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«Pacte social pour la paix » : les quatre vérités de Mgr Fulgence Muteba 

Alors que la guerre dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) entre dans sa troisième décennie, Mgr Fulgence Muteba, président de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et archevêque de Lubumbashi, défend avec vigueur le «Pacte social pour la paix et le bien-vivre ensemble». Une initiative portée avec l’Église du Christ au Congo (ECC), mais vivement critiquée par une partie du pouvoir et de l’opinion, qui y voient une ouverture dangereuse à l’«ennemi rwandais». Dans un entretien exclusif à Jeune Afrique, le prélat répond aux accusations et détaille sa vision d’une paix durable.

Le «Pacte social», né d’un dialogue national soutenu par les Églises, ambitionne de rassembler toutes les forces vives du pays – gouvernement, oppositions, société civile, groupes armés – autour d’une feuille de route pour la réconciliation. Objectif affiché : désamorcer les tensions dans l’Est de la RDC, où les combats entre l’armée congolaise, les rebelles du M23 et des dizaines de milices locales ont déplacé plus de 7 millions de personnes.

Mais depuis son lancement, l’initiative est sous le feu des critiques. Certains membres du parti au pouvoir, l’UDPS, et des figures médiatiques accusent la CENCO et l’ECC de «naïveté», voire de «complaisance» envers le Rwanda, régulièrement pointé du doigt par Kinshasa pour son soutien présumé au M23. «Ce pacte, c’est un cheval de Troie qui légitime les agresseurs », tonne un député de l’UDPS sous couvert d’anonymat.

«LA PAIX N’A PAS D’ENNEMI»

Interrogé par Jeune Afrique, Mgr Fulgence Muteba balaie ces accusations. «Notre démarche n’est ni pro-Rwanda ni anti-RDC. Elle est pro-paix», insiste-t-il, rappelant que « le dialogue est un outil catholique, inscrit dans l’Évangile». Pour lui, exclure des acteurs sous prétexte de leur affiliation reviendrait à «enterrer toute solution durable».

Le prélat reconnaît toutefois les risques de récupération politique : «Certains voudraient instrumentaliser ce pacte. Notre rôle est de veiller à ce qu’il reste un cadre strictement congolais, centré sur les victimes».

Si des ONG locales saluent le «courage» des Églises, le Gouvernement reste prudent. Du côté de la population, les avis divergent. À Goma, des déplacés espèrent que le pacte «ramènera enfin la paix».

Mais à Kinshasa, sur les réseaux sociaux, les critiques fusent : «Les évêques devraient exorciser les rebelles, pas discuter avec eux », ironise un internaute.

Alors que les pourparlers de Doha entre Kinshasa et le M23 piétinent, le «Pacte social» pourrait offrir une alternative. Mais pour Mgr Muteba, l’urgence est ailleurs : «Avant de parler de processus formel, il faut redonner de l’espoir. La paix commence par un repas partagé, une école reconstruite, une main tendue. Le reste suivra ».

Econews

Mgr Fulgence Muteba répond aux questions de Jeune Afrique

Jeune Afrique : Monseigneur, comment se déroule votre tournée aux États-Unis ?

Mgr Fulgence Muteba : Très bien. Les personnalités que nous avons rencontrées, notamment le Secrétaire général des Nations unies, se sont montrées très attentives à notre démarche. Nous avons également échangé avec des membres du Congrès américain, des représentants du Département d’État, et des responsables d’organisations engagées auprès de la RDC. Même à l’Université George-Washington, nous avons eu l’occasion de présenter notre projet de paix. Si la situation sur le terrain se stabilise, de grandes avancées sont possibles .

Quelle est la philosophie de votre démarche ?

Nous sommes convaincus qu’une paix durable ne peut être construite que sur une base solide de dialogue – un dialogue sincère entre Congolais, mais aussi entre la RDC et ses voisins. Cela suppose de mettre de côté les questions qui alimentent les conflits depuis plus de trente ans.

Et que pensez-vous des consultations lancées par le Président Félix Tshisekedi via son conseiller spécial en matière de sécurité

Nous ne sommes pas contre cette initiative. Mais nous estimons que la crise est beaucoup plus profonde et qu’un gouvernement d’union nationale, à lui seul, ne saurait tout résoudre. D’où notre plaidoyer pour une approche globale et inclusive.

