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Polémique des chiffres entre le Ministère des Finances et la BCC : un révélateur des divergences entre politiques monétaire et budgétaire

Une polémique inédite et publique oppose le Ministère des Finances et la Banque Centrale du Congo (BCC) au sujet de l’impact de l’appréciation du franc congolais sur les recettes fiscales. Bien plus qu’une simple querelle technique sur des chiffres, cet échange révèle des tensions profondes sur la lecture de l’économie, la méthodologie des données et, en filigrane, la répartition des rôles entre politique budgétaire et monétaire. Alors que la BCC défend ses analyses publiées, fondées sur sa vision consolidée des flux financiers, le ministère des Finances les conteste sans produire ses propres données détaillées, cristallisant un choc entre transparence et opacité. Cet épisode, qui ébranle la crédibilité de l’édifice économique congolais, pose une question cruciale : les institutions parviendront-elles à une coordination technique ou laisseront-elles la discorde publique nuire à la confiance des investisseurs et des partenaires internationaux ? Analyse.

La publication, cette semaine, d’un communiqué du Ministère des Finances s’en prenant frontalement aux analyses de la Banque Centrale du Congo (BCC) concernant l’impact de l’appréciation du Franc congolais sur les recettes fiscales a jeté une lumière crue sur les tensions sous-jacentes entre deux piliers de la gouvernance économique congolaise.

Pour les observateurs et la presse économique, cet épisode dépasse la simple querelle technique. Il révèle des divergences profondes sur la lecture de la situation économique, la méthodologie des données et, in fine, sur la répartition des rôles dans la conduite de la politique économique.

Un débat public inédit et risqué

Habituellement, les désaccords entre le Trésor public et la banque centrale se règlent dans l’arène discrète des comités techniques. Leur médiatisation est perçue par les analystes comme un signal préoccupant.

« Lorsque deux institutions aussi cruciales que les Finances et la Banque Centrale s’opposent publiquement sur des chiffres fondamentaux, c’est la crédibilité de tout l’édifice économique qui est ébranlée auprès des investisseurs et des partenaires internationaux », commente un économiste basé à Kinshasa, sous couvert d’anonymat.

Le cœur du litige ? Le Ministère estime que la BCC utilise des « chiffres erronés et inexacts », basés sur des recettes cumulées incluant des avances fiscales, pour affirmer que l’appréciation du Franc Congolais a affecté les recettes de l’État. Pour les Finances, le cadre du FMI et les données de ses propres administrations contredisent cette thèse.

Le fond du problème : qui détient la vérité des chiffres ?

La réponse cinglante, circulant dans les couloirs des institutions et parmi les experts, interpelle : « Si les chiffres de la Banque Centrale sont faux, que le Ministère publie les siens. »

Cette réplique met le doigt sur un point névralgique. La BCC, en sa qualité de banquier de l’État et d’organe de régulation du système financier, a une vision consolidée et en temps quasi-réel de tous les flux financiers, y compris des recettes fiscales qui transitent par les comptes du Trésor. Ses notes de conjoncture, publiées régulièrement sur son site internet, détaillent non seulement les agrégats monétaires mais aussi le niveau des dépenses publiques, l’exécution budgétaire partielle et l’évolution du crédit.

« L’argument du Ministère selon lequel le crédit à l’import était appliqué avant l’appréciation et qu’il n’y a donc pas de choc sur les recettes est un raisonnement de trésorerie, pas une analyse macroéconomique », analyse un journaliste économique spécialisé. « La BCC, elle, mesure l’effet de change sur la valeur en francs congolais des recettes prévues en dollars. C’est une question de point de vue : la caisse du jour versus la santé financière à moyen terme ».

Transparence contre opacité : un choc culturel

Pour de nombreux observateurs, le vrai sujet sous-jacent est culturel : « Qu’y a-t-il de choquant à ce que la BCC publie ses analyses ? » L’institution monétaire a bâti sa crédibilité récente sur une politique de communication proactive, alignée sur les standards internationaux du FMI. Elle expose ses données, ses diagnostics et ses décisions.

