La Ligue Congolaise contre la Corruption (LICOCO) alerte sur une recrudescence inquiétante de l’exploitation illégale du coltan (tantale) dans la région de Rubaya, territoire de Masisi, au Nord-Kivu.
Dans un communiqué publié mercredi 29 octobre 2025, LICOCO dénonce « une explosion de la production illicite » alimentée par des réseaux armés, des entreprises étrangères et un effondrement des mécanismes de traçabilité, pourtant censés garantir la légalité du commerce des minerais stratégiques.
Selon les estimations de LICOCO, la production illicite de tantale dans la région serait passée de 150 à près de 250 tonnes par mois. Cette hausse spectaculaire serait portée par l’arrivée d’entreprises étrangères, notamment chinoises, finançant directement la collecte et la logistique du minerai. Des circuits d’évacuation bien établis relient désormais Rubaya, Goma, Gisenyi et Kigali, facilitant le transfert du coltan hors du territoire congolais.
L’organisation parle d’une « ruée » vers les stocks stratégiques, alors que plusieurs opérateurs chercheraient à constituer des réserves avant la fin du conflit et la mise en place de règles internationales plus strictes sur les minerais critiques.
« Ces activités se déroulent au mépris de tout cadre légal, dans une région marquée par l’insécurité, l’absence d’autorité étatique et la corruption institutionnelle », s’indigne LICOCO.
Pour l’organisation, cette dérive menace directement la mise en œuvre du partenariat USA–RDC sur les minerais critiques, lancé pour favoriser la paix et le développement durable dans l’Est du pays.
Le M23, grand bénéficiaire de la contrebande
Les investigations de LICOCO révèlent un système organisé de financement du groupe rebelle M23 à travers la contrebande du tantale. Des taxes informelles, commissions et droits de passage seraient prélevés à la sortie des zones minières, en espèces ou par transferts électroniques, au profit de relais civils et militaires affiliés au mouvement armé.
Lorsque la production illicite atteignait encore 150 tonnes par mois, les revenus estimés du M23 avoisinaient 800 000 dollars. Aujourd’hui, avec 250 tonnes mensuelles, le groupe percevrait plus d’un million de dollars par mois, selon les chiffres de LICOCO. Ces fonds servent à financer l’appareil militaire du mouvement, à renforcer ses capacités logistiques et à prolonger la déstabilisation du Nord-Kivu.
Pendant ce temps, les habitants de Goma paient le prix fort : flambée des prix alimentaires, effondrement des services publics, pénuries d’eau et d’électricité, et précarité croissante pour des milliers de déplacés.
« Chaque tonne de tantale illicite exportée est une goutte de sang congolais », déplore LICOCO, fustigeant « une situation moralement intolérable et humainement inacceptable ».
Traçabilité internationale mise en cause
Au cœur du problème se trouvent les mécanismes de traçabilité internationale, notamment les systèmes BSP et ITSCI, censés certifier l’origine légale des minerais.
LICOCO affirme que des cargaisons provenant de zones sous contrôle rebelle continuent de circuler sous ces labels, preuve, selon elle, de l’échec des dispositifs de vérification.
Plus inquiétant encore, l’organisation révèle l’existence d’un marché noir d’étiquettes ITSCI, vendues environ 10 dollars l’unité, permettant de « blanchir » des minerais extraits illégalement.
Ces pratiques, facilitées par la complaisance des opérateurs de traçabilité actifs en RDC et au Rwanda, privilégieraient les revenus issus des redevances au détriment du contrôle réel de l’origine des minerais.
« Cette dérive compromet gravement les efforts internationaux pour une gouvernance responsable du secteur minier », alerte LICOCO. L’organisation réclame une révision indépendante et approfondie des systèmes de traçabilité, la publication des audits internes de BSP et ITSCI, ainsi que la suspension des licences dans les zones jugées non conformes. Elle propose également la création d’un mécanisme public de suivi, associant la société civile, les autorités locales et les partenaires internationaux.
Un partenariat stratégique fragilisé
L’appel de LICOCO intervient dans un contexte diplomatique sensible. Le partenariat USA–RDC sur les minerais critiques, initié par les présidents Donald Trump et Félix Tshisekedi, devait transformer les ressources naturelles congolaises en un levier de paix et de prospérité régionale.
Mais l’explosion du commerce illégal et le laxisme des autorités congolaises risquent d’en compromettre les objectifs.
« Chaque mois d’inaction affaiblit la position diplomatique de la RDC et met en péril la sécurité stratégique des États-Unis, dont les chaînes d’approvisionnement dépendent de ces ressources », avertit LICOCO.
L’organisation appelle Kinshasa et Washington à réaffirmer l’esprit du partenariat, en plaçant la légalité, la transparence et la justice au cœur de leur coopération minière.
LICOCO lance un appel à la conscience nationale et internationale : l’organisation plaide pour une mobilisation éthique et concertée afin de restaurer la paix, la légalité et la dignité humaine dans l’Est du pays.
« La véritable paix ne viendra que lorsque chaque gramme de tantale extrait du sol congolais servira à construire un avenir, et non à financer la destruction », conclut-elle.
Avec CHRONIK’ECO

