La CENCO et l’ECC sont vent debout pour la conclusion d’un « Pacte Social pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble en RDC et dans les Grands Lacs ». A cet effet, leurs chefs religieux ont rencontré le président Félix Tshisekedi à Kinshasa, conféré avec Corneille Nangaa à Goma et certains opposants congolais, à l’intérieur et à l’extérieur. Outre la société civile, ils ont échangé également avec quelques présidents africains : Paul Kagame, William Ruto, Denis Sassou Nguésso et Yoweri Museveni. Mais, les chances d’y parvenir sont très minimes. Et pour cause ! La controverse suscitée par leur initiative au sein de l’opinion nationale doublée de la non implication du Gouvernement dont l’entendement de la crise contraste avec celui des prélats, la propension de ces derniers, vraisemblablement en phase avec quelques opposants et l’ancien président Joseph Kabila, à ménager l’AFC-M23, y compris leur protecteur rwandais, l’incohérence caractérisant les termes des références sous-tendant ledit Pacte, etc. D’autre part, la résolution 2773 du Conseil de sécurité de l’ONU, remettant en selle les processus de Luanda et de Nairobi, ne leur donne aucune amarre. Somme toute, ledit Pacte est un mort-né.
Sur fond de la guerre à l’est congolais qui risque d’embraser toute la sous-région, les Eglises catholique et protestante se sont senties investies d’une mission prophétique de procurer la paix à la RDC empêtrée dans une crise qui n’en finit pas depuis trois décennies. Et, partant, dans les Grands Lacs africains. Leurs représentants au haut niveau ont ainsi ressenti le devoir d’envoyer à l’Afrique et au monde un signal moral et intellectuel fort, celui d’« un changement radical dans la manière de résolution de cette terrible crise ». D’où l’initiative du « Pacte Social pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble en RDC et dans les Grands Lacs ».
Leur foi dans cette mission salvatrice a bondi par la suite de plusieurs crans avec la tragédie survenue, fin janvier 2025, dans la ville de Goma ; drame signé M23, avec le soutien avéré des RDF (Forces de Défense du Rwanda), et qui a fait basculer le chef-lieu de la province du Nord-Kivu sous le contrôle de ces derniers. Cela trois ans après la chute de la cité de Bunagana alors que, dix années plus tôt, ce mouvement terroriste avait été désillusionné par les FARDC (Forces Armées de la RDC) avec le concours de la Brigade d’intervention rapide de la MONUSCO. Sourde aux multiples appels de la communauté internationale, cette coalition funeste a étendu ses conquêtes à la province voisine du Sud-Kivu dont elle contrôle, depuis le 16 février dernier, le chef-lieu, Bukavu, et ses environs quelques jours après.
Sur ces entrefaites, Mgrs Fulgence Muteba et Donatien Nshole, président et secrétaire général de la CENCO (Conférence Episcopale Nationale du Congo), Mgr André Bokondoa et le pasteur Eric Senga, président et secrétaire général de l’ECC (Eglise du Christ au Congo), décident de se jeter à l’eau. Après avoir rencontré la veille à Kinshasa le président Félix Tshisekedi et une brochette d’autres hommes politiques parmi lesquels Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, et Martin Fayulu, président du parti politique ECIDE, pour leur expliquer le bien-fondé de leur thérapeutique de choc à la crise, ils vont, le jour suivant, soit le 12 février, prendre leur bâton de pèlerin pour rencontrer Corneille Nangaa à Goma. Le jour d’après, ils rencontrent le maître de Kigali dans ses quartiers avant de mettre le cap sur Bruxelles où ils taillent bavette avec, notamment, les représentants de Moïse Katumbi, exilé de facto autant que l’ancien président Joseph Kabila qui vient de faire une sortie médiatique ratée.
Sur le chemin de Dar-es-Salaam où ils ont pris part à la réunion de la Conférence Episcopale de l’Afrique Centrale, ils font escale le 17 février à Nairobi pour échanger, entre autres, avec le président kényan William Ruto, actuel président de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est). De retour à Kinshasa, ils traversent, le 27 février, le Pool Malebo pour rencontrer le Congolo-Brazzavillois Denis Sassou Nguésso.
Après un break de quelques jours dans la capitale où ils ont sensibilisé, entre autres, les membres de la société civile pour susciter leur adhésion, Mgr Fulgence Muteba et ses compagnons s’envolent le 04 mars pour Kampala afin de deviser avec le président Yoweri Museveni. Et aussi avec le groupe de l’ancien seigneur de guerre en Ituri Thomas Lubanga, présentement exilé en Ouganda. Selon leur agenda, ils comptent également rencontrer le président angolais Joao Lourenço, médiateur dans le cadre du processus de Luanda.
