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La révolte de Henri Mutombo : «Donnons aux Congolais ce que nous leur avons promis »

19 septembre 2016. Kinshasa est en ébullition. Répondant à l’appel du « Sphinx de Limete », des milliers de Congolais descendent dans la rue pour bloquer le dialogue de l’Union africaine, perçu comme une manœuvre de Joseph Kabila. Dans le récit poignant et inédit d’un acteur de première ligne, Henri Mutombo Mikenyi, acteur politique, écrivain et chercheur en fiscalité, revient sur cette journée historique où le destin de l’opposition a basculé. Il raconte la marche unitaire, la répression sanglante, le face-à-face avec la mort, et le moment où Martin Fayulu, grièvement blessé, a frôlé le pire. Neuf ans après, alors que Félix Tshisekedi est aux commandes du pays, l’ancien combattant dresse un bilan amer : le pouvoir a changé de mains, mais la promesse de l’alternance, elle, reste lettre morte. Un témoignage qui pose une question cruciale : à quoi ont servi tant de sacrifices ? Récit.

La voix est ferme, mais on y décèle une pointe d’amertume. Henri Mutombo se souvient de chaque détail, comme si c’était hier. Ce jour de septembre 2016 est à jamais gravé dans sa mémoire, une cicatrice indélébile dans l’histoire personnelle de cet homme et dans celle, tumultueuse, de la République Démocratique du Congo.

«Ce jour-là, tôt le matin, j’étais sorti de chez moi avec une détermination sans faille. L’appel du Sphinx de Limete, Feu le Président Étienne Tshisekedi wa Mulumba, résonnait encore dans nos têtes. Il fallait descendre dans la rue, il fallait barrer la route à cette mascarade, le dialogue de l’union africaine facilité par Edem Kodjo », commence-t-il.

Ce dialogue, l’opposition le voyait comme un piège, une manœuvre du pouvoir Kabila pour se maintenir. « Kodjo était «Kabiliste ya monene» pour nous, comme l’avait si bien qualifié Tshisekedi. La rue était notre seule arme. Et le peuple a répondu présent, massivement. Nous étions plus de 90% à soutenir cette action, c’était une marée humaine déterminée à changer le cours des choses. »

Marche sanglante et unité affichée

Le succès de cette mobilisation fut immédiat et incontestable. La pression de la rue a contraint le régime à revoir sa copie : « Nous avons mis fin à l’aventure du dialogue de Kabila. Notre victoire, c’était que le jeudi 8 décembre 2016, la CENCO puisse enfin commencer les discussions directes entre les acteurs socio-politiques qui avaient boycotté le dialogue de l’UA et ceux qui y prenaient part. C’était un premier pas. »

Mais ce premier pas avait un goût de sang. La marche du 19 septembre 2016 restera comme l’une des plus réprimées : « La répression était d’une violence inouïe, ordonnée par le régime. Les militaires et policiers, loyalistes aux ordres, étaient comme déchaînés. Nous avions des informations, des témoignages, indiquant qu’ils étaient appuyés par des combattants du M23 habillés en tenue de police nationale. Ils étaient gonflés d’hormones militaristes, ils tiraient à balles réelles sur des Congolais sans défense. »

Le témoignage de Henri Mutombo devient alors d’une précision glaçante : «De mes yeux, je me rappelle avoir vu une dizaine de jeunes tomber sous les balles, entre le pont Cabu et le panneau publicitaire entre le stade des Martyrs et le Palais du peuple. C’était un carnage. Et au milieu de ça, nous marchions. Moi, l’actuel président de la République Félix Tshisekedi, Jean-Marc Kabund, Guy Mwadiamvita, Papy Niango, Fabrice Puela… Nous nous tenions les mains, haut et fort. C’était un symbole : nous étions unis dans la cause du peuple congolais. Notre combat était clair : l’instauration d’un État de droit et la poursuite de l’intérêt général. Rien de moins. »

Face à la mort

L’horreur de la journée a commencé pour lui bien avant la rencontre avec Martin Fayulu : « Avant de retrouver les autres vers l’église du pasteur Sony Kafuta, sur Sendwe, un policier commis au siège du PPRD sur la 7ème Rue à Limeté, a voulu tirer sur moi à bout portant. Simplement parce que je refusais d’obtempérer à ses ordres. J’ai vu la mort en face. J’ai eu la vie sauve grâce à la riposte verbale, ferme et immédiate, de l’ancien ministre des sports et loisirs qui se trouvait là. Sans lui, l’histoire aurait été différente. »

