Le tribalisme et la pauvreté n’ont rien à voir avec l’élection ou la nomination des gouverneurs des provinces, M. le Président !
La perspective de mise en place de la nouvelle Assemblée nationale avec députés nationaux issus des législatives du 20 au 26 décembre 2023 relance le débat sur la nomination des gouverneurs des provinces, débat suscité pendant la campagne électorale par Félix Tshisekedi. D’abord lors de son intervention dans le programme spécial Rtv produit par le CSAC à l’attention des candidats à la présidentielle, ensuite dans Top Congo Fm le jour de clôture de cette campagne. Dans le programme spécial du CSAC, le candidat n°20 s’est déclaré pour la nomination.
«Ils sont les représentants du Chef de l’État en province. Comment mes représentants vont appliquer ma vision s’ils ne sont pas nommés par moi ? (…) Le pays est aujourd’hui divisé à cause du tribalisme qui s’installe à cause de l’élection du Gouverneur. Nous devons revenir à la l’ancienne pratique. Les gens estiment qu’il faut un ressortissant de tel ou tel autre territoire pour diriger la province, la cause on le sait, vous n’avez qu’à regarder aujourd’hui comment les provinces sont gouvernées. Je suis pour la révision de certaines dispositions de la Constitution», a-t-il argué…
Ainsi, le professeur Isidore Ndaywel peut se consoler des coups (lisez colibets) reçus en août dernier lorsqu’il a proposé la re-visitation de la Constitution en cours.
AUCUNE RAISON D’ÊTRE ÉLUS
Bien que Félix Tshisekedi n’en ait pas dit plus sur les dispositions à amender (ou, peut-être à élaguer), l’argument avancé a pourtant des conséquences négatives sur la démocratique à base électorale.
En effet, si le gouverneur de province doit être le représentant personnel du Président de la République en province et qu’il doit être nommé, c’est que toutes les autorités sous tutelle doivent également être nommées : maire, bourgmestre, chef de quartier et chef de rue ou d’avenue en milieux urbains, et en milieux ruraux, administrateur du territoire, chef du secteur, chef du groupement et chef de la localité.
En effet, chacun à son niveau représente son chef hiérarchique.
Autre conséquence : les organes délibérants (assemblées provinciales, conseils communaux, conseils des quartiers, conseils des rues ou avenues, conseils des districts, conseils des territoires, conseils des secteurs, conseils des groupements et conseils des localités n’auront aucune raison d’être élus puisqu’ils ne sauront exercer aucune autorité sur les représentants du Président de la République dans des organes exécutifs.
Ne faisons alors pas la politique de l’autruche : avec cette initiative, Félix Tshisekedi va vider de tout son sens, de toute son essence, de toute sa substance la démocratie dont son parti se voulait l’incarnation à l’époque de l’opposition !
Son initiative a tout d’un faux pas.
LA CRISE POUR NOURRIR LE SENTIMENT DE RÉVOLTE
La vérité est que le tribalisme résulte des deux facteurs majeurs : injustice et pauvreté.
A l’étape de Mbuji-Mayi, en pleine campagne électorale, le candidat n°20 l’a reconnu au travers de cette déclaration pathétique relayée par Steve Wembi le mardi 12 décembre 2023 : «Vous connaissez notre souffrance, notre souffrance avec des anciens régimes qui nous regardaient comme de non congolais».
Dommage qu’il ne se soit limité qu’au Kasaï. Il n’est un secret pour personne que sous Mobutu, une sorte d’exclusion avait été planifiée à l’égard des élites du Kasaï, du Bandundu, du Katanga et du Kongo Central dans tous les domaines de la vie nationale : universités, armée, police, renseignements, économie, etc.
La contestation suscitée par la frange kasaïenne du MPR Parti-Etat avait bénéficié du soutien des leaders d’autres provinces rejoints par ceux du Kivu. D’où accentuation du tribalisme dans le chef des Mobutistes de la zone linguistique lingala. Ce qui aura pour effet terrible le repli du maréchal successivement sur sa province, son district, son territoire, son secteur, son groupement, sa localité et, finalement, hélas !, sa famille biologique !
Quant à la pauvreté, elle s’était accentuée pour deux raisons :
– primo, l’enclavement du Kasaï, contrairement au Katanga et le Kongo Central constituant à deux des postes économiques importants en raison de leur accès l’un au chemin de fer de Tanzam et celui menant à Durban en Afrique du Sud, l’autre à la mer (Océan Atlantique).