Votre tournée a été longue : l’Est de la RDC, le Rwanda, l’Angola, le Kenya, l’Europe… N’est-ce pas trop ?

Non, c’est une initiative mûrement réfléchie. Il faut écouter tous les partenaires, internes comme externes, pour obtenir un consensus solide. Cela prend du temps, mais c’est nécessaire.

Qui souhaitez-vous encore rencontrer ?

Nous envisageons de nous rendre en Afrique australe. Il est capital d’obtenir des garanties de la part de la SADC, afin de résoudre certains blocages.

À Kinshasa, certains responsables voient votre démarche d’un mauvais œil. Cela ne risque-t-il pas d’entraver votre mission ?

Nous nous en tenons aux propos du Président Tshisekedi lui-même, qui nous a dit que notre initiative était louable. Quant à ceux qui nous accusent de collusion avec des ennemis de la République, ce sont des allégations sans fondement. Beaucoup de ceux qui critiquent notre démarche n’ont même pas pris le temps de lire notre feuille de route. Qu’ils le fassent, et ils constateront qu’aucune de ces accusations ne tient.

On évoque même des enregistrements audio impliquant les religieux…

Le Congo est accablé par des crises multiples depuis des décennies. Aujourd’hui, il est presque paralysé. Pour sortir de cette impasse, il faut impérativement dialoguer. Cela implique nécessairement des contacts. Et puis, le Président Tshisekedi n’a-t-il pas lui-même rencontré le Président Kagame à Doha ? Des discussions directes avec le M23 n’ont-elles pas été envisagées ? Alors que nous reproche-t-on » ?

Face aux médiations de Luanda, de Nairobi, ou même du Qatar, votre initiative est-elle encore pertinente ?

Absolument. Notre processus est complémentaire de ceux de Luanda et de Nairobi. Il ne les contredit en rien. Quant à la médiation du Qatar, elle a au moins permis aux acteurs de se parler. Ce qui compte aujourd’hui, c’est de trouver des solutions durables. Nous ne sommes pas là pour attaquer un régime, mais pour empêcher l’effondrement du pays. Ce n’est un secret pour personne : la RDC est dans une situation catastrophique.

La souveraineté du pays est mise à mal, une partie du territoire est occupée. Quel est votre message à ce sujet ?

Il n’est pas normal qu’une armée étrangère vienne s’installer sur notre sol, que des milices occupent des zones entières du territoire national. Le niveau de vie de nos populations est indigne. Cela doit cesser.

Certains leaders de l’opposition estiment que le Président Tshisekedi n’est plus à la hauteur. Quelle est votre position ?

Je ne parlerai pas d’individus. Ce qui m’importe, ce sont les Congolais, leur aspiration à vivre dans la dignité, à vivre ensemble en paix.

Certains disent que vous travaillez à faire partir le Président Tshisekedi…

Nous ne travaillons au départ de personne, pas plus que nous ne faisons campagne pour l’arrivée de quiconque. Le Pacte Social que nous proposons n’a pas cette vocation-là. Relisez notre feuille de route : nulle part nous ne formulons un tel objectif.

Et si, demain, le Président Tshisekedi retirait son soutien à votre initiative ?

Nous consulterons alors nos pairs : les évêques de la CENCO et les pasteurs de l’ECC. Ensemble, nous trouverons la voie à suivre ».

Votre tournée demande des moyens importants. Qui finance ?

Ne sous-estimez pas l’Église catholique et l’ECC. Ce sont des institutions solides, qui fonctionnent, et qui savent mobiliser leurs ressources. Certains États amis ont aussi contribué : l’Angola, le Kenya, l’Ouganda, et même le Rwanda.

Même le Rwanda, souvent pointé du doigt pour son soutien présumé au M23 ?

Le Rwanda a estimé que notre initiative allait dans le bon sens. Nous sommes des pasteurs, nous cherchons des solutions. Nous ne jugeons pas les intentions, nous nous concentrons sur les issues possibles pour la paix.

En résumé, quel est le message que vous adressez au peuple congolais et à ses dirigeants ?

Il est temps d’arrêter la guerre. Maintenant. Et de tout mettre en œuvre — toutes affaires cessantes — pour construire le Congo que nous voulons, dans une région des Grands Lacs où règnent la paix et le bien-vivre ensemble.

Avec Jeune Afrique

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