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Jean-Pierre Bemba contre Joseph Kabila : règlement de comptes ou stratégie de reconquête ?

De retour sur le devant de la scène politique après une décennie d’exil et de détention à La Haye, Jean-Pierre Bemba, leader historique du Mouvement de libération du Congo (MLC), engage une vendetta politique contre Joseph Kabila. L’ancien vice-président de la République sous le gouvernement «1+4», meurtri par les frustrations de Sun City et la sanglante bataille de Kinshasa en 2006, accuse son rival d’être le «géniteur des malheurs» de la RDC. Récemment réchauffé par une alliance avec Félix Tshisekedi, Bemba brandit désormais son influence retrouvée pour régler un compte vieux de vingt ans, ravivant les fractures d’une classe politique congolaise encore hantée par ses démons.

La politique congolaise a toujours été un théâtre où les rancœurs survivent aux décennies et où les alliances se tissent sur des cendres encore chaudes. Jean-Pierre Bemba, président du Mouvement de libération du Congo (MLC), en offre une illustration parfaite.

Après des années d’exil, une incarcération de dix ans à La Haye et un retour en demi-teinte sous le régime Tshisekedi, le voilà qui brandit à nouveau l’étendard de la lutte, cette fois contre son ancien rival, Joseph Kabila. Derrière cette vendetta personnelle se cachent-ils des idéaux, ou simplement l’ambition d’un homme assoiffé de revanche ?

LE POIDS DES FANTOMES DU PASSE

Pour comprendre la colère de Bemba, il faut remonter aux accords de Sun City en 2003. Intégré au gouvernement «1+4 » – où Joseph Kabila détenait l’essentiel du pouvoir présidentiel –, Bemba y a vécu ce qu’il qualifie de «frustrations systémiques». Un rôle de figuration, selon lui, dans un exécutif où les décisions se prenaient dans l’ombre de Kabila. La rupture définitive advint en 2006, lorsque les élections présidentielles, marquées par des accusations de fraude, débouchèrent sur la sanglante «bataille de Kinshasa». Défait, Bemba prend le chemin de l’exil, avant que la Cour pénale internationale (CPI) ne l’envoie à La Haye pour des crimes commis en Centrafrique – des charges finalement annulées en 2018, mais qui ont entaché son image.

Aujourd’hui, libre et réhabilité politiquement grâce à son rapprochement avec Félix Tshisekedi, Bemba semble déterminé à tourner la page… en rouvrant d’anciennes blessures. Dans ses discours, il désigne Kabila comme «l’architecte de tous les malheurs de la RDC» : l’insécurité dans l’Est, la corruption endémique, le pillage des ressources. Une accusation large, presque cosmique, qui évite soigneusement de mentionner ses propres errances.

Son retour sur le devant de la scène politique doit beaucoup à Félix Tshisekedi. En s’alliant au président actuel, Bemba a retrouvé une légitimité et une tribune. Mais cette alliance est-elle sincère, ou simplement un marchepied pour régler ses comptes ?

Certains y voient une manœuvre mutuellement bénéfique : Tshisekedi, en intégrant Bemba dans son jeu, neutralise un rival potentiel et s’attire le soutien de l’électorat du MLC, notamment dans l’Ouest. Bemba, lui, y gagne une visibilité médiatique et l’occasion de se poser en victime sacrificielle d’un système kabiliste qu’il contribua pourtant à nourrir.

KABILA, BOUC EMISSAIRE COMMODE ?

En focalisant ses attaques sur Joseph Kabila, Bemba joue une partition risquée, mais habile. Le clan Kabila, affaibli depuis la passation de pouvoir en 2019, reste une cible facile dans un pays où l’opinion publique associe son règne à deux décennies de crises. En diabolisant son ancien adversaire, Bemba se présente en justicier, détournant l’attention de ses propres contradictions.

Pourtant, cette stratégie ignore une réalité : la RDC d’aujourd’hui est aussi le produit des luttes de pouvoir entre ces deux figures. Bemba fut un acteur clé des guerres des années 2000, et son MLC, comme d’autres mouvements, a participé à la militarisation de la politique. En essentialisant Kabila comme unique source du malheur national, il évite toute autocritique et perpétue une culture de l’impunité.

QUELLES CONSEQUENCES POUR LA RDC ?

Ce règlement de comptes, s’il peut séduire une partie de l’électorat, risque d’envenimer les tensions dans un pays encore fragile. Raviver les haines des années 2000, c’est ignorer les urgences du présent : la guerre dans l’Est de la RDC, les millions de déplacés, une économie exsangue.

Par ailleurs, en campant dans le rôle du vengeur, Bemba contribue à personnaliser excessivement les enjeux politiques, réduisant les débats à des querelles d’ego plutôt qu’à des projets de société. La RDC a-t-elle besoin de croisades rétrospectives, ou de leaders capables de proposer un avenir délivré des démons du passé ?

Econews

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