23 et 24 mars 2020. Aqaba, capitale de la Jordanie, a accueilli un sommet, dit de haut niveau, sur la sécurité en Afrique, notamment dans la région des Grands lacs où des guerres cycliques impliquent quatre des pays membres : RDC, Ouganda, Rwanda et Burundi. Événement-clé : le tête-à-tête Félix Tshisekedi et Paul Kagame consacré du reste par une photo fraternelle – que dis-je ? – une photo amicale.
Il est vrai que depuis l’entrée des troupes ougandaises en RDC au motif d’accompagner les FARDC dans la guerre asymétrique contre les ADF, le courant semblait ne plus passer entre Kinshasa et Kigali, les autorités rwandaises s’estimant injustement marginalisées puisque déterminées à neutraliser au même moment les FDLR…
Mais voilà que quatre jours à peine après les retrouvailles, les espoirs suscités par cette rencontre sont refroidis par ce qui n’aurait jamais dû se reproduire : attaque et la reprise, par des éléments du M.23, des localités de Runyonyi et de la colline de Tshanzu desquelles ils avaient été chassés par les FARDC un certain 23 octobre 2013. Aux dernières nouvelles, Bunagana est vidée de sa population.
Oui, 9 ans après l’exploit des FARDC aidées en cela par la Brigade d’intervention constituée entièrement d’Africains (Tanzaniens, Sud-africains et Malawites) mais versée dans la Monusco au grand mécontentement des autorités congolaises, et 3 ans après l’alternance politique de janvier 2019, le M.23, visiblement soutenu par l’armée gouvernementale rwandaise (selon le communiqué officiel des FARDC), est rentrée sur le lieu du crime.
Ce qui doit interpeller l’opinion, c’est l’enchaînement des faits. En voici la démonstration, en les présentant à rebours :
– nuit du 27 au 28 mars 2022 : attaque menée par les éléments du M.23 dont certains sont censés se trouver en Ouganda et au Rwanda, d’autres étant rentrés en RDC;
– 23 et 24 mars 2022 : réunion de haut niveau tenue à Aqaba avec pour participants pour les Grands-Lacs les délégations de la RDC, du Rwanda et de l’Ouganda ayant mutualisé leurs efforts en matière de renseignements sécuritaires;
– 18 mars 2022 : annonce, par l’administration américaine, des sanctions prises à l’encontre de l’homme d’affaires belge Alain Goetz pour trafic illicite de l’or raffiné en Ouganda;
– 30 novembre 2021 : autorisation accordée par le président Félix Tshisekedi à l’armée ougandaise d’entrer sur le sol congolais pour traquer les rebelles ougandais des ADF opérant plutôt en RDC qu’en Ouganda, et cela en appui aux troupes congolaises. Il est à noter que les ADF sont soupçonnées de complicité avec des organisations djihadistes actives dans plusieurs régions d’Afrique (Sahel, Corne de l’Afrique, Afrique Orientale, Afrique australe, Grands-Lacs);
– 6 mai 2021 : proclamation par le président Félix Tshisekedi de l’état de siège pour combattre les ADF et tous les groupes armés congolais et étrangers écumant l’Est du pays.
Preuve de l’échec
A l’heure du bilan pour les 11 premiers mois de l’état de siège (mai 2021-avril 2022), il s’avère que les résultats sur le terrain sont mitigés. La preuve, c’est la Monusco, en la personne du Général de division Benoît Chavanat, son commandant adjoint, qui va la donner en tirant la sonnette d’alarme.
Ainsi, du M.23, il déclare : « Vous avez le M23 dont on sent quelques signes de regain d’activité notamment contre les FARDC directement mais indirectement sur les civils. Et vous avez plus au sud, bien sûr, les Maï-Maï qui s’en prennent à des communautés, vous le savez, sur les Hauts-plateaux ».
Du groupe armé CODECO très actif en Ituri, il dit : « … si on prend du nord au sud, de manière un peu caricaturale pour aller vite, nous avons le CODECO au nord qui ont un peu évolué dans leurs objectifs et qui s’en prennent, vous le savez, depuis quelques semaines aux camps de déplacés ».
Des ADF, il avance : « Vous avez évidemment les ADF qui sont combattus vigoureusement par les armées ougandaises en lien avec les FARDC et qui continuent à commettre ici ou là des atrocités… ».
Sa conclusion est cinglante à propos de la situation sécuritaire : « Il ne faut pas se cacher, elle a même tendance à se détériorer selon les zones».
Ce constat est la preuve de l’échec de toute la stratégie développée par le régime actuel et ses accointances contre celle érigée par le régime Kabila, fondée certes sur la diplomatie, mais sans céder sur la fermeté.
Des années durant, Joseph Kabila n’avait eu de cesse d’établir le lien de cause à effet entre l’exploitation illicite des ressources naturelles congolaises et l’activisme des groupes armés. On ne le croyait pas.
