Sama Lukonde dépose ce vendredi le projet de budget performant en trompe-l’oeil à l’Assemblée nationale

Le Premier ministre, Jean-Michel Sama Lukonde, dépose,sauf imprévu, ce vendredi le projet de budget 2023 au bureau de l’Assemblée nationale.

Adopté en Conseil des ministres le 25 août dernier, ce projet de loi de finance se veut ambitieux. Du moins officiellement.

Mais si l’on y regarde de plus près, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser. Et l’on peut se poser la question de savoir si le gouvernement a vraiment tiré toutes les leçons de son ambition budgétaire manquée de 2023.

La RDC avait commencé l’année 2023 sur les chapeaux de roues. D’Abidjan à Washington, les institutions financières internationales – Banque africaine de développement, Fonds monétaire international et Banque mondiale – prédisaient toutes de belles perspectives économiques pour le géant d’Afrique centrale. Croissance du PIB à 8 % en 2023 et de 7,2 % en 2024, impulsée par un secteur extractif, qui devrait croître d’au moins 12 % entre 2023 et 2024. Les investissements prioritaires du programme de transformation agricole devraient stimuler encore davantage la croissance. De quoi donner des ailes à l’ambition de réaliser un budget fixé à 32.457 milliards de francs, soit 16 milliards de dollars USD bien sonnés.

Sauf qu’en cours de chemin, beaucoup de rêves se sont effondrés. La mobilisation des recettes n’a pas été au rendez-vous.

A fin juin, le total des recettes s’élevait à seulement 10.075.895,98 millions de francs, soit 4,9 milliards de dollars américains, si l’on se console avec le taux de change moyen budgétaire de 2.021 francs pour le dollar. Mais ça correspond, réellement, à 4,1 milliards de dollars américains, si l’on tient compte du taux de change réel qui, à l’époque déjà, était selon la banque centrale, de plus de 2.400 francs le dollar.

«AU-DELÀ DE LA BARRE PSYCHOLOGIQUE»

Autant dire que tout annonçait une totale réalisation budgétaire d’à peine 8 milliards de dollars, soit 50% de l’objectif.

Un tel écart aurait dû nécessiter depuis longtemps une loi de finance rectificative, mais jusqu’au bout, le gouvernement a refusé de s’y résoudre. Depuis lors, la Banque centrale est aux abonnés absents, et joue l’opacité : elle ne publie plus de condensés d’informations statistiques.

Plus personne n’est donc au courant de l’état de la mobilisation des recettes du pays.

C’est sur ces entrefaites qu’est donc intervenu le projet de budget pour l’année 2024. Entre temps, une note de conjoncture du FMI a rabaissé la croissance attendue en RDC de 8,3% attendus à 6,3%. Pendant que l’inflation donne carrément le tournis aux dirigeants du secteur économique et financier du pays : prévu à 6,8% à fin période, le taux d’inflation affichait 17,3% en cumulée de l’année, 22,8% en glissement annuel, et 27,8% en glissement annuel. Plusieurs mesures successives prises par le gouvernement ne sont pas parvenues à donner les résultats escomptés.

Economiste et ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, Noël Tshiani s’en est volontiers gaussé.

Dans un tweet, il a indiqué que dans les banques commerciales, le dollar américain s’échange contre 2.580 à 2.600 Francs congolais.

«Nous sommes de nouveau au-delà de la barre psychologique de 2.500 Francs, ce qui signifie que les récentes mesures présidentielles de stabilisation de la monnaie ont échoué. L’impact de cette dépréciation monétaire se fait sentir sur l’accélération de l’inflation, l’augmentation des prix des biens et services, et la perte correspondante du pouvoir d’achat de la population », a-t-il ajouté.

ELARGISSEMENT DE L’ASSIETTE FISCALE

Dans ces conditions, le gouvernement a fait le choix d’afficher des performances en trompe-l’œil. Le projet de budget 2024 a donc été arrêté à 40.464 milliards FC, soit, nominalement, «un accroissement de 24,7% par rapport au budget de l’exercice 2023 chiffré à 32.457 milliards FC», comme le rapporte le compte rendu de la réunion lu par le porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya sur la RTNC.

Sauf que, au taux de change actuel, qui se place au dessus de 2.500 francs pour le dollar américain, on est toujours à 16 milliards prévus pour le budget en cours et qui ne seront certainement atteints.

C’est un fait rare qu’un pays adopte son budget avec un même montant en valeur réelle sur deux années successives. Mais qu’est-ce qui prouve que le gouvernement peut mobiliser demain ce qu’il n’a pas pu aujourd’hui ?

«En vue de la mobilisation accrue des recettes, la politique fiscale préconisée pour l’exercice 2024 est essentiellement orientée vers l’élargissement de l’assiette fiscale, la fiscalisation du secteur informel, la promotion du civisme fiscal, la lutte contre la corruption et les coulages des recettes ainsi que la poursuite des réformes fiscales et douanières amorcées ces dernières années dans le but de relever la pression fiscale», explique Patrick Muyaya. Est-ce que cela suffira-t-il pour relever ce défi, surtout en cette période électorale où les dépenses liées à l’organisation du quatrième cycle électoral post-Sun City seront prioritaires ? La question demeure posée.

HUGO TAMUSA