Vague d’invalidations aux législatives : après la «République des inconscients », voici la «République des tricheurs »

En son temps, Modeste Mutinga, alors sénateur, avait lancé publiquement son cri de révolte par un ouvrage au titre interpellateur « RDC, la République des inconscients ». Avec les ratés des élections générales du 20 décembre 2023 et la vague d’invalidations qui s’en suit, Denis Kadima, président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), nous amène enfin à la « République des tricheurs ». En invalidant 82 candidats aux législatives nationales et provinciales ainsi qu’aux provinciales, Denis Kadima a poussé le bouchon trop loin en prenant tout le monde de court. Sur la radio Top Congo FM, il s’en explique : « C’est l’état des dégâts de la fraude organisée qui nous a obligé à prendre des mesures… Il y aura peut-être d’autres (invalidés), nous continuons d’étudier les cas qui nous sont rapportés ». On est donc parti pour le grand déballage qui nous plonge dans cette « République des tricheurs » qui se dresse sur le chemin du Président réélu Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Trois ministres, quatre gouverneurs, six sénateurs – tous en fonction – 12 candidats de la liste du parti présidentiel, l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social). C’est la moisson de la liste des invalidés de Denis Kadima, président de la CENI, aux élections générales du 20 décembre 2023. C’est la grande surprise de l’année que la CENI a réservée aux Congolais.

En effet, personne ne s’imaginait que la CENI pouvait prendre un tel virage. Contre toute attente, Denis Kadima l’a fait en débarquant des scrutins du 20 décembre 2023 quelques poids lourds de la politique congolaise.

Sa première liste – parce qu’il en promet d’autres – a eu l’effet d’un tsunami. On y retrouve Gentiny Ngobila, gouverneur de la ville de Kinshasa et autorité morale de l’ACP, Evariste Boshab, ancien kabiliste et notable du Kasaï Central ainsi que son épouse, Sam Bokolombe, professeur de droit de son état, élu de Basankusu. Trois ministres du Gouvernement central sont aussi passés dans la trappe, en l’occurrence Antoinette Kipulu (Formation professionnelle), Didier Mazenga (Tourisme) et Nana Manuanina (Près le Président de la République).

Denis Kadima avait promis de frapper fort, mais très peu d’observateurs se doutaient que sa commission allait toucher des personnalités au cœur du pouvoir, dont 12 de la redoutable UDPS.

«Sans regarder les positions des uns et des autres, la CENI a réservé un traitement équitable à tous les candidats en annulant les votes de 82 d’entre eux », note l’ACP, estimant qu’ «il a suffi d’avoir été impliqué dans des actes de fraudes, de bourrage des urnes, d’incitation à la violence contre les agents de la Céni et de destruction du matériel électoral pour subir la rigueur de la CENI ».

Quatre gouverneurs de province qui se passent pour des roitelets dans leurs entités respectives n’ont pas non plus été épargnés. Sur la liste des gouverneurs en fonction, visés par la CENI,  il y a les gouverneurs Gentiny Ngobila (Kinshasa), Bobo Boloko (Equateur), Pancras Boongo (Tshuapa) et César Limbaya (Mongala).

Le très braillard, prof Kin-Kiey Mulumba, géniteur de «Kabila Désir », actuel président du Conseil d’administration de la RVA, est également compté parmi les sinistrés de la CENI qui l’a invalidé dans sa circonscription de Masi-Manimba où les législatives ont été carrément annulées. Tout comme, le «Congolais de père et de mère », le député national Nsingi Pululu, porteur de la loi Tshiani à l’Assemblée nationale, qui n’a pas résisté à la vague.

Un membre du bureau Mboso à l’Assemblée nationale est aussi passé à la trappe. Il s’agit de Colette Tshomba, rapporteur adjoint à l’Assemblée nationale sortante, invalidée dans sa circonscription de Kinshasa-Funa.