Le point culminant du récit arrive ensuite, avec la précision d’un compte-rendu militaire : «Plus tard, j’avais retrouvé le Président de l’ECiDé, Martin Fayulu. Il m’a demandé où j’étais passé, inquiet. À l’époque, j’étais un haut cadre de ce parti. Je n’avais pas fini de lui répondre qu’il s’est avancé, à quelques encablures seulement des policiers et militaires venus nous dissuader. » Et de poursuivre : « Il leur a tenu tête, leur disant qu’ils ne pourraient jamais arrêter la détermination des Congolais à chasser Kabila. Et là, soudain, une détonation assourdissante a retenti. La panique. Tout le monde a fui dans tous les sens. Dans le chaos, je me suis retrouvé seul avec le président Fayulu. C’est là que je me suis rendu compte qu’il était gravement touché à la tête. »

La scène qui suit est décrite avec une émotion brute : «J’ai mis à hurler à tue-tête, ‘le Président Martin Fayulu est touché !’ Je le répétais tel un refrain, une litanie de détresse. Ma voix a porté. Martin Kabuya et d’autres membres de l’ECiDé sont arrivés en courant. Nous l’avons aidé à se relever, c’était difficile, et nous avons couru vers un abri sûr, le cœur battant à tout rompre. Je me suis dit : si MAFA était tué ce 19 septembre 2016, j’aurais été sans doute le seul membre à mourir avec lui. La conviction était là. »

La course contre la montre

Commence alors une course contre la montre pour sauver la vie du leader de l’opposition : « Arrivé à un centre médical de fortune, mon premier réflexe a été d’appeler les ambassades, les médias internationaux. J’ai eu au téléphone Sonya Roley de RFI, Thomas Nicolon de France 24, Francine Mukoko de TV5 Monde… Je leur ai relaté les faits, minute par minute. Il fallait que le monde sache, que la pression internationale s’exerce (…)  Pour le sortir de là, il fallait un véhicule, un plan. J’ai réussi à avoir Claudel Lubaya au téléphone. C’est lui qui m’a donné le numéro de Kovo Ingila. Et c’est Kovo Ingila qui a dépêché une Jeep. Mafa a embarqué, avec quelques fidèles du parti comme Serge Lukusa, pour être évacué vers le CMK beach Ngobila, un endroit plus sécurisé. Chaque seconde était une éternité.»

L’alternance inaboutie

Le récit de la lutte culmine avec l’investiture de Félix Tshisekedi le 24 janvier 2019 : «Ce jour-là, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo prêtait serment en tant que 5ème président de la République Démocratique du Congo. Nous pensions que le plus dur était derrière nous. »

Mais le constat aujourd’hui, pour Henri Mutombo, est sans appel : «Le contenu de notre combat de l’époque n’est pas totalement honoré. Loin de là. Nous avons encore du chemin à faire. À mes yeux, Félix Tshisekedi est allé à l’alternance tant rêvée – qui était la seule alternative à Kabila – mais il y est allé sans les hommes de l’alternance. La rupture souhaitée piétine encore, elle tarde à venir. »

La désillusion est palpable dans sa voix : «Certains hommes autour du Chef de l’Etat ont dit, je le sais, je l’ai entendu : ‘C’EST NOTRE TOUR, AU LIEU DE DIRE QUE C’EST LE TOUR DU PEUPLE’. Cette phrase résume tout le problème. Nous avons lutté pour le peuple, pas pour remplacer une clique par une autre. »

La question qui demeure

Henri Mutombo termine par une question lancinante, une interrogation qui résonne comme un reproche et un appel à la conscience nationale : « A quoi auront donc servi les 37 ans de lutte de l’UDPS, tous ces sacrifices, ces morts, ces larmes, avant d’accéder en 2019 à la magistrature suprême ? Si c’est pour que le peuple attende encore son tour, alors nous avons trahi leur mémoire. La promesse de 2016 doit être tenue. Donnons enfin aux Congolais ce que nous leur avons promis : un État de droit, une justice équitable, une vie meilleure. Rien de moins. »

Son récit est plus qu’un souvenir. C’est un miroir tendu à toute une classe politique et un rappel poignant que les martyrs de septembre 2016 attendent, dans la mémoire collective, que leur sacrifice n’ait pas été vain.

Econews

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