un troisième mandat que lui interdit la loi fondamentale. Pour évoquer l’idée de ce projet, qui fait actuellement débat dans la diaspora, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, écrivain, analyste politique et conférencier, a accepté de répondre aux questions de Robert Kongo, notre correspondant en France.  

Il semble que le gouvernement congolais entend remettre au goût du jour le projet de changement de la Constitution. Quelle est votre réaction ? 

Rien n’interdit au gouvernement congolais de souhaiter un changement constitutionnel. Après tout, la pratique de la démocratie est une mise en scène, parfois dramatique, qui incite à toujours choisir entre deux ou plusieurs options. Mais il ne faudrait surtout pas qu’une telle initiative apporte du grain à moudre à ceux qui, dans l’Est du pays et au-delà, essaient cyniquement d’attribuer leurs velléités séparatistes au non-respect de la volonté populaire de la part de ceux qui sont au pouvoir à Kinshasa. Même si la pesanteur à la surface de la terre est moins élevée à l’équateur qu’aux pôles, il faudrait éviter que les initiatives gouvernementales se transforment en une force attractive pour les masses négatives ou destructrices.

Ce projet évoquerait l’élection présidentielle au suffrage indirect, c’est-à-dire les Congolais ne choisiront pas eux-mêmes le président qu’ils souhaitent voir élu, mais élisent des députés qui font ce choix, ce dont l’opposition ne veut pas entendre. Quel est votre avis ? 

On peut aussi souhaiter le rétablissement du scrutin à deux tours pour donner une vraie légitimité au président élu ! Un tel projet serait une vraie régression au regard de notre histoire nationale, le premier président de la République, à savoir Joseph Kasa Vubu, ayant été élu par des grands électeurs. Après tout, aussi passionnel et immature soit-il, il est question d’un débat démocratique. Le fait de vouloir élire le magistrat suprême au suffrage indirect implique l’abrogation du premier alinéa de l’article 70 de la Constitution. Rappelons néanmoins que le premier alinéa de l’article 220 impose la non-révision constitutionnelle s’agissant de « la forme républicaine de l’État », du « principe du suffrage universel », de « la forme représentative du Gouvernement », du « nombre et de la durée des mandats du Président de la République ». Il faudrait déverrouiller ce dispositif pour changer le mode de l’élection présidentielle. Mais de quelle façon faudrait-il s’y prendre ? Par référendum populaire en vue de l’abrogation de l’actuelle Constitution et d’un changement de régime ? Attention à ne pas s’adonner à un coup d’État constitutionnel ! Cela ne serait pas glorieux et pourrait faire l’objet du deuxième alinéa de l’article 64 relatif à l’« infraction imprescriptible contre la nation et l’État » susceptible de sanctionner toute tentative de renversement du régime constitutionnel.

La Constitution du 18 février 2006 n’est-elle plus adaptée à la situation actuelle ? 

Il est évident que la Loi fondamentale de 2006, modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, n’est plus conforme aux réalités du moment. Et elle n’a pas le caractère biblique, dès lors qu’elle peut être révisée. De plus, elle est le fruit des connivences externes entre la déstabilisation, la domination et l’occupation souhaitées à Sun City, en Afrique du Sud, par des acteurs mal intentionnés. Disons que, n’étant pas immuable, cette Constitution peut faire l’objet des réformes nécessaires puisque quelques-uns de ses dispositifs peuvent en effet porter atteinte à la souveraineté nationale (cf. l’article 217) et exclure injustement un bon nombre de compatriotes par défaut d’inaliénabilité de la nationalité congolaise d’origine (cf. article 10-2).

D’aucuns prétendent que ce genre de scrutin serait moins coûteux. Cet argument tient-il la route ? 

Pas du tout. L’argent coule pourtant à flots, dans notre pays, au profit de seuls intérêts individuels. Cela renvoie forcément au bon usage des deniers publics. Peu importe le mode de scrutin, l’argent pourrait sans doute décider de sa finalité tant qu’au sein de l’électorat restreint que l’on souhaiterait mettre en place pour la désignation du président de la République résideraient des corrupteurs et des corrompus. Ce n’est qu’une question, dans l’absolu, de convictions politiques. Cet argument est tout à fait fallacieux, car l’élection au suffrage universel a au moins le mérite de légitimer populairement le magistrat suprême. Il vaut mieux dépenser les deniers publics pour la consolidation de l’institution présidentielle, et non les économiser en vue de sa fragilisation.

