Incursion de l’armée rwandaise dans le Nord-Kivu : Kinshasa s’alarme, Kigali minimise

Le lundi 18 octobre 2021, des troupes de l’armée rwandaise ont bel et bien franchi la frontière congolaise, investissant six villages dans le territoire de Nyiragongo, dans la province du Nord-Kivu. Comment se sont-elles retrouvées là ? Qu’est-ce qui s’est passé réellement ? Entre Kinshasa et Kigali, les avis divergent, chacun cherchant à faire triompher sa version des faits. Si Kinshasa s’alarme d’une énième violation de son territoire par des militaires rwandais, Kigali minimise l’incident et parle plutôt d’une poursuite des « contrebandiers qui portaient des paquets non-identifiés et soupçonnés d’être armés», estimant que ses forces de l’ordre ont « involontairement traversé de quelques mètres, la frontière avec la RDC».

L’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) reste encore fragile, généralement à des multiples incursions des troupes étrangères. La dernière en date est celle perpétrée, le lundi 18 octobre, dans six villages du groupement de Buhumba à Kibumba, en territoire de Nyiragongo (Province du Nord-Kivu).

Depuis plus de quatre mois, la Société civile du Nord-Kivu alertait sur une réelle présence militaire étrangère sur le territoire congolais, avant que les faits ne se reproduisent finalement en début de cette semaine.

Des militaires rwandais ont terrorisé, pendant plus d’une heure, la population de ces six villages et sont arrivés jusqu’à 200 mètres de la route nationale numéro 2.

Un incident de trop

Les Forces armées de RDC ont confirmé avoir subi une incursion de l’armée rwandaise le 18 octobre, effectuée par le groupement Buhumba à Kibumba en territoire de Nyiragongo.

«On venait juste de se réveiller quand on a entendu des coups de feu », a raconté Enoch Sarafi, habitante du village de Buhumba. « Beaucoup de coups de feu ! Quelques minutes plus tard, on a vu des soldats rwandais arriver dans notre quartier, et on n’a pas eu d’autre choix que de fuir en laissant notre bétail derrière nous. Quand on est revenus, ils avaient déjà tout emporté ».

Sur place, la Société civile n’a pas hésité à faire allusion à une déclaration de guerre, dénonçant l’abandon de l’armée congolaise. « L’armée rwandaise est organisée au niveau de la frontière, mais l’armée congolaise n’est pas organisée faute d’effectif, faute de la logistique aussi, capable de contenir des attaques qui peuvent surgir à tout moment», s’est indigné Mambo Kawaya, président de la Société civile du territoire de Nyiragongo.

Les Forces armées de la RDC ont affirmé avoir repoussé cette incursion. « Le secteur opérationnel Nord-Kivu Sokola 2 confirme l’incursion des éléments de RDF sur le sol congolais et ces éléments ont eu à occuper six villages et ils sont arrivés jusqu’à 200 mètres de la route nationale Numéro 2 », détaille le major Guillaume Njike Kaiko, porte-parole des opérations Sokola 2.

«Nous avons récupéré une arme des éléments de RDF que nous avons présentée incessamment à la presse, mais aussi nous avons enregistré des pillages d’après les informations que nous avons». Depuis près de quatre mois, la société civile du territoire alerte sur une présence de l’armée sur le sol.

Une version que ne partage pas Kigali qui loin de s’alarmer, comme Kinshasa, minimise plutôt les faits et parler d’un incident mineur qui serait juste dû à une incompréhension de deux pays.

Sur les antennes de la Rwanda Broadcasting Agency, Kigali parle juste de « certains membres des forces de l’ordre à franchir involontairement la frontière Rwanda- RDC alors qu’ils poursuivaient un groupe de contrebandiers. Les contrebandiers auraient été armés ».

«Le 18 octobre 2021, les forces de sécurité rwandaises ont poursuivi des contrebandiers qui ont traversé la frontière Rwanda-RDC au niveau de la cellule de Hehu, secteur de Bugeshi, district de Rubavu. En poursuivant les contrebandiers qui portaient des paquets non-identifiés et soupçonnés d’être armés, les forces de l’ordre ont involontairement traversé de quelques mètres, la frontière avec la RDC. Les RDF et les FARDC entretiennent de bonnes relations et continuent de collaborer en matière de sécurité», a déclaré Kigali en rapport avec l’incident transfrontalier survenu dans le district de Rubavu, le 18 octobre 2021.

