Quand il s’agit de Gentiny Ngobila Mbaka, gouverneur de la ville de Kinshasa et candidat député national invalidé dans la circonscription de Kinshasa-Funa, les choses vont vite, très vite d’ailleurs. Mardi, le bureau de l’Assemblée nationale de Kinshasa a prononcé sa déchéance, exigeant sa démission au poste de gouverneur de Kinshasa dans les heures qui suivent. Qu’est-ce qui expliquer donc cette célérité. En reconstituant les faits, on se rend bien compte que Gentiny Ngobila est victime d’un coup, signé UDPS. Depuis la sortie triomphante au stade des Martyrs de son parti politique, ACP, l’UDPS a juré de le faire descendre de son piédestal. «Ngobila n’est rien. L’UDPS LUI a tout donné», a révélé sur une télévision locale un cadre du parti de la 10ème Rue. La décision de la CENI de Denis Kadima rentre dans ce scenario. Décryptage.
C’est une détonation d’une intensité extrême qui a éclaté dans le ciel politique congolais, le vendredi 5 janvier 2024, lorsque le président de la CENI, Denis Kadima, a publié la liste des 82 candidats aux élections législatives nationales dont les résultats ont été invalidés. Dans la majorité des cas, il s’agit des personnes à propos desquelles des vidéos attestant de leur forfait, avaient bel et bien circulé sur le net depuis le 20 décembre 2023, jour d’élections générales, et dans les jours qui ont suivi. Mais à la surprise générale, certains candidats dont nul n’a vu la moindre vidéo montrant leur participation à la fraude, et encore moins la détention par elles des dispositifs électroniques de vote – les machines à voter – ont également été invalidés. Le cas de Gentiny Ngobila, gouverneur de Kinshasa. Au point que, pour l’opinion publique, cela sent le règlement des comptes à mille lieues.
En effet, la CENI s’est basée sur des preuves audiovisuelles – les fameuses vidéos partagées sur les réseaux sociaux – pour sanctionner les candidats fautifs. Or, on ne trouve aucune vidéo incriminant le gouverneur de Kinshasa sur la toile. A l’inverse, d’autres candidats dont tout le monde a pu voir des vidéos n’ont pourtant pas été invalidés. C’est le cas d’une vidéo probablement tournée dans le territoire de Mutshatsha, dans laquelle on voit des gens dans une maison en train de voter pour le candidat député national Alain Kantenga, ministre de l’Education de la province du Lualaba. La vidéo montre également de nombreux bulletins de vote par terre, et de nombreux autres, vierges, dans des valises juste à côté. Ce candidat n’a pas été invalidé.
Dans une autre vidéo tournée dans un centre de vote de la commune de Limete à Kinshasa, on voit des personnes présentées comme membres de l’équipe de campagne de Steve Mbikayi, qui sont arrêtées pour avoir tenté d’introduire dans un bureau de vote des bulletins cochés ailleurs. Une autre vidéo encore montre une foule déchaînée qui accuse le candidat Léon-Junior Nembalemba, d’avoir aussi voté à la maison, et de tenter d’introduire frauduleusement ses PV dans un bureau de vote dans le district kinois de la Tshangu. Pourtant, ni Steve Mbikayi, ni Léon-Junior Nemba-lemba n’a été invalidé.
Messe noire au Hilton
D’où la question : pourquoi Gentiny Ngobila ? Le gouverneur de Kinshasa semble victime d’un règlement des comptes de la part de ceux qui, depuis longtemps, n’ont jamais supporté le succès de l’Alliance des congolais progressistes, ACP, son parti rouleau compresseur, dont le triomphe attendu aux législatives aurait fait de lui un des hommes clés du régime auprès du chef de l’Etat. Il fallait donc étouffer cette ascension annoncée dans l’œuf.
Des sources dignes de foi signalent à ce sujet une réunion qui s’est tenue au Hilton Hôtel, le tout nouveau 5 étoiles nec plus ultra au centre-ville de Kinshasa, entre deux caciques de l’UDPS dont les patronymes commencent par la même lettre, avec un haut dirigeant de la Centrale électorale. C’est au cours de cette messe noire que les deux politiciens auraient brandi à leur interlocuteur, non pas une vidéo comme exigé par la CENI pour attester de la véracité des faits frauduleux, mais un audio d’une femme inconnue qui parle seule, et accuse le président de l’ACP d’avoir détenu une machine à voter.
C’est sur cette base, rapporte-t-on, que, le lendemain, la décision de la CENI est tombée, incluant le nom de Gentiny Ngobila parmi les personnes sanctionnées.
«C’est innommable ce qui vient d’être fait contre le gouverneur Ngobila, c’est même une attaque contre le chef de l’Etat dont sait l’attachement à un état de droit qui garantit la justice à tout un chacun», se désole un cadre de l’ACP. Qui rappelle que, recouvert d’une nouvelle épaisseur de légitimité, Félix Tshisekedi se doit d’être entouré par des puissants relais auprès du peuple, ces personnes ressources au fort ancrage populaire dont le travail de terrain a permis sa brillante réélection.
«Gentiny Ngobila fait incontestablement partie de ces personnes ressources dont le chef de l’Etat a besoin pour mener à bien son deuxième mandat. Des concurrents de la même famille politique engagés dans une ne guerre de palais veulent casser son ascension. Ces personnes ne rendent pas service au président de la République», ajoute notre interlocuteur.
Face au tollé provoqué par l’invalidation de M. Ngobila, il appartient, désormais, au Conseil d’Etat, de dire le droit – le vrai ! – dans cette histoire qui sent la manipulation politicienne.