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Stabiliser, soulager, transformer : pour une économie congolaise cohérente (Tribune de Nzuka Mapengo)

Dans une tribune au ton à la fois ferme et pédagogique, l’économiste Nzuka Mapengo défend la trajectoire économique du Gouvernement face à ses détracteurs. S’appuyant sur le triptyque « Stabiliser, Soulager, Transformer », il invite au débat mais exige qu’il se fonde sur la rigueur des faits et des principes, plutôt que sur des postures intellectuelles. L’auteur y répond point par point aux critiques, notamment sur l’appréciation du franc congolais et son impact différé sur les prix, la nouvelle politique pétrolière ou encore les importations de maïs, présentées comme un acte de « souveraineté pragmatique ». En convoquant données et comparaisons techniques, Nzuka Mapengo, mieux connu sous son pseudo de Big Master, plaide pour une lecture cohérente et séquentielle des réformes : la stabilisation monétaire comme préalable indispensable à toute transformation structurelle durable de l’économie congolaise. Un plaidoyer pour la patience et la confiance dans une période d’ajustement délicate. Tribune.

La République Démocratique du Congo traverse une phase d’ajustement économique délicate. Entre les débats techniques, les critiques publiques et les attentes sociales pressantes, une trajectoire se dessine : Stabiliser la monnaie, Soulager les conditions de vie, Transformer l’appareil productif. Ce texte expose cette logique, ses résultats intermédiaires et les ajustements à envisager.

Le débat nécessaire

La polémique persiste, donnant parfois l’impression que nous sommes tous devenus des spécialistes universels capables de disserter sur toutes les disciplines scientifiques. Du citoyen ordinaire aux professeurs les plus titrés, chacun revendique désormais le droit de se prononcer sur tout. Pourtant, même en économie, un « économiste appliqué » honnête se ferait des réserves pour contredire un « économiste puriste ».

Le constat est que beaucoup de ceux qui crient fort sur internet refusent de dépasser les limites étroites de leurs horizons intellectuels. Ils ne veulent pas voir au-delà de leur école de pensée, de leur tradition académique ; parfois, ils refusent même l’analyse comparée.

Ne pas réagir aux critiques qui inondent les espaces numériques a tout du silence pouvant être perçu comme une forme d’indifférence. Déjà reconnaissons-le : dans le cas présent, il ne s’agit ni d’attaques infondées, ni de désinformation politicienne comme ce fut le cas par le passé. Nous sommes face à un débat d’école, une confrontation intellectuelle entre conceptions différentes de la politique et de la gestion économique nationale. Nous avons des divergences entre écoles et la séquence des réformes à mener.

C’est donc avec respect, sérénité et sens du dialogue scientifique que ce papier souhaite répondre à mes collègues économistes dont les réactions s’inscrivent dans une tradition de vigilance intellectuelle honorable.

Un clin d’œil particulièrement ici à Loucas Alouma lorsqu’il déclare dans un récent papier : « …bien qu’une appellation académique, [le titre d’économiste] est pour moi un engagement de vérité, de responsabilité et d’impact social. Porter le titre d’économiste, c’est plus que maîtriser des théories ; c’est répondre à une vocation : celle de comprendre, diagnostiquer et transformer la société. ».

Si le débat est légitime, il mérite la rigueur des faits et la précision des principes. C’est à cela que cette tribune va tenter d’obéir.

L’économie comme science d’interprétation

Chers collègues, l’économie, contrairement aux sciences exactes, n’est pas une science de certitude, mais une science d’interprétation. Elle repose sur des modèles, des contextes et des choix séquentiels. Là où certains privilégient une approche structurelle — réformes de fond avant toute stabilisation —, d’autres considèrent que la stabilisation macroéconomique préalable constitue le socle indispensable à toute transformation durable.

Notre économie reste fragile, marquée par une informalité massive et une dépendance extérieure structurelle. Dans ce contexte, stabiliser la monnaie, restaurer la discipline budgétaire et maîtriser l’inflation ne sont pas des succès cosmétiques, mais des conditions de possibilité pour le redressement productif. Chercher à stabiliser par les moyens dont nous disposons n’est pas « un refus persistant de reconnaître que notre économie est en crise structurelle, loin des rails du développement durable » comme le dit Loucas Alouma. Mais refuser de poser un premier pas pour la refondation serait plutôt un déni de reconnaissance des possibilités existantes.

