Entre urgence sécuritaire et calculs politiques, le pouvoir de Kinshasa instrumentalise-t-il la mobilisation nationale ? Par patriotisme ou pantomime, des ministres se font recruteurs pour le compte des Forces armées de la RDC (FARDC). Une improvisation qui intrigue.
Depuis quelques semaines, une scène pour le moins insolite se joue dans les provinces de la République Démocratique du Congo (RDC). Leurs Excellences, ministres et membres du Gouvernement, arpentent les villages et les villes, micro en main, pour vanter les mérites de l’engagement militaire. Exit les réunions protocolaires ou les dossiers techniques : leur nouvelle mission, assignée par le Président Félix Tshisekedi lui-même, consiste à recruter des jeunes pour les Forces armées de la RDC (FARDC). Une reconversion aussi soudaine qu’éloquente, qui interroge autant sur les priorités du pouvoir que sur les véritables motivations de cette campagne hors normes.
Tout a commencé lors d’un conclave de l’Union sacrée de la nation, tenu récemment à la cité de l’Union africaine. Le chef de l’État, visiblement déterminé à renforcer les effectifs de l’armée face aux défis sécuritaires, a distribué des «côtes» – des quotas – à certains membres du Gouvernement. La liste, dit-on, était courte, laissant nombre de ministres sur la touche. Dès lors, une course effrénée s’est engagée : ceux qui n’ont pas été choisis se sont improvisés recruteurs, sillonnant leurs fiefs respectifs pour prouver leur zèle à l’exécutif.
Ces messieurs, habitués aux bureaux climatisés de la capitale, ont troqué costumes-cravates contre treillis symboliques, promettant emploi, honneur et patriotisme aux jeunes Congolais.
Quant à la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka, elle dirige une «caravane populaire» dans le cadre de la campagne «Congolais Telema» («Debout» en lingala). Après le Kongo Central, direction le Grand Bandundu, où l’appel à l’enrôlement sera sûrement répété en boucle.
URGENCE SECURITAIRE OU DIVERSION POLITIQUE ?
Certes, la RDC fait face à une crise sécuritaire sans précédent. L’Est du pays, en proie aux groupes armés comme le M23 soutenu par le Rwanda ou les ADF, exige une armée renforcée et restructurée. Mais cette soudaine frénésie de recrutement interpelle. Est-elle vraiment motivée par l’intérêt national, ou sert-elle d’abord à consolider l’image d’un pouvoir en quête de crédibilité ?
Plusieurs observateurs y voient une manœuvre à double détente. D’une part, répondre aux pressions internationales qui exigent que Kinshasa «prenne ses responsabilités» dans la lutte contre l’insécurité. D’autre part, canaliser le mécontentement populaire en offrant aux jeunes une échappatoire – même précaire – au chômage massif. Reste une question : une armée gonflée en urgence, sans réforme profonde de sa gouvernance, de son équipement ou de sa chaîne de commandement, peut-elle vraiment inverser la donne ?
Le spectacle des ministres transformés en sergents recruteurs n’est pas sans rappeler les pratiques d’un autre temps, où l’allégeance au pouvoir primait sur la compétence. En se jetant ainsi dans l’arène, ces responsables cherchent-ils vraiment à servir leur pays, ou à se faire remarquer par «l’autorité morale» – le Président – dans une logique de survie politique ?
QUELLE SUITE POUR LES «RECRUES» DE L’IMPROVISATION ?
Derrière les discours enflammés se cache une réalité plus sombre. Beaucoup de ces jeunes enrôlés, souvent issus de milieux défavorisés, risquent de devenir de la chair à canon dans un conflit qui dure depuis des décennies. Qui les formera ? Avec quelles armes ? Dans quelles conditions ? Le gouvernement, muet sur ces détails, semble privilégier la quantité sur la qualité.
Par ailleurs, cette mobilisation massive détourne les ministres de leurs missions premières. Comment peuvent-ils réformer l’éducation, la santé ou l’économie s’ils passent leur temps à jouer les recruteurs ? L’État congolais, déjà fragile, ne peut se permettre de diluer ses efforts.
S’il est légitime de vouloir une armée forte, la méthode adoptée suscite le scepticisme. Transformer des ministres en rabatteurs militaires, c’est peut-être répondre à une urgence, mais c’est surtout avouer une faillite : celle d’un système incapable de mobiliser sans recourir au théâtre politique.
Le peuple congolais mérite mieux que des simulacres. Il a besoin d’institutions solides, d’une armée professionnelle et d’une gouvernance transparente. Plutôt que de distribuer des quotas en quête de louanges, le pouvoir ferait mieux de s’attaquer aux racines de la crise : corruption, impunité et mauvaise allocation des ressources.
La sécurité ne se décrète pas dans des meetings. Elle se construit par des actes. Gageons que les jeunes recrues, elles, ne serviront pas de simples figurants dans cette pièce à l’issue encore incertaine.
Econews