La proximité du Bandundu avec Kinshasa avait mis cette province à l’abri. Tandis que le Kivu s’était découvert la vocation est-africaine bien avant l’adhésion à l’EAC.
– secundo, le leadership conduit par Etienne Tshisekedi à la tête de l’UDPS aura été pour beaucoup dans l’aggravation de la paupérisation dans l’Espace Kasaï.
L’histoire retiendra que l’aide humanitaire internationale destinée aux populations de cet espace et passant par des ONG animées par des Kasaïens en particulier n’était pas correctement dispatchée.
Il se raconte qu’on misait sur la crise sociale pour nourrir le sentiment de révolte des Kasaïens du Kasaï à l’égard des régimes qui se succédaient à Kinshasa.
Au final, le Kasaï va se vider d’une bonne partie de ses ressortissants laborieux, éparpillés les uns au Katanga, les autres à Kinshasa et au Kongo Central, quand ce n’est pas en Zambie, en Afrique du Sud, en Angola et même au Congo-Brazzaville.
C’est juste une parenthèse vite refermée.
FÉDÉRALISME ET RETENUE DE 40 % A LA SOURCE…
Pour revenir à la proposition de l’ex-candidat n°20, la solution idéale serait d’adopter une fois pour toutes la forme fédérale de l’Etat et l’élection au suffrage universel des acteurs majeurs au lieu de les réduire à des simples représentants du Président de la République.
En 63 ans d’indépendance de la RDC, force est de le constater : préparée à toutes les sauces, la forme «Etat unitaire» ne résout pas la problématique du développement. L’argument a récemment été développé dans la chronique intitulé «Comprendre le Katanga sans nécessairement justifier l’esprit indépendantiste».
On peut au moins affirmer aujourd’hui que toutes les provinces aspirent au fédéralisme. D’ailleurs, l’Udps ne saura se dédire pour avoir été lors de la Conférence nationale souveraine des forces politiques et sociales à lever cette option. Ceci de un.
De deux, il est temps, après moult hésitations, de passer à l’application de la retenue à la source des 40 % comme le prévoit la Constitution à l’article 175, quitte à réactiver la Caisse nationale de péréquation. Après tout, quand on consulte la documentation sur les ressources naturelles disponible sur le site de l’Anapi, toutes les provinces ont des sols et sous-sols bien pourvus.
C’est, par contre Kinshasa, avec sa politique budgétivore, qui bloque le développement de tout le pays.
S’agissant particulièrement de la retenue à la source, on peut convenir d’une application échelonnée en commençant, par exemple, à 20 %, quitte à aller dans dix ans à 30 % et plus tard atteindre 40 %.
C’est possible sans retoucher cette disposition constitutionnelle.
PROPENSION À SE DÉDIRE, VOIRE À SE CONTREDIRE !
En conclusion, l’initiative de Félix Tshisekedi de re-visiter la Constitution en faisant des gouverneurs des provinces des simples représentants du Président de la République comme au vieux temps du Mpr Parti-Etat est un coup dur pour la démocratie. C’est un parricide assumé. Car, ne seront concernés par les élections que le chef de l’Etat et les députés nationaux.
Les députés provinciaux deviendront inutiles dès lors que les gouverneurs des provinces seront nommés. A moins de limiter leur rôle à élire les sénateurs qui, eux, ne seront d’aucune utilité puisqu’ils vont représenter des provinces administrées par des gouverneurs nommés !
Bref, l’initiative du Chef de l’Etat est mal conçue. Elle a tout du remède qui se révèle pire que la maladie.
L’exemple des pays comme les États-Unis, le Mexique et le Brésil en Amérique, l’Allemagne, la Belgique, l’Autruche et la Suisse en Europe, le Nigéria et l’Afrique du Sud en Afrique où les gouverneurs des États ou des Provinces sont élus au suffrage universel direct devrait inspirer la RDC.
En 2019, Félix Tshisekedi en avait même appelé à l’élection des sénateurs au même type de suffrage direct. L’opinion avait réagi favorablement. Déjà, dans son premier discours sur l’état de la nation, il avait préconisé le rétablissement du second tour. Le moment venu, il n’a été procédé ni à l’une, ni à l’autre.
Parfois, on se demande pourquoi cette propension à se dédire, voire à se contredire !
Ça n’aide pas ses proches à l’aider efficacement…
Omer Nsongo die Lema
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