Outre les consultations menées par le Présidium constitué des quatre prélats précités, le secrétariat technique, chapeauté par Didier Mumengi, n’est pas de tout repos. L’heure est aux préparatifs des travaux des commissions et ateliers qui vont déboucher sur l’organisation du Forum du Consensus National, géniteur attitré du Pacte dont question. Ses décisions, sous forme d’engagements par consensus des participants, vont servir de matériaux pour la Conférence Internationale pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble dans les Grands Lacs.
Mais, dans l’intervalle, à la suite de la diplomatie agissante de la RDC, la communauté internationale est amenée, après moult tergiversations, à sortir de sa réserve, de son indécision récurrente. Telle un couperet, la résolution 2773, prise à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, tombe le 21 février. Et le Rwanda en prend acte. Elle tranche avec le passé en condamnant de la manière ferme Kigali appelé à retirer ses troupes de la RDC dont la souveraineté et l’intégrité territoriale ne sont pas négociables. Ses supplétifs du M23/AFC sont sommés de libérer les territoires occupés. C’est une première après trois décennies d’une guerre injuste imposée au Congo par le pays de mille collines sous la barbe de la communauté internationale, faisant jusque-là de la RDC une victime expiatoire du génocide rwandais pour lequel elle n’a été mêlée ni de loin, ni de près.
Près de deux semaines après, c’est peut-être encore tôt, cette résolution n’a pas encore produit ses effets en ce que les troupes rwandaises et leurs « harki » n’ont pas bougé d’un iota. Toutefois, le compteur des sanctions à l’endroit du Rwanda est déclenché. Inauguré avec des châtiments infligés par les USA à un ministre rwandais (James Kabarebe) et un responsable du M23 (Laurence Kanyuka), il tourne tant bien que mal au regard des prédispositions dont font désormais montre bon nombre d’Etats occidentaux qui ne font plus dans la dentelle. Après le pas franchi par Londres et Bruxelles, puis Otawa et Berlin, l’Union européenne affiche des bonnes intentions, mais demeure encore brinquebalante. Kinshasa est ainsi appelé à jouer tel un funambule pour ne pas casser le fil fin qui se noue avec les grandes capitales et son opinion intérieure.
Une marge de manœuvre très étroite pour les « hommes de Dieu »
Aussi louable que puisse être l’initiative des prélats catholiques et protestants, celle-ci est minée au départ par leur haine vouée au président Félix Tshisekedi dont ils n’ont jamais ménagé le régime depuis la proclamation des résultats de la présidentielle de 2018 jusque tout récemment où ils ont justifié, faute de partage du gâteau, l’entrée en rébellion de certains compatriotes. Ils ont même envisagé le réveil d’un courageux à même de conduire une expédition pour mettre à mal le pays. Et cet audacieux se révèle être Corneille Nangaa qu’ils ont, tout sourire, considéré comme incontournable dans la quête de la paix en RDC sans la moindre compassion pour les victimes du carnage de Goma. Ceci sous un prétexte cynique selon lequel toute dénonciation de ces évènements macabres serait contreproductive à leur démarche. Prompts à charger le Gouvernement par des communiqués intempestifs et incendiaires, à l’instar de celui dénonçant l’imaginaire stigmatisation des Swahiliphones à Kinshasa, ils ont eu, dans les mêmes circonstances de temps, la main lourde pour condamner la dizaine de morts et de blessés, victimes des engins explosifs lors du meeting populaire tenu, le 27 février à Bukavu, par le staff dirigeant de l’AFC-M23. Curieux tout de même ! Cette ritournelle de stigmatisation des Swahiliphones est reprise en chœur par les dirigeants de la rébellion alors que c’est à l’est où ceux-ci sont assassinés sans la moindre compassion de ces prélats.
Cet état d’esprit des évêques catholiques, qui embrigadent ainsi les pasteurs protestants dans leur entreprise, ne présage rien de bon quant à la démarche en cours. Une initiative, du reste, controversée au sein de l’opinion nationale.
A cette controverse s’ajoute la non implication du Gouvernement congolais. Devant ses partenaires de l’Union Sacrée de la Nation, le président Félix Tshisekedi a déclaré solennellement n’avoir pas mandaté les « hommes de Dieu » pour l’accomplissement d’une quelconque mission. Aussi, l’exécutif n’a pas le même entendement de la crise que ces chefs religieux qui, trouvant même des excuses au Rwanda, la considèrent avant tout congolaise. Sur France 24, Mgr Donatien Nshole a fait savoir que les sanctions infligées à Kigali ne riment pas avec leur initiative. Elles la compromettent plutôt. Ce qui signifie qu’ils s’inscrivent en marge de la résolution 2773 et sont prêts même à embraser le pays pourvu que leur Pacte triomphe.
Dans ces conditions, on ne voit pas par quelle magie ces prélats pourraient vendre le bien-fondé de leur initiative au régime de Kinshasa.
