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Parlement des « inconscients »

Ils se regardent en chiens de faïence, manigancent dans les couloirs, se livrent une guerre sans merci pour le contrôle de postes juteux et de privilèges indécents. Pendant ce temps, à Uvira, et dans tout l’Est du pays, le tonnerre des armes et les cris des populations martyres résonnent dans un vacuum assourdissant d’indifférence. Mercredi, dans l’Hémicycle du Palais du peuple, un élu, Justin Bitakwira pour ne pas le citer, a eu le courage – ou l’impudence – de nommer cette schizophrénie collective d’un mot qui a fait frémir l’Assemblée : « Inconscients ».

Le mot était lâché. Cru, violent, insupportablement vrai. Venu d’un homme dont la circonscription est la proie des kalachnikovs et de l’avancée des coalitions rebelles, cet accès de lucidité avait la force d’un cri. Le cri de celui qui, revenant du front, se retrouve plongé dans un théâtre d’ombres où l’on se bat non pour le salut de la nation, mais pour des prébendes et des positions.

Acculé, il a été contraint de se rétracter. Trop tard. La vérité, comme souvent, avait jailli dans un moment d’égarement et s’était répandue dans l’enceinte sacrée de la démocratie, tel un parfum de soufre.

Car que font donc nos élus nationaux pendant que le pays brûle ? Ils orchestrent méthodiquement la chasse aux postes. Le projet de budget 2026, cadre essentiel de la gestion de l’État et, potentiellement, de la réponse aux multiples crises, moisit sur une étagère. Il a été relégué au rang de variable d’ajustement de calculs politiciens sordides. La priorité absolue, la seule qui vaille, est de « mettre de l’ordre dans la maison », entendons par là : procéder à un remake de la guerre des chefs pour s’octroyer des « avantages princiers « .

L’expression de Justin Bitakwira fait froid dans le dos, non par son excès, mais par sa justesse tragique. Elle résonne comme un écho sinistre à un autre temps, immortalisé par Modeste Mutinga et son livre cinglant, « La République des inconscients », qui dépeignait les dérives d’une époque révolue.

L’histoire bégaierait-elle à ce point ? Sommes-nous tombés dans un cycle infernal où les leçons du passé ne servent jamais ?

Députés et sénateurs, le peuple qui vous regarde, effectivement, doit penser que vous êtes des  » inconscients « Pire, il doit se sentir trahi, abandonné, moqué. Comment expliquer à un parent déplacé de l’Ituri, à un commerçant de Goma terrorisé, à un fermier de Bukavu qui ne peut plus écouler sa production, que l’urgence nationale du moment est de savoir qui présidera le bureau de l’Assemblée nationaleou qui en sera le questeur ou rapporteur ?

Le retrait forcé de la déclaration de Justin Bitakwira ne changera rien. Le mal est plus profond.

La nation attend des actes. Elle attend que ses élus se ressaisissent et redeviennent, ne serait-ce qu’un instant, conscients. Conscients de leurs responsabilités, conscients des drames qui se jouent, conscients du regard accablé que porte sur eux une population au bord du gouffre.

Le temps des jeux politiques est terminé. Celui de l’action et du courage doit commencer. Avant qu’il ne soit trop tard.

Econews

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