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Guillaume Ngefa vogue à contre-courant du régime de Kinshasa : «Je ne crois pas à la peine de mort » (Entretien avec Jeune Afrique)

Alors que la Haute Cour Militaire a condamné à mort l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila, le Garde des sceaux Guillaume Ngefa prend position contre cette sentence. Dans un entretien à Jeune Afrique, le ministre d’État en charge de la Justice affirme ouvertement : « Je ne crois pas à la peine de mort ». Cette prise de position personnelle, en contradiction frontale avec la décision de la justice congolaise, place le ministre dans une posture délicate vis-à-vis du régime de Kinshasa et révèle les tensions au sein de l’appareil judiciaire congolais. L’ancien fonctionnaire onusien, spécialiste des droits de l’homme, a succédé à Constant Mutamba en août au poste de Garde des sceaux. Pour Jeune Afrique, il explique son choix de rejoindre le gouvernement et son projet pour le pays. Entretien.

L’heure n’est pas au repos pour Guillaume Ngefa. L’ancien fonctionnaire onusien, passé par la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire et le Mali n’a pas pris sa retraite anticipée pour ne rien faire. À 64 ans, il a décidé de quitter son confort de Genève, où est situé le Conseil onusien des droits de l’homme, pour rentrer en RDC et devenir ministre de la Justice. Un poste très exposé, précédemment occupé par Constant Mutamba, lequel a été condamné dans une affaire de détournements et a fini en prison. Mais Guillaume Ngefa connaît les postes à risque. Il dit avoir échappé à un attentant en 2023 lorsqu’il dirigeait le bureau des droits de l’homme de l’ONU au Mali. Sa voiture a été frappée par une explosion dont il est miraculeusement sorti vivant, quoique blessé et marqué psychologiquement.

Cette fois-ci, le pays en guerre est le sien. La crise dans l’Est de la RDC l’a motivé à intégrer le gouvernement. Il s’en explique à Jeune Afrique depuis une maison qu’il loue à Kinshasa, entouré des membres de son cabinet, qui sont pour la plupart d’anciens collègues de l’ONU.

Jeune Afrique : Jeune retraité des Nations Unies, vous rejoignez le gouvernement congolais. Comment cela s’est-il passé ?

Guillaume Ngefa : Je voulais mettre mon expérience de fonctionnaire onusien au service de mon pays pour contribuer à la paix. Je ne pouvais pas l’avoir fait partout ailleurs, tout en restant les bras croisés face à la situation que connaît la RDC. C’était très pesant pour moi de voir que le Congo était en proie à un conflit armé international, mais aussi à un conflit armé interne et une à crise politique en train de s’enraciner. Tous les signaux pour une explosion étaient réunis. Donc il fallait contribuer à apaiser la situation et créer des canaux de communication. Je ne peux pas tout dire, mais j’ai œuvré au rapprochement des gens en toute discrétion. J’ai contacté tous les grands acteurs, je suis la seule personne à qui tous les camps ont ouvert leur porte.

Quand le président Félix Tshisekedi est arrivé au pouvoir début 2019, il m’a demandé de le rejoindre mais j’ai refusé. Puis quand j’ai fait ce travail de médiateur, il m’a demandé pourquoi je ne voulais pas travailler avec lui. J’ai répondu : « Maintenant je suis disponible pour partager ma petite expérience ». Mais avec un certain nombre de conditions [qu’il préfère taire]. C’est quand il y a une crise que tu dois venir aider.

Votre nomination peut surprendre. Que vient faire un militant des droits de l’homme dans un gouvernement accusé par certains de dérive autoritaire ?

Il faut relativiser. On ne peut pas comparer les 18 années du régime de Joseph Kabila et ses séries de massacres avec le gouvernement d’aujourd’hui. Les gens tombent dans la facilité.

Cependant, c’est vrai qu’il y a de sérieux problèmes de gouvernance, des cas de corruption – c’est de notoriété publique. C’est vrai aussi que des opposants sont arrêtés, mais on ne peut pas comparer ce qu’il se passe avec le régime précédent. J’ai donc pesé le pour et le contre. De plus, je connais personnellement le président. Ce n’est pas quelqu’un qui veut faire du mal. C’est une bonne personne avec un bon cœur. Quelquefois, il a même du mal à sévir.

Joseph Kabila a été condamné à mort. Allez-vous émettre un mandat d’arrêt d’international pour procéder à son interpellation, puisqu’il vit à l’étranger ?

Je ne me vois pas refuser d’appliquer une décision judiciaire. Même si l’appareil judiciaire est malade…

Cela ne jette pas le discrédit sur la décision de justice. Vous avez suivi le procès, il était public. Si les règles d’un procès juste et équitable sont établies…

Il a été condamné sans défense. Si quelqu’un refuse d’envoyer ses avocats, que faire? Ne politisons pas ce procès, voyons les faits. Joseph Kabila a toujours la possibilité d’utiliser les mécanismes internationaux pour exercer ses droits.

Que pensez-vous de la peine de mort ?

