Institutionnalisation de la maffia foncière et arbitraire des juges : au Conseil d’Etat, l’affaire Aunge Muhiya J. – Société Bralloy Inc vire au scandale

Malgré la dénonciation du président de la République, les mises en garde du nouveau ministre de la Justice et des récriminations des justiciables, les jours se suivent et se ressemblent au Conseil d’Etat. Aucun geste allant dans le sens d’améliorer l’administration de la justice n’y est perceptible. Bien au contraire, beaucoup de hauts magistrats y siégeant se font champions des pratiques infâmes sur fond des violations flagrantes des lois et des procédures. En témoigne, si besoin en est encore, l’affaire qui oppose devant cette haute cour M. Jean Aunge Muhiya à la société Bralloy Inc dont deux parcelles (N°7320 et 7322, sise N°15, 15ème Rue, Kinshasa-Limete (Industriel), déclarées arbitrairement «Biens sans maître», sont menacées de spoliation. Dépité, le cabinet-conseil de la société sort de son silence. Dans sa lettre du 26 juillet 2024 adressée à la 1ère présidente, il stigmatise l’institutionnalisation de la maffia foncière et l’arbitraire des juges qui y ont élu domicile.

Les avocats de Bralloy Inc en appellent à la 1ère présidente du Conseil d’Etat de mériter la confiance placée en elle par le chef de l’Etat et de se montrer à la hauteur de sa tâche. Cela en annulant les résolutions prises par la plénière tenue le 25 juillet 2024 dans la cause «Procureur Général près le Conseil d’Etat C/AUNGE MUHIYA Jean et consorts» relativement au recours du procureur général en révision de la décision du Conseil d’Etat annulant l’Arrêté du ministre des Affaires foncières N°485 Bis CAB/MIN.AFF.FONC/2019 du 11 janvier 2019 rapportant ceux controversés N°034/CAB/Min-AFF.Foncière/DIRCAB/OSM/2017 et N°035/CAB/Min-AFF.Foncière/DIRCAB/OSM/2017 du 30 août 2017 déclarant les parcelles ci-haut identifiées des «biens sans maître» et les attribuant indument à M. Aunge Muhiya Jean. Héritier et fils de Gérard Vanbrabant, associé-gérant de Bralloy Inc entre-temps décédé, Marc Vanbrabant s’est également fait le devoir d’attaquer en tierce opposition ladite décision du Conseil d’Etat.

Les arguments ne manquent pas pour ce faire. De un, Marc Vanbrabant, par le biais de ses avocats, note que la procédure administrative est, de notoriété publique, essentiellement écrite. Donc, aucune plénière ne peut se tenir pour examiner un dossier sans au préalable une étude écrite faite par un rapporteur désigné. Or, dans le cas d’espèce, la plénière s’est tenue non seulement dans un climat de terreur avec 13 juges suspendus, mais aussi en l’absence des rapporteurs désignés, empêchés. De deux, improvisé rapporteur, le juge Bolambo s’est sciemment abstenu d’exposer la procédure suivie pour faire échapper le rejet du mémoire en réponse déposé par M. Aunge Muhiya Jean en violation de la loi. De trois, certains juges ayant participé et voté à la plénière ne devraient pas en avoir le droit. D’autres encore ont déjà eu à émettre antérieurement leurs points de vue sur ce litige.

L’ombre d’une faute disciplinaire

L’opérateur belge perçoit dans le comportement de ces juges une faute disciplinaire dont il se réserve le droit de saisir directement la Chambre disciplinaire ou de déposer une requête en prise en partie pour dol. La fraude corrompant tout, il pense que le dossier doit être retourné en plénière.

