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Trois scénarios pour une sortie de crise en RDC (Tribune du Prof Hon. Lucain Kasongo Mwadiavita)

Entre trois scénarios de dialogue, un consensus global et inclusif à déboucher sur des dialogues sous régionaux… Dans cette tribune, le prof honorable Lucain Kasongo Mwadiavita trace la voie à suivre pour «la quête d’une paix et véritablement pérenne en République Démocratique du Congo (RDC)». 

Trois moments politiques et diplomatiques majeurs viennent de rythmer les efforts de pacification de la République Démocratique du Congo après des mois du seul dialogue des armes.

D’abord le rendez-vous manqué de Luanda où devaient être lancées les négociations politiques directes entre le Gouvernement de Kinshasa et les rebelles de l’AFC-M23. N’ayant pas accepté les sanctions imposées par l’Union européenne à certains de leurs cadres, sanctions qu’ils ont jugé de nature à compromettre ces négociations en donnant, selon eux, avantage à l’un des protagonistes, les insurgés ont donc décliné le déplacement de la capitale angolaise. Exigeant la levée de ces sanctions, le mouvement rebelle n’a donné aucune autre indication quant à la possibilité, pour ses cadres, de rejoindre la table des négociations.

Ensuite la rencontre surprise de Doha entre les Présidents Tshisekedi et Kagame dont les positions sur la formule la plus indiquée pour entamer les pourparlers de paix sont diamétralement opposées : le premier exigeait, jusqu’à cette réunion au Qatar, de dialoguer directement avec son homologue Rwandais qui, lui, voyait avant tout un dialogue du premier avec les rebelles.

Enfin, l’annonce, par le bureau du Conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité, du lancement, à partir de ce lundi, des consultations en vue de la formation du Gouvernement d’union nationale que le chef de l’Etat avait évoqué devant une représentation de l’Union sacrée de la Nation, sa plateforme politique.

Autre point non négligeable à épingler, tout de même, l’expression des bons sentiments entre Kinshasa et le bastion rebelle de Goma au sujet du contrôle de la cité de Walikale centre. Le désengagement du M23, qui en avait pris le contrôle mercredi dernier, et la prise d’acte du commandement des FARDC donnent des indications de bonnes dispositions de part et d’autre, à donner la chance à la voie concertée pour la paix.

De ces faits majeurs peut se dégager un autre fait central, à savoir l’émergence, enfin, d’un contexte et d’une volonté de dialogue politique congolais direct et de négociations diplomatiques bilatérales entre Kinshasa et Kigali. Bref, la logique d’une solution négociée par le dialogue prend désormais le dessus. Même le président honoraire Joseph Kabila, qui avait choisi de se retirer carrément du jeu politique, est revenu dans l’arène et parle désormais en formulant des propositions basées sur sa lecture à lui de la situation.

Sur le plan interne à la République Démocratique du Congo, cette disposition marque une avancée majeure qui rencontre la volonté déjà exprimée par tous -le pouvoir, l’opposition non armée et la rébellion, ainsi que la société civile- de trouver des voies pacifiques pour régler durablement le conflit qui n’a que trop duré. Toute la question est à présent de connaître la formule ou le format le plus approprié qui puisse conduire à cette paix véritablement durable, basée sur des solutions réellement pérennes, exemptes de calculs de factions pour sublimer la cause nationale.

Même si le Président de la République, Félix Tshisekedi, semble avoir choisi ses propres issues à la crise, en optant d’un côté pour des initiatives solitaires caractérisées par la rencontre inattendue de Doha et, de l’autre, l’ouverture des consultations politiques via son Conseiller spécial en matière de sécurité, il ne saurait en être autrement lorsque la Communauté internationale pousse fort avec ses appels au dialogue et que les évêques de la CENCO et de l’ECC mouillent soutane et col pastoral pour faire aboutir le schéma d’un pacte social pour la paix en République Démocratique du Congo et dans les Grands Lacs, dont le point d’orgue est un dialogue politique inclusif et global en République Démocratique du Congo. De passage récemment à Paris et Bruxelles, les évêques ont reçu un appui clair du Président Macron et de Maxime Prevot.

TROIS SCENARIOS POUR  UNE PAIX

Comment donc concilier les vues pour parvenir à cette paix négociée lorsqu’il s’observe une confrontation entre trois scénarios?

1. Schéma attrape-mouches de Tshisekedi : Une recette à la Mobutu sans ancrage sur les problèmes à résoudre,

D’une part, en effet, le Président Tshisekedi a sa formule particulière de cohésion nationale qu’il voudrait faire passer par un Gouvernement d’union nationale issu des consultations initiées par lui-même à travers son Conseiller spéciale en matière de sécurité qui débute officiellement ce 24 mars.

Conçue et perçue par le régime en place comme une piste de sortie de crise, cette voie a cette spécificité que le format des échanges et la catégorie des participants sont définis par un seul camp, celui de Tshisekedi, alors que les autres tendances politiques et l’opposition armée estiment que c’est lui le problème, sinon une partie du problème. Il s’agit-là d’une formule attrape-mouches au moyen de l’appât des postes ministériels sans tenir compte des points de frictions à décanter.

Dans ces conditions, les chances de succès de ces consultations paraissent très minces en termes de projection sur la paix escomptée. La lecture de ce format suggère, en effet, que le pouvoir pourrait y aller avec des opposants à sa solde et quelques personnalités à embarquer même contre leur gré après leur avoir collé un faux dossier sur des fausses accusations d’accointances avec l’Afc-M23. C’est, en tout cas, ainsi qu’une partie de l’opinion essaie d’expliquer les convocations adressées aux hauts cadres du PPRD dont Aubin Minaku, de nouveau attendu ce lundi 24 mars à l’Auditorat militaire. La même opinion se demande comment peut-on prendre l’engagement de parler directement avec les insurgés et même temps continuer d’interpeller certaines personnalités politiques pour des présumés liens avec les mêmes rebelles.