La volonté du gouvernement n’est-elle pas de déverrouiller les dispositifs constitutionnels bloqués, afin de permettre à son champion de briguer un troisième mandat qui lui est interdit par la loi fondamentale ?  

C’est un argument que les non-membres de l’Union sacrée pour la nation pourraient aisément avancer. Mais il est difficile de spéculer dans le vide. Au-delà de la nécessité absolue de défendre l’intégrité territoriale et du calcul politique, il faudrait d’abord éviter toute cristallisation des tensions sociales et politiques. Selon la voie qui serait choisie pour le changement ou la révision de la Constitution, les acteurs concernés se prononceraient sur le contenu du projet qui leur serait présenté.

Une bonne Constitution doit être l’émanation du peuple, une bonne révision constitutionnelle vise l’intérêt général et non personnel ou gouvernemental. Selon vous, la majorité au pouvoir s’inscrit-elle dans cette logique ? 

Il ne me revient pas du tout de prendre position à la place de la majorité présidentielle. Mais il ne faudrait en aucun cas que les révisions institutionnelles soient confisquées par une portion de la population au détriment de l’intérêt national. Ne devant être l’apanage de personne, la Constitution doit rester un acte fondateur par lequel une société se constitue une identité et décide de l’ordre sociétal voulu à travers des droits et libertés fondamentaux et les modalités de leur protection. Au-delà du fait de déterminer la forme de l’État, d’organiser les institutions et de déterminer les règles de production des normes, la Constitution est un dispositif par lequel une société se constitue une identité. Elle incarne de facto un acte légal de limitation des pouvoirs gouvernemental, législatif et judiciaire.

À votre avis, l’actuelle Constitution mérite une mise à jour ou une refonte ? 

Il ne peut y avoir d’évolution sans une remise en cause des textes existants. Mais il faudrait éviter de jouer aux apprentis sorciers s’agissant d’éléments fondamentaux relatifs au socle étatique. La mise à jour nécessite-t-elle forcément une refonte ? Je ne pense pas.

La Constitution ne devient-elle pas un instrument au service de la conservation du pouvoir ? 

Ayons l’intelligence de privilégier le beau risque par rapport au faux confort. N’oublions pas que, dans ce genre d’exercice, la part de réussite n’est pas indissociable de la part d’échec.

Au regard du contexte actuel et des réalités auxquelles le pays est confronté, notamment la guerre et l’occupation d’une partie du territoire national. Est-ce vraiment le moment opportun d’initier un tel projet ? 

On est en effet en droit de s’interroger sur le timing idéal pour engager un tel processus. Oublie-t-on que la partie orientale du pays est occupée par des puissances étrangères ? Ne sait-on plus que les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sont placées sous état de siège depuis le 6 mai 2021 ? Si personne n’est hostile à l’idée d’un référendum pour le changement ou non de la Constitution, ce procédé doit en principe être une forme démocratique de consultation populaire n’excluant aucune portion du territoire national. D’ailleurs, l’article 219 de la Loi fondamentale stipule qu’« aucune révision ne peut intervenir pendant l’état de guerre, l’état d’urgence ou l’état de siège ». Quand bien même aurait lieu la levée de siège, les populations des territoires occupés pourraient-elles prendre part à un tel exercice démocratique ? Il est urgent de résoudre les problèmes sécuritaires afin d’offrir aux populations congolaises les conditions appropriées pour une consultation irréprochable de toute intention politicienne.

Si ce projet se concrétisait, quel regard porterait la communauté internationale, notamment l’Union européenne et les Etats-Unis sur la gouvernance de la RDC, selon vous ? 

Au-delà de l’Union européenne et des États-Unis, il est question des traités et accords internationaux au regard des articles 15-2, 69-3 et 213 de la Constitution, notamment de leurs caractères supranationaux. Concernant les relations bilatérales, cela relève du respect des engagements contractés. La crédibilité réside évidemment dans le respect de la parole donnée. Et la gouvernance de la RDC ne peut pas faire l’économie des relations diplomatiques avec des partenaires comme les entités étatiques et régionales évoquées ci-dessus. Notre souveraineté est constitutionnellement conditionnée, dans certains domaines, aux textes supranationaux. Ne pas en tenir compte reviendrait à hypothéquer l’unité territoriale au profit des partisans, internes et externes, de la balkanisation de notre pays. Si les États n’ont pas d’amis, il revient à leurs dirigeants de veiller à leurs intérêts. Et, qu’on le veuille ou non, ceux-ci ne dépendent pas que, surtout dans le contexte international en cours, des facteurs internes. Comprenne qui pourra…

Propos recueillis par Robert Kongo (CP)