Des années durant, il insistait sur le lien de cause à effet entre les groupes armés et les gouvernements belligérants dont ceux de l’Ouganda et du Rwanda dans le captage desdites ressources. On ne le croyait pas.
Des années durant, il démontrait l’inefficacité de combattre par des méthodes classiques des groupes armés utilisant, eux, des méthodes asymétriques, entre autres la guérilla. On ne le croyait pas.
Force est d’en admettre aujourd’hui l’évidence et la conséquence : toute la stratégie montée méticuleusement et exécutée scrupuleusement pour en finir avec la guerre de l’Est sur les plans militaire, diplomatique et socioéconomique a été systématiquement démontée pendant et après son règne. Pendant son règne parce qu’on ne voulait simplement pas de lui à la tête du pays à cause, on s’en doute, du contrat sino-congolais.
Et c’est maintenant seulement – sans qu’on en sache la raison exacte – que l’administration américaine se résout à en finir avec la pratique mafieuse à l’origine de la mort des millions de Congolais et de la destruction de leur tissu économique, social et environnemental, à savoir le trafic des ressources naturelles dont l’or, le coltan et la cassitérite regorgeant le sous-sol des provinces de l’Est en proie à la guerre : Ituri, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Maniema et Tanganyika.
En effet, à la surprise générale, elle a pris le 18 mars 2022 des sanctions à l’endroit de l’homme d’affaires belge Alain Goetz.
L’information essentielle, aujourd’hui, est que le trafic remonte à plusieurs années.
Dans le résumé analytique de son rapport portant le titre « Or sale et blanchiment d’argent. Commerce aux États-Unis et en Europe d’or provenant de zones de conflit dans l’Est de la RDC », paru en octobre 2018, The Sentry soutient que son enquête fait «craindre que de l’or provenant de zones de conflit en République démocratique du Congo (« RDC ») pénètre les marchés internationaux, notamment les chaînes d’approvisionnement de grandes sociétés américaines, et se retrouvent dans des produits du quotidien ».
Ses documents et entretiens, poursuit cette organisation «semblent sérieusement indiquer que le réseau d’entreprises contrôlé par le magnat belge Alain Goetz a fait appel à l’African Gold Refinery (AGR) en Ouganda pour raffiner de l’or provenant de zones de conflit dans l’est de la RDC et importé illégalement. Le précieux métal aurait ensuite été exporté vers les États-Unis et l’Europe par l’intermédiaire de plusieurs entreprises, dont feraient partie Amazon, General Electric (GE) et Sony. D’après les Nations Unies (ONU), l’or provenant de zones de conflit assure la majeure partie des revenus des factions armées qui sévissent dans l’est de la RDC ».
Le rapport analytique aligne des chiffres effarants. « Ce conflit aurait coûté la vie à plusieurs millions de personnes (entre 3,3 et 7,6 millions)» et on estime entre 300 et 600 millions USD d’or « franchissent illégalement les frontières de la RDC chaque année ».
Bien plus, toujours selon The Sentry, « l’AGR aurait exporté pour environ 377 millions de dollars US d’or en 2017 vers une société affiliée à la raffinerie d’or belge Tony Goetz NV, basée à Dubaï. D’après les dossiers de la Securities and Exchange Commission datant de 2018, 283 entreprises cotées aux États-Unis auraient répertorié la raffinerie belge comme l’un de leurs fournisseurs potentiels, bien que cette dernière ait échoué à un audit international majeur sur les… »
Même Thierry Vircoulon, consultant pour des organismes de développement et d’aide humanitaire et des think tanks, fait observer que « ce qui est reproché à cette entreprise, c’est d’acheter et de raffiner de l’or qui vient du Congo sans vérifier sa provenance et sans vérifier si cet or satisfait en effet aux critères de traçabilité et de certification qui ont été mis en place dans la législation congolaise ».
Décor d’avant Dialogue inter-congolais et d’avant Conférence de Goma
En conclusion, livrer l’information et sanctionner l’intéressé à coup de médiatisation, c’est bien. Mais, le mieux serait de publier l’identité des partenaires.
Après tout, il ne s’agit pas d’une raffinerie artisanale. C’est une raffinerie industrielle ayant pignon sur rue, et sans doute s’acquittant de ses obligations fiscales et douanières dans les pays d’accueil, en l’occurrence l’Ouganda et le Rwanda. Il va falloir des sanctions exemplaires.
Cela est d’autant plus nécessaire qu’avec le regain d’activisme constaté en aval au niveau des groupes armés congolais et étrangers (ADF, M.23, CODECO etc.) – et en amont les armées gouvernementales congolaise, ougandaise et rwandaise, c’est quasiment le décor d’avant Dialogue intercongolais de 2002 et d’avant Conférence de Goma de 2009 sur la Paix, la Sécurité et le Développement qui se reconstitue.
C’est comme si on remettait le compteur à zéro.
Barnabé Kikaya Bin Karubi
Ancien ministre, ancien ambassadeur et ancien député. Professeur à l’Unikin