Une appréciation, pas une illusion monétaire

Depuis août 2025, le franc congolais s’est apprécié face au dollar américain. Cette évolution n’est pas le fruit d’un hasard monétaire. Selon le Gouverneur de la Banque Centrale du Congo (BCC), elle découle d’une gestion rigoureuse de la liquidité de son institution et d’une amélioration des anticipations du marché. Pour paraphraser le communiqué de la BCC, cette embellie du CDF serait le fruit d’un ensemble de mesures : une intervention directe sur le marché des changes le 18 août 2025 avec la cession de 50 millions de dollars ; une actualisation du taux de change appliquée au stock de la réserve obligatoire sur les dépôts en USD cristallisée en monnaie nationale depuis 2021 ; une meilleure organisation du marché de change ; et une amélioration globale de la gestion de la liquidité bancaire.

Oui, cela peut appeler des critiques, notamment sur la nécessité d’actions complémentaires en matière de politique budgétaire, de production, d’exportations, bref, sur la balance commerciale du pays. Mais cela ne retire rien au fait qu’il s’agit bien d’une appréciation du CDF.

On peut certes s’interroger sur les conséquences d’une éventuelle évaluation négative de la première étape d’actualisation de la réserve obligatoire cristallisée. En effet, la Banque Centrale devra, sans complaisance, évaluer les effets de la première mesure avant la poursuite des actions correctrices.  En d’autres termes, elle devra juger elle-même de l’opportunité de poursuivre ou non cette politique lancée.

Mais cela relève d’une vision de l’autorité monétaire et mérite discussion en salle, pas des attaques en place publique. Nous devons reconnaître l’indépendance de l’autorité monétaire avant toute critique, même constructive.

Taux de change et prix : un lien différé

Une autre critique porte sur l’absence de baisse des prix à hauteur des 17 % d’appréciation du CDF. Cette critique suppose que l’ajustement aurait dû se répercuter intégralement dans les prix. Or, comme l’a rappelé Mukubwa Jean Amisi dans notre Forum des économistes, « la transmission du taux de change aux prix intérieurs est toujours partielle et différée. Dans une économie où les coûts locaux — transport, fiscalité, stockage — pèsent lourd, la répercussion complète du taux de change sur les prix ne peut être immédiate (Dornbusch, 1976). Il n’y a pas de la mécanique en économie, encore moins d’intrication quantique. Les liens économiques reposent sur des chaînes causales et informationnelles classiques, souvent retardées, incomplètes ou biaisées ».

Dilemme du cycliste

Vous avez raison d’évoquer le cri d’alarme de la population sur les effets concrets de l’appréciation du CDF face au dollar. Et vous avez raison, cher Loucas, quand vous affirmez que « la monnaie n’est qu’un instrument, un reflet des forces productives en action ». Mais dire que le ministre de l’économie nationale qu’il s’est enfermé dans une approche quasi exclusivement monétaire n’est pas exact. À chacune de ses interventions, il rappelle son respect pour l’indépendance de l’autorité monétaire et se concentre sur les dimensions structurelles : redressement des zones économiques, soutien aux créateurs des richesses que sont les opérateurs économiques et aux PME, formalisation du secteur informel, régulation des prix de base.

Il est aussi vrai que la population ne voit pas nettement les effets de la variation du taux de change (CDF/USD) dans le panier de la ménagère. Mais il est faux de croire que cela n’a eu aucun effet. Partant des observations de l’outil de monitoring du Ministère de l’Economie Nationale, TALO, on a observé, partant de l’analyse comparée des prix relevés sur le marché de Kinshasa entre mi-septembre et mi-octobre 2025 qu’il y a eu bien des répercussions. Répercussions inégale certes, mais répercussion toutefois au regard de la variation des prix de 40 types de biens de grande consommation.

On peut lire dans la publication de TALO du 16 octobre 2025 que l’appréciation du CDF par rapport au dollars américain, a été de 21%, le taux étant passé de 2800 à 2200 CDF, la baisse moyenne observée pour les 40 produits tourne autour de 13%. « Les produits importés ou dépendants des circuits internationaux, tels que les poissons congelés, le riz, les produits laitiers, les huiles raffinées ou encore les viandes et volailles ont enregistré les baisses les plus marquées souvent supérieurs ou égales à l’appréciation du franc congolais, confirmant leur sensibilité directe au taux de change. A l’inverse, les produits à forte composante locale ou à petit conditionnement (pain, condiments, boissons, produits ménagers) affichent des variations faibles voire nulles.  Traduisant une inertie liée aux coûts internes et à la structure des marges de distribution. »

(La synthèse comparative ci-après résume les variations des prix au regard de l’appréciation du CDF. Le rapport de TALO du 16 octobre ainsi que les données détaillées sont disponibles dans le site www.économie.gouv.cd )