Je ne crois pas à la peine de mort. C’est ma conviction intime. Le pays a gardé la peine de mort, mais je sais que personne ne sera exécuté.

Quelle ambition portez-vous à la tête du ministère de la Justice ?

Ma priorité, c’est la lutte contre la corruption. J’ai suspendu la délivrance de plusieurs documents administratifs [certificat de nationalité, permis de culte, etc.] parce qu’il y avait des réseaux parallèles. Ces documents n’avaient plus aucune crédibilité. Certaines ambassades se plaignaient. Quelle a été la réponse ? Des manifestations contre moi [des agents du ministère ont fait grève]. Nous voulons une justice crédible, qui est proche des citoyens. Quand on parle de la corruption, on pense à la magistrature. Mais ce n’est pas tout !

Vous avez aussi les avocats, les greffiers, les secrétaires de parquet, les parties au procès… Donc il faut aborder cette question de manière holistique. Il faut que le Conseil supérieur de la magistrature puisse sanctionner les magistrats, que les avocats véreux soient punis par leur conseil de discipline. Nous devrions aussi recruter des magistrats, il faudrait en avoir 10.000. Le chiffre de 2.500 [nouvelles recrues sur un effectif de 5.000] ne représente rien par rapport au besoin.

Et les prisons ?

C’est une autre priorité. J’ai fait le tour de la prison de Makala, où la majorité des détenus ont été enfermés sans être condamnés. Il y a une surpopulation et des défis énormes, mais nous avons le projet de construire un nouvel établissement. Et je suis allé à Luzumu dans le Kongo Central : c’est une prison modèle, qui doit être répliquée. Elle répond aux normes, il n’y a pas de surpopulation, chaque prisonnier a son matelas, ils mangent mieux, font du sport, ont des jardins potagers… On n’envoie pas les gens en prison pour que leurs conditions de détention soient une double peine. Il y a une vie après la prison, on veut que ces gens puissent être réintégrés dans la société. Nous allons proposer la création d’un fonds spécial pour la réhabilitation et la construction des prisons. C’est l’image du pays qui est en jeu.

Un projet de budget a été présenté en Conseil des ministres. Avez-vous pu défendre votre cause ?

On a essayé de revoir légèrement à la hausse nos besoins, mais ce n’est pas suffisant. Le budget de la justice ne couvre pas l’ensemble des besoins de l’administration judiciaire.

Vous prenez part à la campagne pour la reconnaissance d’un «Génocost », terme qui désigne un génocide effectué pour un gain économique. Pensez-vous qu’il y ait eu un génocide en RDC ?

Tous les génocides reconnus par la communauté internationale ont commencé par une procédure; on ne déclare pas l’existence d’un génocide du jour au lendemain. Il faut sensibiliser et c’est ce que fait notre gouvernement.

Depuis trente ans il y a des faits qui, quand ils seront examinés par un tribunal indépendant, pourront constituer un crime de génocide. Mais c’est au tribunal de le dire.

La campagne actuelle permet de rappeler la gravité de ce qu’il s’est passé depuis trente ans, dont le ciblage communautaire de certaines personnes. Je le dis en connaissance en cause. En 1997, quand j’étais militant des droits de l’homme, j’ai suivi personnellement le dossier de Hutu poursuivis jusqu’à Mbandaka. Des personnes étaient pourchassées dans les forêts et tuées en raison de leur appartenance ethnique, parce qu’elles étaient soupçonnées d’avoir commis un génocide [contre les Tutsi au Rwanda en 1994]. On a même imposé la famine aux enfants. Vous appelez ça comment ?

Mais en 1997, vous ne parliez pas de génocide ?

Non, on parlait d’actes apparentés au génocide. À Mbandaka, quand les troupes de l’AFDL [Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo] sont arrivées, elles ont tué les gens au port de l’Onatra et les ont jetés dans l’eau. Pendant longtemps, les populations de Mbandaka ne voulaient pas prendre de l’eau dans la rivière, c’est connu. On doit reconnaître le droit de la RDC à mener cette campagne. Voilà pourquoi j’y adhère, je connais ce qu’il s’est passé. C’est une campagne difficile, mais nous allons continuer.

La question de l’indemnisation des victimes en RDC est problématique, comme l’a montré le scandale du Fonds spécial de répartition et d’indemnisation en faveur des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC (Frivao), dont une grande partie a été détournée. Comment s’assurer que les victimes touchent vraiment les fonds qui leur sont dus ?

Le Frivao dépend du ministère de la Justice. Nous allons nous assurer que tout soit fait dans la transparence et que notre action soit véritablement centrée sur les victimes. Je viens d’arriver et nous sommes en train de mettre en place des mécanismes plus crédibles. Des enquêtes ont été ouvertes sur la Frivao. Pour la première fois, un ministre de la Justice a été condamné pour cette affaire [Constant Mutamba] et l’argent est retourné dans les caisses de l’État. La lutte pour la corruption fait partie de mes priorités, donnez-nous le temps.

Interview réalisée par Romain Chanson, journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la RDC