Un partenariat en dents de scie

Entre Kinshasa et Kigali, on assiste à un partenariat qui n’a jamais révélé ses vrais contours. On se rappelle qu’en mai 2021, le Président de la République, Félix Tshisekedi, avait signé des ordonnances instaurant l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, secouées par des conflits armés pour mettre rapidement fin à l’insécurité qui décime quotidiennement, depuis plus de deux décennies, nos compatriotes de ces deux provinces.

En vertu de ces ordonnances, les autorités civiles ont cédé leurs places aux militaires pour trouver une solution durable à cette situation qui perdure dans cette partie du territoire. Chose grave, rien ne semble changer.

Les opérations militaires, dites de grandes envergures, lancées dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu tardent à ramener une paix durable dans cette partie du pays.

Jusqu’à quand la République Démocratique du Congo continuera-t-elle à subir les attaques de toutes les forces étrangères qui écument sa partie Est ?

La population, meurtrie du jour au jour, ne sait plus à quel saint se vouer. En lieu et place d’apporter des réponses appropriées, les autorités civiles et militaires se contentent de faire des déclarations qui ne contraignent pas les ennemis du Congo de réfléchir mille et une fois avant de s’engager dans leurs salles entreprises.

Pour dite vrai, la RDC entretient des relations en dents de scie avec ses voisins de l’Est, particulièrement le Rwanda, qui continue de violer les limites du territoire congolais, l’accusant de vouloir la déstabiliser. Kigali, à son tour, reproche à la RDC de laisser son territoire servir de base arrière à des milices hostiles au pouvoir rwandais. Qui a raison, qui a tort ? Difficile à dire.

Pour mettre définitivement fin à ces atrocités, les autorités, dans un premier temps, devraient dénoncer tous ceux qui sont impliqués de loin ou de près, tout en renforçant les dispositifs de défense et de sécurité dans le cadre de l’état de siège.

Le moment n’est-il pas venu d’adopter une approche plus offensive et dissuasive, pour que la RDC arrive enfin à contenir les velléités belliqueuses de ses voisins de l’Est. Car, dans cette entreprise de déstabilisation de cette partie de la RDC, le Rwanda opère généralement en alternance avec l’Ouganda.

En effet, Kinshasa n’est pas à sa première incursion des troupes rwandaises sur son territoire. Au Rwanda, on s’en moque, convaincu de l’incapacité de Kinshasa à réagir ou encore imposer sa loi. C’est ce narratif qu’il faudrait changer. « Qui veut la paix prépare la guerre », dit-on

Entre les Etats, tout est question des rapports des forces. Il s’agit pour Kinshasa de tout mettre en œuvre pour enfin se faire respecter par ses voisins.

Fragilisée et minée de toutes parts, la RDC est devenue finalement un géant en carton. C’est plus que jamais un nain dans la région des Grands Lacs.

L’Assemble nationale veut voir clair

Le ministre de la Défense nationale et Anciens combattants, Gilbert Kabanda, est interpellé par une question d’actualité du député Jackson Ausse, élu de l’Ituri.

Par cette initiative parlementaire, l’élu national demande au ministre de la Défense nationale et Anciens combattants de s’expliquer devant la représentation nationale sur cette incursion des militaires rwandais dans le territoire de Nyiragongo, près de Goma, dans la province du Nord-Kivu.

D’après lui, vu la gravité de la situation actuelle que traversent les habitants du Nord Kivu en général et très précisément ceux du territoire de Nyiragongo en particulier, le Ministre de la défense doit impérativement donner des éléments d’explication au sujet de cette incursion.

Il s’agit d’éclairer la représentation sur ces questions majeures : « Quelle est l’identité des personnes lourdement armées qui ont fait incursion et attaqué les villages de Kahanga, Kibati et Kibumba le lundi 18 octobre 2021 dans le territoire de Nyiragongo en province du Nord-Kivu ?  Quelle a été la réaction de nos services de sécurité face à cette attaque ? Quel est le bilan global sur le plan humain, matériel et social ? Quelles sont les dispositions prises pour empêcher des incursions de ce genre sur toute l’étendue du territoire national? »

Par rapport à cette question d’actualité, il a appelé instamment le Président de la chambre basse du Parlement de programmer cette question d’actualité dès ce mercredi 20 octobre, conformément à l’article 182 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui voudrait que chaque mercredi soit consacré à l’examen d’une question d’actualité.

T.M.