Les actions menées par le ministère de l’économie nationale visent à accompagner celles de la BCC pour tendre vers un franc congolais stable. Reconnaissons-le, une monnaie forte n’est pas une fin en soi à rechercher pour notre économie extravertie. Nous avons besoin d’une monnaie stable, d’un socle de confiance pour les entreprises et les ménages qui leur permette une prévisibilité acceptable. Sans stabilité nominale, aucun investissement ne peut être planifié. Acceptons-le donc, et faisons confiance à l’autorité monétaire et au gouvernement quand ils recherchent tous le point de stabilisation de notre monnaie. C’est pourquoi politiques monétaire et budgétaire doivent avancer ensemble. Le cycliste ne peut valablement faire avancer son vélo sans appuyer sur les deux pédales.

Carburants : amortir les chocs, protéger le pouvoir d’achat

La baisse des prix des produits pétroliers n’est pas un effet d’annonce, mais le résultat d’un ajustement cohérent : appréciation du CDF, détente des cours mondiaux donnant possibilité d’augmenter les quantités importées et concertation avec les opérateurs.
La production abondante du pétrole dans le monde a notamment contribué à l’accroissement des volumes structures pour le pays. Le courage politique qui s’imposait alors a été celui d’identifier cette tendance et de la transformer par la mise en place de la nouvelle structure des prix des produits pétroliers. Ce qui a été fait.

Avec des tournures acerbes telle, « la gestion du secteur pétrolier n’est pas sans cohérence économique » on accuse le ministère de l’économie nationale. Mais, il faut savoir qu’en République Démocratique du Congo, certains prix sont administrés, notamment celui des produits pétroliers. Notre pays n’est pas le seul dans le monde à le faire. Les Etats le font pour mieux gérer « le social ». Mais, cette administration des prix avait conduit à des pratiques malsaines. C’est à cet exercice de correction et d’alignement à la cohérence économique que s’est livré le ministre de l’économie nationale quand, dans un premier temps, il a nettoyé la structure des charges inopportunes permettant ainsi la baisse des prix de l’année dernière, et encore actuellement lorsque par la gestion heureuse des volumes importants et de la prise en compte du confort qu’offre l’actuel taux de change du CDF, il a pu publier la nouvelle structure des prix des produits pétroliers.

Cette nouvelle structure a la particularité qu’elle offre désormais au Gouvernement, à volume pratiquement stable, plus des ressources fiscales et parafiscales. Cela montre certes l’étendue de la fraude qui existait dans le secteur des hydrocarbures, mais a permis à l’Etat de réaliser des accroissements des recettes, entre juillet et août, successivement de 1506% pour la fiscalité, et 64% pour le FONER (voir le tableau suivant). Depuis, le niveau des ressources n’a cessé de croître comme en témoigne la clôture septembre.

De l’autre côté, la dette due par l’Etat aux pétroliers s’est vue baisser de 287 millions USD à 31 millions seulement.

Quel mal y a-t-il  à ce que le Gouvernement puisse syndiquer les banquiers pour l’aider à payer la dette due aux pétroliers pour leur permettre d’être plus à même d’importer, et au gouvernement lui-même de se permettre de faire des investissements dans la logistique pétrolière ?

Bien mieux, à la critique portée sur le montant de USD 287 millions, on y ajoute, « ici 2024, avec son manque à gagner de 287 millions de dollars américains-comme base de comparaison pour en déduire une tendance, c’est adopter une posture réductrice, voire manipulatrice… A ce sujet, tenant compte de la seule année 2023, avec son manque à gagner de plus de 400 millions de dollars américains, ceci montre bien que le niveau de consommation généré était plus important que la période suivante ».  

Cette assertion n’est pas correcte. La corrélation n’est pas stricte entre les manques à gagner et les quantités consommées. D’autres paramètres peuvent entrer en jeu pour déterminer les manques à gagner, notamment le taux de change.

Il est ici important de noter que l’Etat, qui depuis belle lurette se délestait de ses ressources du fait de la prise en prise en charge de la fiscalité pétrolière, a non seulement pu engranger des ressources additionnelles pour lui mais aussi pour la parafiscalité. Le graphique ci-après le traduit bien. La fiscalité totale qui ne cessait de baisser depuis 2016 affiche une tendance haussière depuis les reformes d’octobre 2024.

Ces données disponibles dans le système douanier SYDONIA ne peuvent être ignorées par ceux qui ont écrit car tous deux sont éminents douaniers.

