Les tensions sont vives entre Bamako et Abidjan. La Côte d’Ivoire réclame la libération «sans délai» de ses 49 soldats interpellés dimanche à Bamako. Le pouvoir malien les a qualifiés de «mercenaires».
Le Mali et la Côte d’Ivoire sont à couteaux tirés.
Si les relations entre les deux pays ne sont pas au beau fixe, depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire au Mali, elles se sont totalement dégradées avec l’incident du 10 juillet 2022. Ce jour-là, 49 éléments des forces spéciales ivoiriennes, venus pour relever un détachement chargé d’appuyer le contingent allemand de la Mission onusienne de maintien de la paix au Mali (Minusma), ont été arrêtés à l’aéroport international de Bamako.
Motif invoqué par les autorités maliennes pour justifier cette arrestation, les soldats concernés sont des mercenaires. Elles disent ignorer tout de leur présence sur leur territoire. Des mercenaires à la solde de qui et à quelle fin ? La réponse à cette question donne lieu à toutes les spéculations, même si au palais de Koulouba, le colonel Assimi Goïta et ses hommes y voient une volonté du président, Alassane Ouattara, de déstabiliser leur régime. En réaction, le gouvernement ivoirien a indiqué avoir préparé l’arrivée du contingent incriminé dans les règles de l’art.
Un règlement à l’amiable est-il encore possible?
Mardi soir, les autorités ivoiriennes se sont enfin exprimées officiellement sur le cas des 49 militaires ivoiriens arrêtés le 10 juillet à leur arrivée à l’aéroport de Bamako, accusés par les autorités maliennes d’être des mercenaires. Abidjan a livré sa version qui correspond à celle des Nations unies, même si une certaine dose de flou demeure.
Abidjan le dit clairement : les 49 hommes sont des militaires de l’armée régulière ivoirienne. Ils sont arrivés au Mali «dans le cadre des opérations des Éléments nationaux de soutien» en vertu d’une convention signée en juillet 2019, il y a trois ans, entre la Côte d’Ivoire et l’organisation des Nations unies.
Une version qui corrobore celle des Nations unies qui, par la voix de plusieurs responsables différents, avaient déjà précisé que ces 49 hommes ne faisaient pas partie du contingent ivoirien de casques bleus – ils ne sont pas membres de la Minusma – mais qu’ils relevaient bien de ce mécanisme NSE, en vertu duquel un pays contributeur de troupes peut apporter un soutien complémentaire à un contingent déployé au sein de la Mission.
On notera quand même la déclaration hésitante d’un porte-parole des Nations unies à New York qui, s’il n’a pas démenti l’appartenance des 49 soldats ivoiriens à ce dispositif NSE, fréquent dans les opérations de maintien de la paix, n’a pas été en mesure de préciser ni leur rôle exact ni leur lien contractuel avec la société privée SAS, elle-même sous-traitante de la Minusma.
Un très haut responsable des Nations unies, à New York, a quant à lui affirmé à RFI, sous couvert d’anonymat, que les soldats ivoiriens n’étaient pas NSE. Des déclarations contradictoires et confuses qui, vu le contexte, renforcent le doute. Abidjan demande en tout cas à Bamako de libérer «sans délai» les militaires ivoiriens « injustement arrêtés».
Des mercenaires pour Bamako
Une libération à laquelle la Côte d’Ivoire veut encore y croire : au communiqué très musclé de Bamako, Abidjan répond en proposant de «maintenir le climat de paix et de fraternité qui a toujours prévalu » entre les deux pays. La balle est donc dans le camp des autorités maliennes. Mais ce qu’Abidjan vient de dire officiellement n’a en fait rien de nouveau pour Bamako.
S’il reste incontestablement des dysfonctionnements à identifier et des questionnements à lever, puisque les deux versions officielles se contredisent catégoriquement – sur les ordres de mission ou les formalités accomplies en amont de l’arrivée des 49 soldats – il faut rappeler que les autorités ivoiriennes et maliennes sont en contact depuis dimanche. Depuis dimanche, Abidjan martèle que les 49 hommes sont des soldats réguliers venus soutenir la Minusma. Et cela n’a pas empêché Bamako de répondre, en substance : «Non, pour nous, ce sont des mercenaires», et d’annoncer qu’ils seraient traduits en justice. Bamako a déjà pris le parti de la défiance, voire de l’hostilité vis-à-vis de son voisin ivoirien. Choisir l’apaisement, ce serait donc faire machine arrière. L’emploi du terme «mercenaire» n’est par ailleurs pas anodin : c’est justement celui que Bamako récuse au sujet des supplétifs russes de l’armée malienne, régulièrement désignés comme des «mercenaires du groupe Wagner» alors que Bamako les présente toujours comme de simples instructeurs qui viennent dans le cadre d’une coopération avec l’État russe. Il y a donc clairement un message politique dans cette affaire, qui n’est pas adressé seulement à Abidjan.
On peut aussi rappeler que la Côte d’Ivoire est l’un des pays qui, au sein de la Cédéao, a toujours défendu une ligne dure face aux militaires putschistes de Bamako, notamment sur la question des sanctions, qui ont finalement été levées le 3 juillet, et les relations entre les deux pays sont considérablement dégradées. Abidjan accueille d’ailleurs des personnalités recherchées par la justice malienne – Karim Keïta, fils de l’ancien président IBK – ainsi que des opposants politiques en exil. On notera enfin le silence, pour le moment, de la Cédéao. Qui a sans aucun doute un rôle à jouer pour que cette crise ivoiro-malienne ne s’envenime pas davantage.
Econews avec RFI