Incohérences des termes de référence du Pacte
L’incohérence des termes de référence du Pacte en traduit les faiblesses. Les travaux y afférents sont prévus en trois phases : la tenue des ateliers citoyens de la nation structurés en commissions thématiques, l’organisation du Forum du Consensus National, ainsi que celle de la Conférence Internationale pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble dans les Grands Lacs. Toute la question est de savoir comment les décisions du Forum du Consensus National, une conférence devant, de par sa dénomination, réunir exclusivement les Congolais même si des experts internationaux auront pris part aux travaux des commissions, pourraient se transformer en traités ou conventions pour s’appliquer aux autres pays de la sous-région impliqués dans la crise en RDC et qui ont chacun un agenda différent de celui de cette dernière.
Selon le Guide du Pacte rendu public, les engagements à adopter par consensus au Forum du Consensus National résultent des contributions des commissions thématiques constituées, entre autres, des experts nationaux et internationaux, des représentants scientifiques de la société civile, des sociologues, des anthropologues, des économistes, des juristes, des historiens, des géographes, des politicologues, des psychologues, des polémologues, des diplomates, des acteurs culturels et des leaders communautaires. De surcroît, ceux-ci seront sélectionnés par appel à candidature ! Il est donc à se demander si ces experts et autres personnalités viendront de tous les pays de la sous-région et seront dument mandatés par leurs Etats respectifs afin de les engager.
Une confusion est aussi à relever dans la mesure où les travaux des commissions thématiques doivent déboucher sur des recommandations qui tiennent compte des accords et cadres régionaux et internationaux en matière de stabilisation, de réconciliation et de développement économique. Il s’agit, notamment, de s’appuyer sur les Accords de Nairobi et de Luanda, ainsi que sur les initiatives portées par l’Union Africaine, les Nations Unies et les organisations sous régionales comme la CIRGL, la SADC et l’EAC. Logiquement donc, le Pacte ne peut être conclu avant la fin des processus de Luanda et de Nairobi dont il doit également s’inspirer. Par ailleurs, qu’est-ce qui va particulariser ledit Pacte par rapport aux initiatives portées jusque-là par les institutions internationales, régionales et sous régionales précitées ?
Et pour escamoter le défaut de qualité afin d’actionner les instances internationales, les initiateurs du Pacte comptent sur le président Félix Tshisekedi pour le plaidoyer devant conduire à la « Conférence Internationale pour la Paix et le Bien-Vivre Ensemble dans les Grands Lacs ». Auprès, bien entendu, de l’Union africaine, de la SADC, de l’EAC, de la CIRGL, des gouvernements des pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et du secrétaire général de l’ONU. Pourtant, ce n’est un secret pour personne, les hiérarchies de ces deux confessions religieuses ne ménagent aucun effort pour défenestrer Félix Tshisekedi du pouvoir ou, le cas échéant, le contraindre à un partage du pouvoir de façon à l’affaiblir en perspective des échéances de 2028. Celui-ci va-t-il s’offrir tel un agneau ? Selon certaines indiscrétions, après l’audience leur accordée par le président Félix Tshisekedi à la cité de l’UA, ces prélats avaient sablé champagne et laissé entendre que leur hôte était dorénavant dos au mur.
Par ailleurs, la question du financement des travaux inhérents à ce Pacte taraude bien des esprits. Qui sont ces bienfaiteurs qui prennent en charge les déplacements de ces dignitaires religieux, tous frais compris, et qui vont également mettre profondément la main dans la poche pour pourvoir au budget des travaux des ateliers, des commissions thématiques et du Forum National du Consensus, dont le format n’est pas révélé ?
Pour la crédibilité de la démarche, les financiers doivent être connus de tous. Ça ne doit pas être un secret. L’on se rappellera les balbutiements de Mgr Donatien Nshole sur le plateau d’une télévision quant à l’origine de l’argent qui avait couvert l’achat de 40 000 smartphones pour la surveillance des élections en 2018. Il avait même parlé de leurs amis arabes sans les citer, alors que sieur Olivier Kamitatu avait déjà vendu la mèche.
La question du timing n’est pas de moindres. Selon les prévisions, les délais se présentent comme suit : 26 jours pour la 1ère phase, 34 jours pour la 2ème et plus de 140 jours pour la 3ème. Soit au minimum 200 jours. La date du début des travaux n’étant pas encore fixée, il est difficile de savoir à partir de quand commencer à faire le décompte.
Tout compte fait, le Pacte, dont se prévalent les catholiques et protestants, est un mort-né. Les chances sont quasiment nulles pour sa concrétisation. Par quel mécanisme, cette alliance, qui traduit la réconciliation des Congolais, va s’imposer aux autres pays de la sous-région ?
Par Moïse Musangana