La «République des tricheurs»

Par cette décision inédite, la CENI nous replonge dans la «République des tricheurs». C’est la revue corrigée de la «République des inconscients» qu’avait présentée en son temps Modeste Mutinga.

Par cette vague d’invalidations, Denis Kadima présente à l’opinion publique l’autre face de la République Démocratique du Congo, une «République des tricheurs », une pratique qui a fini par atteindre l’élite qui n’hésite pas à recourir à la fraude et à la corruption pour accéder à une fonction politique. C’est le monde à l’envers.

Que reste-t-il de dignité à un pays lorsqu’un professeur d’université se rend coupable de fraude et de corruption ? Que vaut donc la République lorsqu’un autre professeur, constitutionnaliste de son état, embarque également son épouse dans une vaste campagne de fraude électorale ?

 

 

La CENI n’est pas innocente

Quoi qu’il en soit, la CENI ne peut se dédouaner de ses propres turpitudes. Des observateurs attendent que la CENI frappe courageusement les brebis galeuses qui se retrouvent dans ses propres rangs. Les machines à voter et les bulletins de vote ne pouvaient pas se retrouver entre les mains des privés sans complicité du personnel de la CENI.

Dans une tribune, largement partagée sur toile, le criminologue Robert Kabemba, s’interroge : «Les responsables de la CENI ne sont-ils pas les premiers suspects de la fraude électorale » : Comment les machines et les bulletins de vote se sont-ils retrouvés entre les mains des  candidats de l’Union Sacrée alors qu’ils étaient censés être protégés par la CENI ? Comment expliquer que bon nombre de gens invalidés, auteurs de ce crime, sont-ils des ministres, des gouverneurs et des députés nationaux, membres de l’Union Sacrée? La CENI peut-elle dire aux Congolais combien de machines étaient-elles envoyées dans des bureaux de vote et  fournir leurs numéros de séries après livraison par la maison d’achat ou les livreurs. Les invalidés étant des criminels ne doivent-ils pas être entendus,  mis  aux arrêts pour un éventuel  procès ? Comment expliquer que certains candidats de l’Union Sacrée étaient en possession des PV et les autres non ? Ne serait-il pas prudent pour la CENI de suspendre toutes les opérations de publication car cette fraude électorale affecte la fiabilité de ce scrutin à tous les niveaux présidentiel, national, provincial et municipal ? Toutes ces questions sont importantes dans le cadre des investigations criminelles.

Et de conclure : «Pour cette raison, nous insistons qu’aucun homme sérieux ne peut croire à  la viabilité  des élections de la CENI de Kadima. Quiconque croit à ce scrutin serait immoral et n’a pas sa place dans une société sérieuse. Les preuves d’irrégularités en circulation et reléguées par plusieurs médias nationaux et internationaux sont d’une grande ampleur qui ternit l’image de la RDC. D’où il est impératif d’annuler ces élections car même ceux qui prétendent être élus doivent avoir pitié d’eux-mêmes et honte. Personne ne croira à la légitimité de tous ceux  qui seront nommés par la CENI de Kadima. Ils seront mal à l’aise et seront considérés comme produits d’une fraude électorale. Et surtout que la CENI est incapable de dire aux Congolais combien de machines de vote étaient déployées les jours de vote et combien de bureaux recensés par la CENI étaient opérationnels? Si le nombre des machines et des bureaux ne sont pas connus, d’où  proviennent  alors les chiffres que la CENI publie? Pour cette raison, nous insistons que la responsabilité du chaos électoral tant décriée revient à CENI de Kadima qui a préféré passer au forcing au lieu d’ajourner ce scrutin chaotique. Ce que  nous demandons, c’est  à ce que les responsables de la CENI qui ont lapidé les milliards de dollars US des contribuables congolais soient arrêtés car un crime a été commis contre la nation et le peuple congolais ».

C’est dire que la «République des tricheurs », mise à jour par Denis Kadima, est encore loin de nous livrer ses secrets…

Hugo Tamusa