Le mécanisme de remboursement mis en place ne creuse pas la dette publique. Il vise à lisser les chocs de remboursement. Ce modèle, permet d’atteindre et concilier les obligations de l’Etat, à savoir garantir les approvisionnements et assurer un prix acceptable à la pompe protection sociale.

Le recours aux banques pour le règlement de cette dette vise à permettre aux importateurs de reprendre les approvisionnements et à l’État d’investir dans la logistique pétrolière.

La nouvelle politique pétrolière s’inscrit dans la logique d’une structure de coûts nettoyée des charges fictives, une gestion opportune des volumes importés, l’utilisation de la force du taux de change, une concertation constructive avec la profession.

Sécurité alimentaire : souveraineté pragmatique

Sur la question du maïs, certains ont parlé d’un « succès importé ». En réalité, c’est un succès coordonné. La reprise des exportations zambiennes vers la RDC est le fruit d’une diplomatie économique régionale efficace. Une équipe mise en place par le ministre de l’économie nationale a travaillé avec des importateurs congolais à Lubumbashi, bénéficiant d’accords d’approvisionnement depuis l’Afrique australe.

Parallèlement, le ministre a soutenu la campagne de production nationale dans l’espace Kasaï, finançant la campagne 2024 et facilitant la relance de la production céréalière : semences améliorées, mécanisation, achats garantis. Importer temporairement pour éviter la pénurie n’est pas une faiblesse : c’est une démonstration de souveraineté pragmatique consistant à nourrir sa population d’abord, produire davantage ensuite.

Importer n’est pas une faiblesse, c’est un amortisseur. La souveraineté, c’est être capable de nourrir sa population en toute circonstance, tout en renforçant ses capacités productives.

Une trajectoire cohérente

L’économie congolaise demeure confrontée à des défis majeurs, mais elle avance avec méthode pour atteindre: une monnaie stabilisée, une inflation ralentie, des finances publiques assainies, une production relancée.

Le cap est clair : stabiliser d’abord, soulager ensuite, transformer durablement. Cela n’est pas un slogan politique, mais une ligne économique rationnelle. Même en médecine humaine, avant de poser le plâtre sur un membre fracturé, on en fait d’abord de manière douce ou violente « la réduction », c’est-à-dire on remet d’abord les fragments osseux dans leur position anatomique normale. C’est cela les stades de stabilisation et de soulagement. Sans réduction, l’amputation du membre est quasi assurée dans le futur.

La transformation structurelle ne se décrète pas ; elle se construit, pas à pas, sur les fondations d’une stabilité retrouvée. Pour arriver à cette transformation structurelle, au stade où nous en sommes aujourd’hui, et pour éviter la sécheresse des liquidités en CDF, il est question pour le gouvernement et la banque centrale de lancer des actions, notamment :

  • S’assurer par les missions de contrôle des prix que les opérateurs économiques appliquent la décote sur leurs prix en francs congolais, comparativement à leurs prix avant l’appréciation du CDF. S’assurer que ces derniers ne s’approprient pas une rente de change indue ;
  • Obtenir des grands commençants le reversement des recettes auprès des banques commerciales ;
  • La libérer de la paie des fonctionnaires ;
  • Approvisionner suffisamment les banques commerciales en liquidés en CDF.
  • Assurer un contrôle strict des rapatriements des devises par les exportateurs ;

Par-delà tout, le Gouvernement devra revoir son cadrage macro-économique, aussi bien celui de la clôture 2025 que celui qui sous-tend le budget 2026, cela pour une bonne prévisibilité de ses plans de trésorerie.

Le débat scientifique doit se poursuivre, mais dans la vérité des faits et la rigueur des principes. Car au-delà des écoles et des sensibilités, une seule exigence nous unit : celle de donner à l’économie congolaise la cohérence qu’elle mérite et la résilience qu’elle exige.

« Le pays ne saurait se résoudre à devenir un laboratoire où toutes les expérimentations hasardeuses seraient menées à grande échelle. Il y a un coût social, à tout le moins, à prendre en compte », me disait un jour un autre de nos frères économistes, mais aussi douanier, M. William Malengo.

Portons donc les habits de notre sacerdoce d’économiste, tout en restant dans la droite ligne de Cheik Anta Diop, c-à-d, celle de la vérité. Une vraie vérité, pas celle partisane ou intéressée.  « Je suis déformé par l’exercice de la vérité » disait cette éminence grise.

NZUKA MAPENGO

Economiste spécialisé en Politique commerciale internationale, en gouvernance fiscale et douanière, expert en Stratégie de sécurité et de défense.

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