D’autre part, il relève que le juge Bolambo et Remy Abdallah, frères tribaux de M. Jean Aungue Muhiya, se battent becs et ongles pour arracher ses parcelles. Ce, en dépit de la circulaire de la ministre des Affaires foncières n°001/CB.MINETAT/AFF.FONC/ABN/2024 rappelant que la notion de biens abandonnés et biens sans maître a été abrogé. Il constate que sur 50 magistrats du Conseil d’Etat, seuls quelques 6 magistrats, essentiellement membres du cabinet de la 1ère présidente, siègent dans tous les dossiers en rapport avec les parcelles en cause. Et de se poser la question de savoir au nom de quel principe de droit, le directeur de Cabinet de la 1ère présidente, Remy Abdallah, peut repousser un arrêt dirigé par une composition qui a assisté aux débats pour en imposer un autre visé par paradoxalement par la 1ère présidente.

Les cris de détresse des travailleurs

Spécialisée en transport routier poids lourds, la société Bralloy Inc traite de dizaines de containers par jour et emploie plus de 200 personnes à Kinshasa et à Matadi. Anxieux sur leur lieu de travail à Limete 15ème Rue ce samedi 27 juillet, les travailleurs, dont certains totalisent plus de 22 ans de travail, ne savent pas à quel saint se vouer. Ils ne comprennent pas que leur société, opérationnelle depuis l’époque du Zaïre, soit prise depuis 7 ans dans une tourmente, du fait des arnaqueurs qui veulent spolier les parcelles N°7320 et 7322, leur siège et lieu de travail. Ils ne s’expliquent pas pourquoi des magistrats tiennent à faire disparaître une société, à envoyer à la mort ses travailleurs, dans l’unique objectif égoïste de bénéficier du morcellement de ces deux concessions en parcelles. Dénonçant un ancien ministre Tshisekedi qui s’est activé pendant qu’il était aux affaires pour leur compliquer la vie, ils en appellent ainsi au nouveau ministre de la Justice, Constant Mutamba, à les protéger contre ce crime. Ils lancent enfin un cri de détresse auprès du président de la République, magistrat suprême, d’élever le ton pour mettre fin à cette aventure de mauvais goût qui va, à coup sûr, supprimer leurs emplois.

Qu’en est-il de ce dossier ?

Alors ministre des Affaires foncières, Me Lumeya-dhu-Malegi prend le 30 août 2017 les deux arrêtés controversés sus indiqués, déclarant «biens sans maître et reprise au domaine de l’Etat» les parcelles 7320 et 7322 enregistrées au Plan cadastral de la Commune de Limete ; lesquelles  concessions appartenant à la société Bralloy Inc depuis l’époque de la République du Zaïre. Le même jour, par les lettres N°396/CAB/Min-AFF.Foncière/DIRCAB/OSM/2017 et N°397/CAB/Min-AFF.Foncière/DIRCAB/OSM/2017, il les attribue à sieur Aunge Muhiya Jean sans avoir versé un seul sous au Trésor public. Motif : la société Bralloy Inc n’a pas payé la redevance sur la concession ordinaire en plus du fait que c’est une société en déshérence qui n’a pas, au terme de 25 ans, renouvelé ses titres de propriété.

Détentrice des preuves de paiement, la société Bralloy Inc fait des recours auprès du premier ministre et du ministre des Affaires foncières. Au vu des éléments probants contenus dans le dossier, le premier ministre prend le 26 mars 2019 le Décret N°19/02 du 26 mars 2019 annulant quelques arrêtés de son ministre des Affaires foncières pris en violation des lois et règlements de la RDC, dont ceux du 30 août 2017 déclarant les parcelles précitées «biens sans maître». Deux mois plus tôt, soit le 11 janvier 2019, le ministre des Affaires foncières s’était résolu de prendre l’Arrêté N°485 Bis CAB/MIN.AFF.FONC/2019 rapportant ses deux arrêtés contestés du 30 août 2017. Par sa lettre N°2288/CAB/ MIN.AFF.FONC/CCC/OSM/2019 du 26 février 2019, il notifie sieur Aunge Muhiya Jean et lui signifie en même temps que les parcelles en cause sont restituées à leur ancien concessionnaire. Subsidiairement, le conservateur des Titres immobiliers, par la lettre N°2.523.3/AFF.F/ENR/124/2019 du 19 mars 2019, enjoint à l’usurpateur de lui retourner, endéans 48 heures, les originaux des certificats d’enregistrement qui lui ont été établis aux fins de leur annulation. Ce qui fut fait.

