Le déploiement de la forces régionale de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est) pour contre les groupes armés opérant dans l’Est de la République Démocratique du Congo est loin de faire l’unanimité.
«Il n’y a pas de calendrier précis, tout dépendra du déploiement des forces régionales. Le Burundi est déjà là…». Ainsi parlait le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, lors de son interview sur RFI et France 24, fin septembre à New York, en marge de la 77e Assemblée générale des Nations-Unies.
Le chef d’État évoquait alors « la fin, mais fin totale, des violences à l’est de mon pays », en citant l’accord signé à Nairobi avec les pays membres de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), association à laquelle la RDC a officiellement adhéré en juillet dernier. Cet accord prévoit que l’Ouganda, le Sud-Soudan, la Tanzanie, le Burundi et le Kenya envoient entre 6.500 et 12.000 hommes avec mission de «contenir, vaincre et éradiquer les forces négatives» dans l’Est de la RDC. (Le Rwanda est le seul pays de la CAE à ne pas envoyer de troupes vu les tensions avec la RDC et les accusations d’agression.)
Face à la recrudescence de la violence due aux groupes armés, les chefs d’États de la CAE avaient décidé, dès le 20 juin dernier, d’accélérer la mise en place de la force conjointe qui doit intervenir dans quatre provinces congolaises : le Sud-Kivu, le Nord-Kivu, l’Ituri et le Haut-Uélé.
Quel déploiement ?
Cent jours après cette annonce, le flou règne sur les effectifs déjà réellement engagés par les voisins de la RDC et sur ceux qui le seront à l’avenir. «Les Burundais sont là, le président Tshisekedi a raison », explique, avec cynisme, Christian B., qui collabore avec diverses ONG internationales dans le Sud-Kivu.
«Mais ces Burundais étaient déjà là depuis un certain temps. Ils sont chez nous pour chasser les mouvements de l’opposition burundaise. Ils se moquent de la paix en RDC.
La différence, c’est que depuis l’officialisation de leur déploiement, ils sont moins discrets. Cela fait donc plus de dégâts chez nous. Des fermes attaquées. Des bêtes qui disparaissent…».
Quel argent ?
Car, ce que souligne Christian B., comme d’autres acteurs de la société civile contactés en Ituri et au Nord-Kivu, «le texte qui a créé cette force régionale ne dit rien de son financement». Lors de son passage à New York, Félix Tshisekedi a d’ailleurs expliqué qu’il tentait de «sensibiliser» les partenaires internationaux à cette question.
«N’oubliez pas que cet accord a été signé entre les membres de la Communauté d’Afrique de l’Est sans concertation avec les responsables de la Monusco qui a aussi pour mission de lutter au côté de l’armée congolaise », explique un diplomate occidental. « Il est difficile de demander aux Nations unies de subsidier ce déploiement dont la mission chevauche celle de la Monusco, alors que, dans le même temps, le pouvoir congolais ne cesse de critiquer et de demander le départ de cette mission onusienne. Il est aussi difficile pour tous les autres États qui versent leur cotisation à l’Onu d’ouvrir leur portefeuille pour cette nouvelle mission. Beaucoup doutent de son efficacité et ont le sentiment que certains cherchent à leur fait les poches ».
Début octobre, le ministre congolais des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, annonçait que le Sénégal, dont le chef de l’État Macky Sall assure la présidence tournante de l’Union africaine, avait accepté de verser un million de dollars pour soutenir cette force. Le président angolais Joao Lourenço a, lui, mis 2 millions de dollars pour soutenir cette opération, auxquels devrait s’ajouter la contribution du Kenya qui débloquerait 1,5 million de dollars.
«Mais le nouveau président kényan, derrière un discours volontariste, a déjà fait savoir qu’il entendait bien récupérer cette somme », explique notre diplomate, tandis qu’un bon connaisseur des questions militaires hausse les épaules : «Ces montants sont dérisoires ».
Quelles conséquences ?
«Ce qui est certain, c’est que le Burundi, lui, ne mettra pas un franc dans l’aventure, explique un spécialiste du pays. Ses caisses sont vides. Quand le pays mobilise ses hommes pour aller se battre à l’étranger, comme dans le cadre des missions en Centrafrique ou au Soudan, c’est pour ramener des devises au pays. Les militaires envoyés au Sud-Kivu, qui sont flanqués d’Imbonerakure, ces hommes de la milice du parti au pouvoir, sont très mal payés… quand ils le sont. Il faut s’attendre à ce que les troupes burundaises cherchent à se financer en prenant, par exemple, le contrôle de carrés miniers qui ‘font’ de l’or ». Un témoignage qui confirme celui de Christian B. qui craint «plus de désordre qu’il n’y en a aujourd’hui avec ce déploiement ».
Du côté des casques bleus, le malaise est palpable. «Cette mission est-africaine est un frein pour nous. On n’ose plus intervenir. Imaginez que nos hommes se retrouvent face à des militaires kényans. Imaginez les conséquences si nous tirons sur eux. Or, on ignore où ils interviennent. Donc, on nous demande de limiter nos interventions. Ce déploiement des pays voisins n’apporte rien de positif.»
Quelle cohérence ?
Dans le Haut-Uélé, où doivent arriver des troupes du Sud Soudan, l’incompréhension est totale. « Nous ne sommes pas dans un état d’insécurité comparable aux Kivus ou à l’Ituri. Que vont venir faire ces Sud-Soudanais qui n’arrivent pas à ramener la paix chez eux ? », s’interroge Jean de Dieu, activiste écologiste dans la province.
Dans l’Ituri, les représentants de la société civile s’inquiètent de la «multiplication» des troupes ougandaises. «Des militaires ougandais sont déjà dans des missions communes avec leurs homologues congolais chez nous et au Nord-Kivu pour chasser les ADF (Ndlr : milices islamistes d’origine ougandaise qui sévissent en RDC). Demain, il y aura d’autres Ougandais à côté d’autres Congolais pour une autre mission mais avec la même finalité. C’est n’importe quoi ».
Tous les interlocuteurs insistent sur ce qu’ils qualifient de «vrais agendas » de ces troupes qui, «depuis la fin des années 1990 ont fait de la RDC un supermarché où elles viennent régulièrement se servir à peu de frais». «Externaliser la réponse à une guerre n’a jamais permis d’apporter de solution, il faut craindre que l’histoire se répète et, une fois encore, ce sera sur le dos du peuple congolais», conclut un ancien militaire congolais reconverti dans le gardiennage et originaire «du grand Est».
Avec La Libre Belgique/Afrique