À l’inverse, l’administration fiscale et le ministère des Finances fonctionnent traditionnellement avec une opacité plus grande. Leurs chiffres détaillés, leurs prévisions de recettes ou leurs analyses d’élasticité ne font pas l’objet de publications systématiques accessibles au public.

« Le problème, c’est que lorsque vous avez une institution qui publie et une autre qui ne publie pas, le débat public est forcément biaisé », estime un consultant international. « La BCC met des chiffres sur la table. Pour les contester efficacement, il faut en produire d’autres, aussi solides, aussi transparents. Sinon, cela ressemble à une simple dénégation ».

L’enjeu fondamental : la coordination ou le chaos

La fin du communiqué du Ministère touche pourtant une corde sensible unanimement reconnue par les experts : « La coordination des politiques économiques est plus que nécessaire ».

C’est précisément là que l’échange public fait le plus de dégâts. Le FMI, cité par les deux parties, insiste constamment dans ses rapports sur la nécessité d’un « policy mix » cohérent en RDC : une politique budgétaire prudente doit accompagner une politique monétaire restrictive pour lutter contre l’inflation sans étouffer la croissance.

« Ce qui est inquiétant, ce n’est pas qu’il y ait un débat, c’est qu’il ait lieu sur la place publique avant d’avoir épuisé les canaux de dialogue internes », souligne un ancien cadre du FMI. « Cela laisse penser que les comités de coordination, comme le Comité de Politique Monétaire, ne fonctionnent pas ou que leurs conclusions sont ignorées ».

Perspectives : vers une sortie de crise technique ou politique ?

Les observateurs envisagent plusieurs scénarios pour la suite :

  1. L’escalade : Chaque camp publie des communiqués de plus en plus durs, créant une confusion totale sur les indicateurs économiques et nuisant à la confiance des investisseurs.
  2. Le statu quo tendu : Le débat public s’éteint, mais les divergences persistent en coulisse, risquant de créer des incohérences dans la politique économique (ex : une banque centrale qui resserre pendant que le Trésor dépense excessivement).
  3. La résolution technique : Les deux institutions acceptent, sous l’égide de la Primature ou du Président de la République, de créer un groupe de travail conjoint pour harmoniser leurs méthodologies statistiques et produire un diagnostic commun. C’est la solution prônée par la plupart des économistes.
  4. L’arbitrage politique : L’exécutif tranche en faveur d’une lecture, au risque de sembler porter atteinte à l’indépendance opérationnelle de la Banque Centrale, un principe pourtant cher aux partenaires financiers.

Néanmoins,  cette polémique est un test de maturité pour la gouvernance économique congolaise. Elle révèle les progrès accomplis en matière de transparence, mais aussi les failles persistantes dans la coordination inter-institutionnelle. La manière dont les autorités résoudront ce conflit – par le dialogue technique ou l’affrontement politique – enverra un signal plus fort que n’importe quel chiffre sur la crédibilité et la résilience des institutions de la République. L’intérêt supérieur de l’économie congolaise commande une sortie par le haut, fondée sur des données vérifiables et un dialogue constructif.

La BCC publie sur son site internet de manière régulière, une note de conjoncture économique, où l’on retrouve le niveau des dépenses, le taux d’inflation, dépenses budgétaires, pour démontrer sa transparence. Un expert de la banque centrale nous rappelle que le cumulé des recettes se fait mois par mois, et que le crédit impôt est une pratique qui était faite même avant l’appréciation du franc congolais, et le ministère des finances l’appliquait !

De l’avis général, il est recommandé au ministère des finances de publier ses chiffres si il juge incorrects, ceux de la Banque Centrale du Congo, et de pouvoir avoir l’élégance d’engager un échange responsable avec la BCC avant de créer une polémique sur les réseaux sociaux qui la décrédibilise.

Nous avons contacté la Banque Centrale officiellement, mais l’institution d’émission a préféré ne pas réagir à cette polémique.

CP

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