Réhabilitée dans ses droits, la société Bralloy Inc renouvelle ses titres de propriété et des nouveaux certificats d’enregistrement lui sont établis.

Rebondissement

Non content, sieur Aunge Muhiya Jean attaque auprès du Conseil d’Etat aussi bien le décret du premier ministre annulant les arrêtés controversés du 30 août 2017, ainsi que l’arrêté du ministre des Affaires foncières les rapportant, respectivement sous le R.A 223 et le R.A 205. Dans la foulée, l’examen de l’Arrêté N°485 Bis CAB/MIN.AFF.FONC/2019 connaît son épilogue : le Conseil d’Etat se déclare incompétent. Contre toute entente, sieur Aunge Muhiya Jean revient à la charge par une procédure anarchique de révision pour demander, sous R.Rev013, le réexamen du dossier. Alors que la révision ne peut être formulée contre la décision d’incompétence, la société Bralloy Inc est surprise de voir le Conseil d’Etat s’autoriser de recevoir ledit recours et d’annuler, par conséquent, l’arrêté rapportant ceux contestés du 30 août 2017.

Sur ces entrefaites, le procureur général près le Conseil d’Etat attaque en révision la décision du Conseil d’Etat annulant l’arrêté du ministre des Affaires foncières du 11 janvier 2019 rapportant ceux litigieux du 30 août 2017. D’autre part, Marc Vanbrabant, fils et hériter de Gérard Vanbrabant, associé-gérant de Bralloy Inc entre-temps décédé, entre en lice par une procédure en tierce opposition pour attaquer également ladite décision.

Après les plaidoiries, cette affaire est communiquée au procureur général pour avis. Mais, en complicité avec le greffier, un magistrat du Parquet va subtiliser le dossier en vue des éventuels amendements ; un acte que la société Bralloy Inc, qui avait lu au préalable ledit avis au greffe, se fit le devoir de dénoncer auprès de la 1ère présidente du Conseil d’Etat et du président de la Cour constitutionnelle, président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Malgré tout, l’affaire sera prise en délibéré début janvier 2024.

Pendant ce délibéré, de magistrats membres du Cabinet de la 1ère présidente vont, sans scrupule, rédiger un jugement aux antipodes du projet élaboré par les membres de la composition dont ils obtiennent même le visa du N°1 de la juridiction. Frustrés, les membres de la composition expriment auprès la hiérarchie leur protestation contre la falsification du projet dont ils sont à la base.

Dans ce contexte emprunt aux soupçons, la 1ère présidente décide d’en référer à la plénière dont les débats sont dirigés par le juge en charge de la Section des contentieux. Curieusement, alors que l’arrêt de cette instance était de de plus attendus au terme des débats-fleuves, la précitée va accéder à la requête de Jean Aunge Muhiya, par sa lettre du 06 juillet 2024, demandant à ce que le président de la Section des contentieux soit déchargé en tant que rapporteur de la plénière. Après des reports, une nouvelle plénière s’est effectivement tenue le 25 juillet dans un contexte marqué par l’agitation et la suspension de 13 magistrats sur la cinquantaine qui constitue le Conseil d’Etat. Frisant le dol et la tricherie, les résolutions qui en sortent contraignent Bralloy Inc à briser le silence et à s’adresser dans les termes durs à la 1ère présidente tel que cela transpire à travers la lettre de son cabinet conseil ci-dessous.

Encore une fois, le président de la République et le nouveau ministre de la Justice sont interpellés. Les travailleurs de Bralloy Inc, pourquoi pas l’ambassadrice belge en RDC qui a visité les installations de Bralloy en mai dernier, demandent tout simplement que justice soit faite. La suspension des 13 magistrats du coup au sein du Conseil d’Etat est une alerte.

M.M (CP)