Un an après la normalisation des relations diplomatiques entre les deux États, cet accord lance formellement leur coopération sécuritaire entre le Maroc et l’Israël.
Le Maroc et Israël ont conclu, le mercredi 24 novembre 2021, un accord de coopération sécuritaire « sans précédent » lors d’une visite historique à Rabat du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, en pleine tension entre le royaume chérifien et son voisin algérien. L’accord-cadre a été signé par M. Gantz et le ministre délégué chargé de l’administration de la Défense nationale marocaine, Ab-dellatif Loudiyi. Il lance formellement la coopération sécuritaire «sous tous ses aspects» (planning opérationnel, achats, recherche et développement, formation) entre les deux pays, un an à peine après la normalisation de leurs relations, face aux «menaces et défis dans la région».
Un pas spectaculaire
Ce protocole – le premier du genre avec un pays arabe, selon la partie israélienne – va notamment faciliter l’acquisition par le Maroc de technologies de la puissante industrie militaire d’Israël. «Il s’agit d’une chose très importante qui nous permettra […] de lancer des projets conjoints et favorisera les exportations israéliennes jusqu’ici», a souligné Benny Gantz. L’État hébreu est l’un des principaux exportateurs au monde de drones armés et de logiciels de sécurité comme le très controversé Pegasus de la société NSO.
Or les ventes de drones armés et de certaines technologies de pointe, à l’instar du logiciel espion Pegasus, doivent être approuvées par le ministère de la Défense dirigé par Benny Gantz.
Mis en cause, le Maroc nie catégoriquement avoir acheté ce logiciel et a annoncé avoir déposé des plaintes pour «diffamation» contre des médias ayant affirmé que Rabat s’en était servi pour infiltrer les téléphones de plusieurs personnalités publiques nationales et étrangères.
Un rapprochement au défi des tensions régionales
«Les relations avec le Maroc ne sont pas basées sur les ventes d’armes mais sur le renforcement à long terme de nos liens dans la région, qui sont la pierre angulaire de la sécurité d’Israël», a justifié un responsable israélien de la Défense sous couvert d’anonymat.
Le Maroc et Israël avaient déjà établi des relations diplomatiques au début des années 1990 avant que Rabat n’y mette fin au début de la seconde intifada, le soulèvement palestinien du début des années 2000.
Désormais alliés dans un contexte régional tendu, ils ont renoué des relations en décembre 2020 dans le cadre des «accords d’Abraham», processus de normalisation des relations entre l’État hébreu et des pays arabes soutenu par l’administration de l’ex-président américain Donald Trump.
En échange, Washington a reconnu la «pleine souveraineté» du Maroc sur le Sahara occidental, territoire disputé avec les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie.
La visite de Benny Gantz intervient alors qu’Alger a rompu, en août, ses relations avec Rabat en raison «d’actions hostiles» du royaume et que le Front Polisario a décidé d’«intensifier» sa lutte armée contre le Maroc.
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a réitéré lundi le soutien appuyé de Washington à Rabat sur la question du Sahara occidental, considérée comme une cause nationale au Maroc.
Pour Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste des relations israélo-marocaines à l’université de Tel-Aviv, la visite du ministre Gantz au Maroc en pleine tension entre les deux frères ennemis du Maghreb ne saurait être une pure coïncidence. «Il est possible que dans un contexte de tension Algérie-Maroc, les Marocains […] désirent montrer au monde – à leur propre population, à leurs rivaux algériens et à l’Occident – qu’ils approfondissent leurs relations avec Israël, avec tout ce que cela implique», opine l’expert.
La visite de Benny Gantz se déroule toutefois dans une relative discrétion officielle et médiatique, la cause palestinienne recueillant la sympathie de la population et restant un facteur de mobilisation au Maroc.
Une coalition pro-palestinienne de partis et ONG de gauche ainsi que les islamistes du mouvement Justice et Bienfaisance ont appelé à un sit-in en fin d’après-midi devant le Parlement à Rabat pour dénoncer la normalisation avec Israël et la venue au Maroc du «criminel de guerre Gantz», chef d’état-major lors de la guerre meurtrière de l’été 2014 à Gaza.
Pour Bruce Maddy-Weitzman, le Maroc n’a pas abandonné la cause palestinienne, «mais a beaucoup d’autres intérêts, beaucoup d’autres bénéfices à tirer d’un recalibrage» de ses relations.
Econews avec Le Point Afrique