La faiblesse d’un tel schéma par rapport à la recherche d’une paix globale et partagée par tous tient du fait, avant tout, que ce n’est pas une nouveauté. Déjà à son époque, le maréchal Mobutu en usait très souvent lorsqu’il s’agissait de desserrer l’étau de la pression politique et d’affaiblir l’opposition, mais sans toucher au problème qui restait, dès lors, entier.

Joseph Kabila en usa également, et le dernier cas en date fut le double dialogue de l’Union africaine et du Centre Interdiocésain, et qui déboucha sur un Gouvernement dit d’union nationale sans réussir à briser le noyau dur de l’opposition tshisekediste et katumbiste.

Bref, l’on court, avec cette demi-mesure, au-devant du simple débauchage qui passera à côté des problèmes, et ceux-ci ne feront que s’embusquer pour redémarrer plus tard. Et la paix ne sera que postposée au profit de la poursuite des tares que l’on connaît de ce genre de «paix».

Autre fragilité de cette recette, le fait que contrairement à Mobutu et Joseph Kabila, Tshisekedi doit faire avec une opposition armée qui, de surcroît, favoriserait des agendas étrangers indépendants de leurs revendications politiques internes par l’internationalisation d’une crise interne comme l’a récemment expliqué dans les médias le professeur Aubin Minaku. Félix Tshisekedi aura peut-être réussi à embarquer quelques forces politiques de la place kinoise, mais ne réussira pas à ramener les territoires occupés dans le giron du pouvoir de Kinshasa. Et la dernière déclaration du chef de l’armée ougandaise de retour de Kigali doit être suivie de près. L’on se retrouve donc, avec cette formule, dans le cas de figure des années de rébellion AFDL avec les tentatives de Mobutu, du reste vaines, de stopper l’avancée des rebelles en nommant tour à tour, en avril 1997, Etienne Tshisekedi puis le Général Norbert Likulia. Simplement parce que ces nominations ne correspondaient pas au problème qui justifiait la percée rebelle.

Tout au plus, l’on pense que Félix Tshisekedi tente, par ces consultations, de réduire les fronts politiques en éliminant les plus faibles pour pouvoir, le moment venu, se concentrer sur le «plat consistant» en ayant renforcé ses rangs.

2. Des ouvertures pour caser quelques leaders, toujours sans toucher au fond,

Autre format, la messe convoquée par le Président Félix Tshisekedi pourrait s’apparenter ou produire les mêmes résultats que les concertations nationales initiées sous Joseph Kabila avec l’entrée, dans le gouvernement Matata Ponyo, de certaines figures de l’opposition de l’époque.

Mais la potion s’était également avérée inefficace et passagère, la majorité d’alors ayant été contrainte de composer par la suite avec d’autres vagues issues de l’opposition. Samy Badibanga a ainsi dirigé le gouvernement issu du dialogue de la Cité de l’OUA, puis Bruno Tshibala celui du dialogue de la CENCO.

Tshibala a, certes, conduit le pays aux élections sanctionnées par la première alternance au sommet du pays. Mais le parcours laborieux a fait perdre au pays le temps et l’argent, car la situation actuelle, de l’avis de certains analystes, est la conséquence d’une paix mal négociée au double dialogue de l’UA et du Centre Interdiocésain.

3. Dialogue global et inclusif : traiter les problèmes plutôt que gérer les ambitions et les revendications d’activistes,

Le troisième scénario, qui passe pour le plus raisonnable et le plus efficace, serait celui d’un dialogue global et inclusif tel que prôné par les chefs religieux et soutenu aussi bien par la Communauté internationale que par la société civile et les oppositions armée et non armées ; même par le chef de l’Etat lui-même qui, malgré le front de refus des faucons de son régime, avait reçu la délégation CENCO-ECC qu’il attend pour une évaluation après leur tour de table.

Ces pourparlers auraient l’avantage, sur les deux premiers, de mettre autour d’une même table le pouvoir, les différentes branches de l’opposition -institutionnelle, non institutionnelle et armée- ainsi que la société civile afin de vider tous les points de désaccord et les revendications de chacun.

Un exercice qui passerait aussi par un audit de la gouvernance de l’Union sacrée, présentement tentée de prendre le raccourci avec ses consultations exclusives.

DEBOUCHER SUR DES DIALOGUES EN BILATERALES POUR LA PAIX DANS LES GRANDS LACS

Ce n’est qu’à l’issue d’un tel dialogue, sanctionné par un accord politique et consacrant le retour à l’ordre républicain issu de Sun City, que le pays réconcilié aborderait la deuxième étape du pacte pour la paix dans son volet Grands Lacs. Cette fois-là, on organiserait un bilatéral avec le Rwanda, un autre avec l’Ouganda et un autre encore avec le Burundi avant un quadrilatéral réunissant Kinshasa, Gitega, Kampala et Kigali sous l’égide de la Communauté internationale.

En clair, la vraie paix qui puisse être durable est celle qui intègrerait les deux volets dans un tout articulé sur un processus harmonieux. Procéder par cloisonnement ou par dissociation des différentes phases déboucherait sur une paix hybride faisant que les uns ne se sentent pas concernés par l’un des volets.

Fait à Kinshasa, le 23 mars 2025

Prof Hon. Lucain Kasongo Mwadiavita

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